santé

Le travail, est-ce la santé ? Dans cet article, Major-Prépa te propose des pistes de réflexion afin de traiter le lien – non évident – possible entre santé et travail.

Comment aborder la notion de santé dans le travail ?

« Le travail, c’est la santé ; ne rien faire, c’est la conserver. » Henri Salvador, Le travail c’est la santé, 1965

Issu du latin sanitas, le terme santé désigne à la fois celle du corps et de l’esprit, et constitue à ce titre une composante essentielle pour l’homme. On comprend dès lors pourquoi le travail peut parfois être décrit comme aliénant et névrosant, notamment dans La Condition ouvrière de Simone Weil, le sort réservé aux bœufs chez Virgile ou encore l’attaque de Madame Bachevski chez Vinaver suite à son licenciement.

Tout travailleur semble ainsi promis, sous l’effet hypnotique d’un travail devenu aussi venimeux qu’un serpent ardent, à une maladie totale, tant psychique que mentale. Et pourtant, si l’on en croit Nietzsche : « Il n’y a pas de santé en soi. » En ce sens que la santé n’est pas une norme, de même que la maladie n’est pas anormale. Le philosophe allemand conclut : « La santé, c’est le luxe de tomber malade et de pouvoir s’en relever. »

Dès lors, si, comme le pense l’auteur du Crépuscule des idoles, la maladie est un défi bénéfique qui, dans la mesure où elle ne tue pas le malade, le fortifie et le purifie d’un même geste, le travail pourrait paradoxalement se faire antidote face aux maux guettant l’existence humaine.

A priori, le travail altère la santé de l’homme 

Du latin tripalium (instrument de torture), le travail chez Simone Weil emprunte régulièrement au vocabulaire de la maladie : aliénation, névroses, fièvres répétitives, angoisses constantes, dépression ponctuelle, fatigue… Voilà le champ lexical utilisé par la philosophe française pour décrire la condition des ouvriers fourbus et « éreintés » par un travail maladif et accablant, tant pour les corps meurtris que pour les âmes : « La pensée se rétracte. » (Expérience de la vie d’usine)

Telle une maladie vorace, le travail ronge « des hommes vigoureux dans la force de l’âge [jusqu’à ce qu’ils] s’endorment de fatigue sur la banquette du métro ». Avilissant et paralysant, le travail s’attaque également à la santé mentale. Tandis que Simone Weil décrit l’enfermement des ouvriers humiliés et rabaissés jusqu’au mutisme, Vinaver met plus encore en avant l’incapacité des salariés à parler en leur nom à travers l’exemple du « réquisitoire contre [lui]-même », énoncé par Passemar lors de sa rétrogradation.

Telle la Naegleria fowleri, une amibe « mangeuse de cerveau », ou une bactérie rongeuse d’os comme le staphylocoque doré, le travail semble dévorer l’existence, métamorphosant des « hommes vivants » (Virgile) en « molécules » (La Condition ouvrière, Simone Weil) s’en allant seuls, inconnus, le dos courbé, les mains croisées, tels des misérables accablés par le mal-être, les plaies et la misère.

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Et pourtant, le travail pourrait se faire antidote face à une oisiveté maladive 

Correspondant avec Jacques Lafitte, Simone Weil remarque qu’« il ne faut pas tendre à réduire indéfiniment la part du travail dans la vie humaine au profit d’un loisir qui ne satisferait aucune des hautes aspirations de l’homme ». Et pour cause, l’oisiveté est, dit-on dans « L’Ecclésiastique » (33 v.29), mère de tous les vices et représente de loin, selon Virgile, la pire gangrène en ce sens qu’elle conduit à la passivité et à la mollesse.

Dès lors, le travail comme remède, comme mode de guérison et même d’idéal métaphysique, semble supplanter, en dépit des maux inhérents aux rudes conditions des ouvriers, le travail maladif de simple subsistance. Ainsi peut-on entrevoir cette activité comme antidote face aux « maladies de l’âme » décrites par Platon.

Effectivement, si la douleur et les troubles nous écartent de la raison, le travail, ancrant l’homme dans un « processus de vie » (La Condition ouvrière, Simone Weil), permet de se prémunir de la décadence en offrant un cadre de guérison. L’ouvrier menant une vie authentique, c’est-à-dire étymologiquement dont il en est l’acteur et même l’auteur, peut alors écrire les pages de son existence dans une forme de plénitude qui l’éloigne définitivement de la véritable maladie que décrit Nietzsche comme « l’incapacité à changer l’histoire de sa vie » (Le Gai Savoir).

« Savoir faire évoluer les hommes »

Dès lors, comme expliqué au deuxième mouvement de Par-dessus Bord, le travail des chefs nécessite de « savoir faire évoluer les hommes » afin de former des êtres vigoureux (c’est-à-dire en pleine santé) et ainsi prétendre à l’optimisation des forces. S’opposant à la méthode « à l’américaine », qui consiste à la froide application de mécanismes tactiques, le directeur général adjoint pose le diagnostic suivant : si la santé de l’employé ne constitue pas un intérêt aussi important que celui de la rentabilité, point de bonnes nouvelles à espérer.

In fine, si le lien entre santé et travail n’est pas à première vue toujours évident, peut-être suffit-il d’inverser la formule : l’absence de travail mène-t-il à la santé ? Dès lors, au-delà d’être un potentiel bourreau de l’être, le travail semble au contraire une opportunité que se doit de saisir chaque travailleur volontaire.