Spécialement réservée aux prépas scientifiques (MPSI, PCSI, BCPST…), Major-Prépa te propose une page dédiée au thème du travail, afin de t’offrir une matière à penser pour te démarquer et performer le jour des concours.
Le travail : étymologie, définition, introduction
Ensemble des activités humaines organisées en vue de produire ce qui est utile, le travail constitue un élément clé dans la vie de chaque homme, en ce sens qu’il oriente les actions, modifie les perceptions, organise une pensée et alimente le développement de chaque être en tant qu’individu. Dès lors, on ne peut nier l’existence de certaines tensions inhérentes à ce terme. Le travail élève-t-il l’homme ? Est-ce au contraire une prison dorée ? Nous enferme-t-il, voire nous aliène-t-il ? Nous libère-t-il ? Est-il naturel ?
Il n’est à ce titre pas anodin de remarquer que l’ambivalence de ce terme trouve écho dans le vocabulaire du XVᵉ siècle, comme le donne à voir la séparation entre le travail Labor, c’est-à-dire celui suivant la mélodie monotone de la peine et de la souffrance, et le travail Opus, c’est-à-dire celui menant à une potentielle ouverture et élévation de l’homme tel un Icare heureux.
Contrairement au jeu, dans lequel on peut se contenter du plaisir, quand bien même on perdrait, le travail ne vaut pas par lui-même. En effet, cette activité vise toujours un résultat qui se décline selon nos attentes : un salaire (tout travail mérite salaire), un progrès (travaillons pour progresser), ou une réalisation (rien ne se fait ni ne se crée sans y travailler). D’ailleurs, à l’heure d’un monde dans lequel on ne peut vivre sans argent, le travail semble se faire indispensable pour vivre sans pour autant que l’on puisse déclarer que l’on vit pour travailler, car cela reviendrait à faire du travail une fin en soi et donc un jeu n’attendant aucune gratification ni aucun salaire. Balivernes !
Le travail, une diablerie humaine ?
« J’appelle travail tout effort exempt de plaisir, ou plutôt : un effort qui vous diminue à vos propres yeux. », Emil Cioran, Cahiers, 1957-1972
Constat amer, peu réjouissant et inquiétant, sous la plume du philosophe franco-roumain Emil Cioran, pouvant notamment s’expliquer par l’étymologie latine du travail. Et pour cause, du latin tripalium, instrument de torture composé de trois pieux auquel les esclaves étaient attachés pour être torturés, on ne peut ignorer le lien étymologique direct entre travail et souffrance. Lequel n’est d’ailleurs pas sans rappeler le premier sens du terme renvoyant à la période de l’accouchement pendant laquelle se produisent les contractions (dictionnaire Le Robert).
« Si le travail c’est l’opium du peuple, je ne veux pas finir drogué. » Boris Vian
Détournant une formule chère à la philosophie marxienne, Boris Vian semble, malgré un ton léger d’apparence, soulever un lièvre : le travail est-il si bon qu’on le prétend ?
Effectivement, dès le XIXᵉ siècle, le revers de la médaille de l’industrialisation n’est pas sans raviver la notion de Labor. Karl Marx sera ainsi une figure emblématique de cette remise en question, dont certaines dénonciations trouveront écho dans l’œuvre de Simone Weil. Si de nombreux artistes, comme l’écrivain français Émile Zola, semblent alors remettre en question la notion de « travail comme source d’élévation », c’est l’intégralité du modèle qui se voit ainsi remis en question : capitalisme prédateur, hiérarchie pyramidale, rapports de domination, vices de la concurrence…
« Le travail, c’est le refuge des gens qui n’ont rien de mieux à faire. » Oscar Wilde
Le travail, un allié de l’homme ?
« Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. » Voltaire
Contemporain de Voltaire selon qui « cultiver son jardin » est une chose très nécessaire, Emmanuel Kant fait du travail « l’activité vitale propre au travailleur, l’expression personnelle de sa vie » et ne peut se réduire à une activité simplement avilissante et aliénante. Avant Kant, dans une perspective chrétienne très influente au Moyen Âge, Saint-Benoît faisait même du « travail effectué en commun » une composante essentielle afin d’œuvrer à la subsistance de la communauté et du bien commun, mais également d’expier le péché originel.
Effectivement, nonobstant la présence sous-jacente de la notion de souffrance, ce terme renvoie également à l’ensemble des activités humaines organisées, coordonnées en vue de produire ce qui est utile (dictionnaire Le Robert). Ce qui constitue à ce titre une composante essentielle de l’organisation de la société dont nous dépendons tous en tant qu’individus, en tant qu’animal politique selon Aristote.
Finalement, à la manière que l’écrit Arthur Rimbaud dans son poème L’Éclair (Une saison en enfer, avril-août 1873), peut-être y a-t-il dans cette notion l’aune d’une transformation inédite pour chaque homme volontaire et déterminé, loin de l’étymologie funeste du terme : « Le travail humain ! c’est l’explosion qui éclaire mon abîme de temps en temps. »
Le travail dans les œuvres du programme
Virgile, Les Géorgiques
Inspiré de Les Travaux et les Jours du poète grec Hésiode, ce long poème didactique de 2 187 vers dépeint le rôle et l’importance du travail au sein d’un monde instable à l’heure où la « Pax Romana » d’Auguste n’est encore qu’un espoir idyllique. Il n’est à ce titre pas anodin de remarquer que Virgile, « le plus grand génie que la terre ait porté » selon Paul Claudel, use immodérément dans son œuvre de l’hexamètre dactylique. Par la forme, l’auteur latin sublime dans son vers noble son propos, et illustre ainsi comment le travail mène à la précision, comment la précision mène à la perfection, et in fine, comment la perfection mène à l’art, au Beau et peut-être à l’authenticité.
Il y a donc, au-delà des thèmes de l’agriculture et de l’élevage, mis en avant tout au long des quatre livres, une véritable réflexion sur la place du travail dans le parcours initiatique de chaque homme. Car, bien qu’étymologiquement le travail renvoie d’abord à la souffrance de l’être, c’est paradoxalement peut-être grâce à celui-ci que l’homme semble se métamorphoser, annonçant en quelque sorte les métamorphoses nietzschéennes et la formule sans doute un peu trop répétée à l’envi : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » (Le Crépuscule des idoles).
Cantique à la terre vivante et méditation sur le travail, Les Géorgiques de Virgile chantent le lien unissant les hommes au monde dont le travail sème les graines capables de faire germer en chacun de nous, des hommes forts, vigoureux et réfléchis.
Simone Weil, La Condition ouvrière
Soucieuse de faire de la philosophie une manière de vivre pour accéder à la vérité, Simone Weil s’engage, entre 1934 et 1935, comme manœuvre chez Alstom, puis fraiseuse chez Renault, afin de faire l’expérience directe de l’usine. C’est ainsi qu’est publié, à titre posthume en 1951, La Condition ouvrière, véritable « journal d’usine » brut, dénué de lyrisme et de sentimentalité, rappelant l’étymologie latine et souffrante du travail.
Forte de son expérience ouvrière, la philosophe humaniste française née à Paris en 1909 offre un témoignage sévère, rare et authentique, d’une classe sociale opprimée, muette et cruelle : « Dans le monde ouvrier, les rapports établis entre les différents postes sont des rapports entre les choses et non entre les hommes. » (La Condition ouvrière). Dans une perspective où plane l’ombre de Karl Marx, Simone Weil ne manque pas de condamner la déshumanisation, l’humiliation et l’aliénation, autant de maux inhérents au monde ouvrier.
Et pourtant, si la classe ouvrière est celle ayant souffert le plus de l’effacement du Beau, en ce sens que ce dernier n’a pas présidé à l’organisation de l’usine, elle est également paradoxalement celle qui, écrasée par un travail harassant et abrutissant, est éprise de liberté. Loin d’une prédestination funeste, il y aurait avec Simone Weil dans le Beau et le travail une façon de sublimer une vie longue et monotone en une existence unique et authentique. Sous réserve d’un travail sur le « je », dont Rimbaud nous disait d’ailleurs qu’il était « un Autre ».
Michel Vinaver, Par-dessus bord
Écrit en 1972 avant le premier choc pétrolier de 1973, la pièce de Michel Vinaver met en scène la lutte sur le marché français de deux entreprises : le groupe américain United Paper Company, envieux de conquérir de nouveaux marchés, et une PME française, Ravoire et Dehaze, soucieuse de conserver son monopole sur le papier toilette.
Au-delà d’une lutte Europe-Amérique, Vinaver met en lumière les effets, parfois pervers, de l’avènement d’un capitalisme prédateur dans lequel petits et grands se côtoient et se combattent dans une perspective machiavélienne, voire machiavélique, d’un primat de la fin sur les moyens.
Que ce soit par l’importance du marketing (papier tricolore) ou par la lutte familiale (notamment entre Olivier et Benoît pour succéder à leur père), le dramaturge français fait du travail la pièce maîtresse ou le chef d’orchestre d’une symphonie fulgurante, émouvante et mouvante, dans laquelle oppression, dépression et humiliation fréquentent opportunité, émancipation et joie.
Ainsi, Par-dessus bord pose de multiples questions : le travail est-il l’acte qui a pour objet de nous ouvrir la liberté ? Est-ce au contraire un danger aliénant ? Vivre est-ce travailler ? Travailler est-ce vivre ? Peut-on faire rimer travail et plaisir ou le travail n’est-il que promesse de souffrance éternelle ? (…)
In fine, il y a dans le travail une tension constante entre potentiel danger ou opportunité pour l’homme. Peut-être ce thème permet-il, comme le conseille Henri Bergson, « d’exercer plusieurs muscles » et ainsi de viser l’autotélisme (accomplissement personnel). Et pourtant, cette occasion ne semble pas s’offrir à chacun sans un nécessaire travail…
Si le sujet t’intéresse, tu peux consulter nos autres articles sur le travail :
Le travail comme réalisation de soi