La crise des sous-marins et ses dessous géopolitiques

Si tu penses toujours que l’Océanie est un continent calme et paisible, dépourvu d’enjeux géopolitiques majeurs dont tout le monde se fiche, tu te trompes et cet article est fait pour toi ! En effet, tu as sûrement entendu parler de la fameuse « crise des sous-marins » entre la France et l’Australie (soutenue par d’autres pays anglo-saxons : États-Unis et Royaume-Uni) en septembre 2021. Voilà un sujet d’actualité qui pourrait faire l’objet d’une bonne accroche, voire d’une excellente étude de cas sur un sujet de géopolitique très attendu ces derniers temps : l’Indo-Pacifique.

L’origine de la crise géopolitique repose sur la rupture australienne d’un contrat

Le 15 septembre 2021, le Premier ministre australien Scott Morrison choisit de renoncer à un méga-contrat conclu en 2016 avec la France (un contrat avec l’entreprise française Naval Group, visant à produire 12 sous-marins conventionnels français et les vendre à l’Australie pour 56 milliards d’euros). Cette crise diplomatique des sous-marins peut s’expliquer par trois grands arguments géopolitiques.

Le contrat était d’abord considéré comme très important pour la France. Il s’agissait d’un très gros accord industriel qui aurait pu aider à relancer une grande partie de l’industrie française aujourd’hui en perte de vitesse face à la montée des pays émergents. De fait, la rupture de ce contrat suppose de nombreuses conséquences pour l’industrie française, la première victime étant l’entreprise Naval Group qui devra s’adapter à la conjoncture de crise géopolitique.

Cette rupture de contrat révèle ensuite le vrai visage des États-Unis de Biden. Alors que l’administration Biden se disait pleinement multilatéraliste, dans les faits, l’alliance transatlantique reste à revoir… Le 16 septembre 2021, les États-Unis annoncent un tout nouveau partenariat stratégique avec l’Australie et le Royaume-Uni baptisé AUKUS. C’est justement cela qui amplifie la crise géopolitique franco-australienne. Cette nouvelle initiative aura notamment pour but de livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie. Coïncidence ?

Le dernier argument qui explique cette crise diplomatique des sous-marins est la façon même dont se sont déroulées les négociations entre l’Australie et les États-Unis : dans le dos de la France. En effet, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, déclare qu’il s’agit d’un véritable « coup dans le dos ». Cette crise vient non seulement dégrader les relations franco-australiennes, mais également transatlantiques. La « dérive des continents » semble bien continuer dans l’ère post-Trump. L’Australie se défend en expliquant qu’il ne s’agit pas d’un « changement d’avis, mais un changement de besoin ». En effet, ce choix se fait en plein contexte de montée en puissance chinoise.

Cette crise des sous-marins est révélatrice d’un Occident désuni face à la Chine

Les dessous de la rupture du contrat se fondent donc sur un changement de besoin de l’Australie en raison d’un contexte géopolitique très mouvant. Scott Morrison a en effet expliqué ne plus vouloir la technologie des sous-marins à propulsion nucléaire français en raison de nombreuses contraintes quant à leur maintenance (qui a lieu tous les dix ans), puisque les EU ont proposé une contre-offre qui semble bien plus alléchante pour l’Australie : leurs sous-marins à propulsion nucléaire n’ont pas besoin d’être révisés tous les dix ans. C’est surtout le contexte de montée en puissance chinoise qui active le processus de décision furtif de l’Australie, et qui amplifie donc la crise des sous-marins.

La pression chinoise est en effet à la source de cette crise des sous-marins occidentale. La Chine avait décrété un embargo sur différents produits australiens (vin, bœuf et même charbon) en réponse à la décision du Premier ministre australien d’avoir envoyé une enquête australienne en Chine pour déterminer l’origine de la pandémie de la Covid-19. De fait, il est probable que l’Australie ait cherché à consolider son alliance avec les EU pour trouver un soutien d’envergure face à la Chine. Ce rapprochement s’est donc fait aux dépens de la France.

Les dessous géopolitiques qui en ressortent restent donc très axés transatlantiques alors même que l’action se passe dans l’Indo-Pacifique. En effet, les États-Unis ont beaucoup manœuvré pour faire de l’OTAN une alliance axée essentiellement sur l’endiguement de la montée en puissance chinoise. Cependant, certains pays européens, comme la France ou l’Allemagne, étaient plutôt favorables à une approche modérée vis-à-vis de la Chine. De ce fait, cela a contribué à nourrir les différends aujourd’hui connus dans la crise des sous-marins, puisque la France se retrouve exclue du partenariat géostratégique AUKUS.

Les conséquences directes de la crise des sous-marins

La crise des sous-marins est désormais sens dessus dessous. Elle commence à avoir de véritables conséquences géopolitiques et géoéconomiques aussi bien à court terme qu’à long terme. En effet, en ce début d’octobre 2021, les négociations commerciales entre l’UE et l’Australie se retrouvent brusquement interrompues.

Dans les faits, la crise des sous-marins a causé un report d’un mois (jusqu’au mois de novembre) selon les dires du ministre du Commerce australien Dan Tehan. Cette crise diplomatique majeure a donc subitement stoppé 62 milliards d’euros d’échanges, ce qui reste non négligeable et rebat les cartes de l’échiquier géoéconomique mondial. Il convient de rappeler que l’UE est le troisième partenaire commercial de l’Australie.

L’autre conséquence plus géopolitique, mais liée à la précédente, est que la Chine pourrait profiter de récupérer le marché brusquement arrêté. En effet, celle-ci pourrait s’entêter à faire en sorte que les 62 milliards d’euros puissent être redistribués en sa faveur, et ainsi accroître son influence commerciale et a fortiori géopolitique.

Le jeu d’alliances géopolitiques de l’Indo-Pacifique traduit la gravité de la crise 

La géostratégie de l’Indo-Pacifique s’intensifie avec la crise des sous-marins et se complique avec le partenariat AUKUS. Celui-ci exclut la France des négociations entre Australie, États-Unis et Royaume-Uni. L’objectif est quasi exclusivement de s’opposer à la montée en puissance chinoise en imposant un front uni anglo-saxon. Cependant, le multilatéralisme qu’entend intensifier ce partenariat est affaibli par l’absence de la France, qui possède de nombreux territoires d’outre-mer très stratégiques dans le Pacifique, à l’instar de la Nouvelle-Calédonie.

Ce partenariat s’ajoute à des alliances déjà existantes comme le Quad (Quadrilateral Security Dialogue entre les États-Unis de Biden, l’Australie de Scott Morrison, l’Inde de Modi et le Japon de Yoshihide Suga), qui a lui aussi pour objectif de former un front occidental uni face à la Chine. La multiplication des alliances géopolitiques témoigne de l’importance géostratégique de l’Indo-Pacifique dans les années à venir.

Pour rappel, l’Indo-Pacifique désigne un concept géopolitique (parfois contesté) aux contours variables selon les acteurs, plus qu’une réalité géographique déterminée. Il souligne la profonde interdépendance géopolitique et géoéconomique entre les océans Indien et Pacifique, ainsi qu’une dynamique qui tend à en faire le centre de gravité du monde. De ce fait, il est aisé de comprendre le nombre d’enjeux qui se cachent derrière cette crise des sous-marins.

Les enjeux des dessous géopolitiques de la crise des sous-marins

Il convient de préciser que l’Indo-Pacifique tend à désigner le nouvel espace de rivalités exacerbées entre une Chine qui aspire à projeter sa puissance nouvelle et les États-Unis et leurs alliés qui tendent à vouloir la contenir. L’enjeu majeur pour les États-Unis est le containment de la Chine, une sorte de stratégie de « surveillance », tandis que celui de la Chine se fonde sur une logique de « conquête », de projection et de maritimisation de sa puissance.

Ces deux stratégies antagonistes amplifient les crises diplomatiques comme celle des sous-marins entre la France et l’Australie, ce qui fait donc sortir l’enjeu du multilatéralisme occidental, menacé et en crise.

Autre enjeu majeur qui a son importance ici, celui d’une possible course à l’armement en Indo-Pacifique. Il s’agit d’un risque probable qui pourrait conduire à une surmilitarisation de la zone. En effet, après la commande des sous-marins australiens, la Chine pourrait surréagir, mais également influencer d’autres pays de l’ASEAN à se lancer dans cette course causée par cette crise géopolitique.

La Chine, grande gagnante de cette crise diplomatique des sous-marins ?

La stratégie chinoise actuelle peut se résumer en une devise : « Diviser pour mieux régner. » C’est ce qui semble se profiler avec la crise diplomatique entre la France et les pays anglo-saxons. En effet, ces derniers se privent d’un partenaire qui pourtant a tout d’un atout au vu de ses nombreuses ZEE du Pacifique et de ses capacités diplomatiques et militaires.

La stratégie chinoise pourrait s’avérer à terme payante puisque cette crise tend à déstabiliser la présence française en Indo-Pacifique, et donc par extension, à perturber la collectivité française sui generis qu’est la Nouvelle-Calédonie (on se rappelle des référendums d’indépendance). La Chine a tout intérêt à rendre ce territoire indépendant pour ensuite l’influencer plus facilement dans sa quête à la non-reconnaissance de Taïwan.

Te voilà maintenant disposé à comprendre les enjeux actuels de l’espace Indo-Pacifique, avec la très récente crise des sous-marins. Un sujet sur l’Indo-Pacifique reste très attendu aux concours dans les années à venir ! N’hésite pas à consulter notre analyse des grandes entreprises à connaître en géopolitique !