Dans cet article, Major-Prépa te propose des pistes de réflexion sur le lien entre le travail et la liberté… dont Sartre nous disait d’ailleurs que nous y étions condamnés.
Qu’est-ce que la liberté ?
« Jamais nous n’avions été plus libres que sous l’occupation allemande. » Jean-Paul Sartre, BBC, 1944
Habitué des affirmations provocatrices, polémiques et parfois « choquantes », le philosophe français exprime ainsi sa définition de la liberté : « La liberté n’est pas de faire ce que l’on veut, mais de vouloir ce que l’on peut. » (L’Existentialisme est un humanisme, 1946). Effectivement, selon l’écrivain, la distinction entre vivre et exister, c’est-à-dire entre l’asservissement et la liberté, réside dans la présence ou l’absence de choix.
À ce titre, cette même idée peut être lue dans La Condition ouvrière de Simone Weil, lorsque, réfléchissant aux conditions d’un travail non servile, la philosophe française reconnaît : « Choisir de faire de son travail une œuvre, tel est peut-être le premier défi de l’ouvrier […] afin d’entrevoir une amélioration de sa condition. »
Dès lors, quel rôle le travail joue-t-il dans la libération de l’homme ? Quel lien peut-on faire entre le travail et la liberté ?
A priori, le travail semble restreindre la liberté de l’homme
« L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. », Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, 1762
« Et toujours il faut se taire et obéir […] se taire et se plier, toujours », regrette Simone Weil. Servitude, déshumanisation et négation de la parole, voilà malheureusement des aspects au cœur de La Condition ouvrière qui ne font qu’alimenter la rhétorique du travail comme esclavage moderne, n’offrant en retour que la poena, peine et souffrance.
Et pour cause, dans « cet endroit morne où on ne fait qu’obéir, [où se brise] sous la contrainte tout ce que l’on a d’humain » nulle place n’est laissée ni à l’émancipation ni à la libération. Cette même idée est notamment développée chez Michel Vinaver à travers la description de l’organisation pyramidale de l’entreprise. Chacun est ainsi soumis à la nécessité de remplir ses objectifs et se voit subordonné, selon Passemar, à son « N+1 » : « Je dépendais, je dépends toujours de Madame Alvarez », reconnaît-il.
Il n’est à ce titre pas anodin que dans une comparaison mortifère avec la mort de son père, fusillé par les nazis, Alex fasse du travail le peloton d’exécution de la liberté : « J’entre [dans la mort], je m’avance, je tombe en avant […] je rebondis de paroi en paroi, j’entre dans la vie normale, la vie normale qui m’était interdite, je n’ai pas résisté à la tentation ah paysage hallucinant. »
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Et pourtant, peut-être y a-t-il dans le travail cette chose très nécessaire qui, engageant l’homme tout entier, le réconcilie avec lui-même et lui ouvre in fine les portes de la liberté
« Au nom du travail, sain, fécond, généreux/Qui fait le peuple libre et qui rend les gens heureux ! », Victor Hugo, Les Contemplations, 1856, Melancholia
Quand bien même livré aux aléas de Dame Nature, l’exploitant agricole, chez Virgile, n’abdique jamais sa liberté, en ce sens que cette dernière ne peut exister que dans l’accord avec la nature et non contre celle-ci. Dès lors, acceptant cette donnée, sachant que comme « les saisons, sa fortune varie » (II), « le laboureur en paix coule des jours prospères […] il cultive son champ et nourrit ses enfants » (II).
Voulant ce qu’il peut, faisant, comme Jupiter l’ordonna, du travail un devoir, l’homme des Géorgiques s’ouvre ainsi à la liberté. Acquérant par son métier une certaine habileté et une connaissance technique, le travailleur peut élever son activité, comme l’entend le sens étymologique latin ars, artis, au rang d’art et ainsi, par la tekhnè, disposer librement de sa personne et de ses biens. C’est-à-dire philosophiquement se faire « homme libre ».
N’en déplaise à Alex ou Lubin, cette action n’est donc pas uniquement bourreau de la liberté et pourrait même se faire fille de Jupiter et Junon, Libertas. Comme le donnent à voir les figures du professeur Onde, de l’antiquaire Topfer ou de l’ambitieuse Margerie. Effectivement, peut-être la clé réside-t-elle dans le choix d’allier travail et plaisir afin de dépasser les peines et s’élever, soit étymologiquement exceller, pour in fine se libérer.
Faire de l’homme un créateur
C’est justement ce que propose Simone Weil pour améliorer la condition ouvrière et sortir les travailleurs de la servilité : « La solution idéale, ce serait une organisation du travail telle que [le travailleur] se verrait chaque soir plus fort de son expérience. » Elle rajoute : « Chaque ouvrier doit effectuer un travail sur lui-même […] car ce sont eux, hommes travailleurs et créateurs, qui seuls peuvent prétendre à la libération. »
Effectivement, source d’accomplissements incomparables capables de réconcilier l’être loin du néant, éloignant l’homme de l’indolence du repos éternel et de l’inaction passive et mortifère, le travail réalisé ouvre irrémédiablement les portes de la liberté.
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Boîte à citations sur le lien entre travail et liberté
Virgile, Les Géorgiques
Le travail constitue un processus de libération. À condition de s’en donner les moyens : « Au travail donc, ô cultivateurs ! Apprenez les procédés de cultures propres à chaque espèce ; adoucissez, en les cultivant, les fruits sauvages ; que vos terres ne restent pas en friche. » (II)
Simone Weil, La Condition ouvrière
Les conditions sont telles que le travailleur ne peut même plus profiter de son temps libre : « Quant aux heures de loisir, théoriquement, on en a pas mal, avec la journée de huit heures ; pratiquement elles sont absorbées par une fatigue qui va jusqu’à l’abrutissement. » « Ôte toute espèce d’intérêt aux heures passées hors de l’usine par l’excès de la fatigue. »
L’exigence du travail permet de ne pas passer à côté de son existence… : « Ce qui importe, c’est de ne pas rater sa vie. Or pour ça, il faut se discipliner. »
Et peut-être d’atteindre la liberté : « L’organisation du travail doit réaliser la combinaison de l’ordre et de la liberté. »
Vinaver, Par-dessus bord
Le travail permet la libération collective : « On prendra les grandes décisions ensemble mais you’re on your own. » (Young, sixième mouvement)
In fine, il semble que le travail puisse conduire à la libération de l’homme… Sous réserve néanmoins de savoir ce que signifie le terme liberté.
Si tu n’as pas encore lu notre introduction générale au thème, c’est ici !