Le thème de la souffrance au travail est au cœur des trois œuvres au programme de français des prépas scientifiques de cette année. Dans cet article, Major-Prépa te propose des pistes de réflexion et des citations pour y voir plus clair sur ce sujet central et très important, afin d’aborder tes épreuves de dissertation sans crainte de souffrir.
Comment aborder la question de la souffrance au travail ?
« C’est une loi : souffrir pour comprendre. » Eschyle
Motif récurrent dans les œuvres du programme, la souffrance semble faire partie intégrante du travail, comme le rappelle l’étymologie latine tripalium (instrument de torture) : de la servilité décrite par Simone Weil, à l’impuissance du cultivateur virgilien face aux divinités, en passant par les effets pervers de la taylorisation et du capitalisme prédateur présents chez Vinaver.
Tel le poids du monde écrasant tout être qui travaille devenu l’avatar d’un Atlas malheureux, le travail semble peser physiquement et mentalement sur l’homme. Rappelant alors l’étymologie latine de souffrance, sufferre, venant lui-même de fero (porter) et du préfixe sub (sous).
Et pourtant, loin d’une fatalité tragique et parfois même mortifère tant il est vrai que l’expression « se tuer au travail » peut parfois devenir réalité, « la souffrance [peut être] salutaire », selon l’écrivain étasunien Dan Brown, auteur notamment de Da Vinci Code en 2003. Car, si l’on en croit La Petite Fabrique du bonheur (2020) d’Alice Quinn : « Parfois, la souffrance est un moyen d’atteindre un moment de plénitude qui balaiera tout. » Et permettra de « comprendre », comme le suggère Eschyle.
A priori, la souffrance semble faire du travail le bourreau de l’être
« L’usage principal de la douleur est de m’apprendre que je ne suis rien », écrit de but en blanc Simone Weil dans La pesanteur et la Grâce, en 1947. Et pour cause, selon la philosophe du vrai, auteure de La Condition ouvrière : « La souffrance se referme sur l’ouvrier et lui ôte toute faculté de penser. »
Or, puisque l’homme est par essence un fragile « roseau pensant », selon l’image que propose Pascal dans ses Pensées, douleur et souffrance semblent alors sonner comme un étau qui étreint l’âme et engloutit le monde. Réduisant le travailleur à devenir moins qu’un homme (« une bête de somme résignée ») dans une perte totale d’identité que donne notamment à voir Vinaver. Les hommes sont réduits à remplir des fonctions préétablies, engagés dans des activités ne coïncidant, la plupart du temps, ni avec leurs aspirations propres ni avec leurs désirs. « Ils souffrent, écrasés par les logiques infernales » du capitalisme contemporain et de son machiavélisme constant.
Virgile déjà, évoquant la pénibilité du travail de la terre, source de revenus, semble par l’image des bœufs au labour, dire quelque chose de l’extrême souffrance de l’être qui ne devient plus que corps au service d’une tâche harassante au point de l’exténuer jusqu’à l’expiration : « La souffrance si intense, creuse leur tombe. » (II).
Dès lors, si l’on en croit l’expérience de Simone Weil, la souffrance brûle l’être sans même que celui-ci ne puisse l’éviter, à l’image d’un immense four « crach[ant] au-dehors des flammes et des souffles embrasés ». Comme celui avec lequel elle dut « enfourner les bobines de cuivre » jusqu’à ce que « la chaleur, la fatigue, la douleur [lui firent] perdre le contrôle de [ses] mouvements ».
Et pourtant, peut-être y a-t-il dans la souffrance une chose très nécessaire, source d’émancipation
La souffrance est inhérente au travail et engendre bien souvent la peine qui, proche étymologiquement de « ποινή » (poiní) en grec, signifie châtiment.
À ce titre, Virgile déclare : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » Et pourtant, loin d’un châtiment divin chantant un hymne à la mort de l’être, les Géorgiques font de la souffrance, de la peine, le stimulus de l’esprit humain, capable à lui seul de ressusciter, à sa manière. Un « paradis perdu » dans lequel « un travail acharné [c’est-à-dire de blessures et souffrances] vient à bout de tout ».
Et pour cause, selon l’auteur latin, la souffrance au travail n’est jamais une torture gratuite. Elle constitue un effort librement consenti et accepté afin de faire de la terre un jardin d’Eden. « Si avec le hoyau, tu ne fais pas une guerre assidue aux mauvaises herbes, si tu n’épouvantes à grand bruit les oiseaux, si la serpe en main tu n’élagues l’ombrage qui recouvre ton champ […], hélas ! tu en seras réduit à contempler le gros tas d’autrui et à secouer, pour soulager ta peine, le chêne dans les forêts. » (II).
Une alchimie de la douleur ?
Dès lors, peut-être existe-t-il, pour reprendre une expression baudelairienne, une alchimie de la douleur qui, malgré les souffrances, permet de cheminer vers une émancipation personnelle. Simone Weil reconnaît ainsi qu’elle a « lentement dans la souffrance […] reconquis à travers l’esclavage le sentiment de [sa] dignité d’être humain ».
Effectivement, puisque « la vie n’est pas un problème à résoudre, mais une réalité dont il faut faire l’expérience », d’après Sören Kierkegaard, la souffrance peut alors constituer le point d’entrée de tout homme dans « la vie réelle » (Weil), comme le donne à voir la phase dite de « travail » correspondant aux contractions subies par la femme lors d’un accouchement.
Ainsi, à l’inverse du personnage de Lubin, qui ne saura dépasser « la lente mise à mort » et la « déchéance » que représente son entrée chez Ravoire et Dehaze, il y a dans la peine et la douleur du travail, l’opportunité d’un accouchement de l’être au monde par la pratique d’une maïeutique socratique capable de révéler certaines vérités insoupçonnées.
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Boîte à citations sur la souffrance au travail
Simone Weil, La Condition ouvrière
La souffrance abrutissante du travail écrase l’ouvrier : « Cette situation pèse parfois sur le cœur, n’est-il pas vrai ? Elle donne parfois le sentiment d’être une simple machine à produire. Ce sont là les conditions du travail industriel. » (Lettre à Albertine Thévenon) « Travailler à des machines avec des maux de tête, c’est pénible. » (Lettre à Albertine Thévenon)
Mais la souffrance n’est jamais vaine. Elle est source de connaissance à quiconque souhaite l’affronter. C’est ainsi que la philosophe française écrit à Albertine Thévenon : « J’ai beaucoup souffert de ces mois d’esclavage, mais je ne voudrais pour rien au monde ne pas les avoir traversés. Ils m’ont permis de m’éprouver moi-même et de toucher du doigt tout ce que je n’avais pu imaginer. »
In fine, si la souffrance est dans un premier temps source de mal-être, elle est également une opportunité inédite d’émancipation : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », écrit à ce sujet Nietzsche dans Le Crépuscule des idoles en 1889.