Nous avançons dans notre bilan de la situation politique en Amérique latine, de 1929 à nos jours. Le cinquième épisode portait sur le bilan économique et social des politiques de gauche.
Au programme de ce sixième épisode : la crise de 2008 et les limites des politiques de gauche. Bonne lecture !
Épisode 6 (2009-2013) : la crise de 2008, ou les limites des « gauches »
Même si le bilan des gauches est globalement positif en ce qu’elles ont permis une amélioration conséquente du niveau de vie (santé, éducation…), il n’en reste pas moins vrai que ces dernières ont échoué sur au moins trois grands sujets.
L’industrie laissée de côté
Le premier sujet concerne l’industrialisation. Comme nous l’avions évoqué précédemment, les différents gouvernements sur cette période ont exploité massivement la nouvelle manne fiscale liée aux matières premières et ont, se faisant, délaissé le tissu industriel.
Cette « reprimarisation » de l’économie a notamment lieu au Brésil, où le poids des exportations de produits manufacturés passe de 56 % à 40 % en quelques années.
Cette dépendance aux cycles des matières premières pose naturellement problème lors de la crise de 2008-2009 puisque les cours chutent en même temps que la demande mondiale. Immédiatement, les exportations diminuent de 38 % (1er semestre 2009) ; l’Amérique latine entre donc en récession (-2 %). Comme en 1929, la dépendance vis-à-vis de la demande extérieure aura eu des conséquences sociales importantes : hausse du chômage et de la pauvreté (on dénombre neuf millions de pauvres en plus sur une seule année). Fort heureusement, l’ensemble des États réagissent rapidement en menant des politiques budgétaires contracycliques particulièrement efficaces permettant à la vague rose de se maintenir au pouvoir, du moins pour un temps.
L’environnement, loin d’être une priorité
Le deuxième gros échec des gauches concerne l’environnement. En effet, il est arrivé que plusieurs leaders socialistes aient à céder face à l’industrie extractive en renonçant parfois à la protection de certains espaces naturels.
C’est notamment le cas de l’ancien président équatorien, Rafael Correa (2007-2017), qui avait fait de son projet Yasuni ITT une affaire publique. Il souhaitait renoncer à exploiter un gisement pétrolier situé dans un parc naturel, en échange de compensation financière. Faute de soutiens, il cède en 2013 et l’exploitation partielle du gisement débute. Ce fut également le cas en Bolivie où Evo Morales, pourtant proche de la communauté indigène, avait accepté qu’une route soit construite alors qu’elle traversait le parc national Isiboro-Sécure.
Une fiscalité encore trop injuste
Le troisième sujet repose sur le fait qu’il est assez évident que la gauche aurait dû procéder à des réformes fiscales afin de rendre l’impôt progressif. Ce paradoxe est d’ailleurs parfaitement mis en lumière par Jean-Louis Martin qui constate que l’impact de la fiscalité dans la redistribution en Amérique latine est très faible. Il souligne ainsi le poids démesuré de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – alors qu’il s’agit d’un impôt particulièrement inégalitaire – et conclut que, pour l’heure, l’impôt sur le revenu repose avant tout sur la classe moyenne.
Pour finir, il est très important de retenir qu’il serait quelque peu excessif de mettre au seul crédit de la gauche les progrès réalisés en matière d’avancée sociale. En effet, quelques gouvernements politiquement classés à droite avaient également mis en place des programmes sociaux, et ce de manière précoce. C’est notamment le cas du Mexique qui, dès 1997, fournissait des aides au titre du programme Oportunidades.
Pour poursuivre la lecture de ce bilan politique, rendez-vous au prochain épisode où nous analyserons le mouvement de libéralisation apparu au début des années 2010.