travail

Dans cet article, Major-Prépa propose de s’intéresser à la finalité du travail. Doit-on faire de ce dernier la finalité de notre existence ? Est-ce au contraire un moyen de parvenir à quelque chose ? Mais dès lors, que devrait être ce quelque chose ? Autant de questions lancinantes et pourtant essentielles, dont tu trouveras ici des pistes de réflexion. 

D’ailleurs, si tu n’as pas encore lu notre introduction au thème, c’est ici !

Comment appréhender le rôle du travail dans nos actions ?

« Pourquoi fais-je cela ? », « Quel est le sens de mon action ? », « Sommes-nous condamnés à œuvrer sans fin ? » Questions lancinantes, existentielles et essentielles sous la plume de Simone Weil, qui traduisent, au-delà d’un apparent tohu-bohu de l’âme, une inquiétante incapacité de l’homme à répondre à la question suivante : quel est le sens de mon travail ?

Or, puisque selon le père fondateur du taoïsme, Lao Tseu, « le but n’est pas le but, c’est la voie », cette incapacité risque bien de métamorphoser l’être en un sujet errant sans but véritable, telle une barque ballottée au gré des bons vouloirs et des ordres, égarée dans l’océan tumultueux du travail.

Dès lors, il en va de la survie du travailleur que de donner du sens à son action… mais quel sens ? Telle est la question. 

Souvent relégué à n’être qu’un moyen d’avoir, et parfois d’avoir toujours plus de gain, le travail peut orienter l’homme vers une quête dévaluée et inquiétante

C’est justement ce virage préoccupant que souligne Monsieur Onde au début du cinquième mouvement de la pièce de Michel Vinaver : « Ce que la société divine a gagné en efficacité, elle l’a perdu en jouissance morale et mystique […], le seul souci est de gagner et de vaincre. » « Gagner », « vaincre », « triompher de l’autre » et non plus avec l’autre, voilà les contours inquiétants régissant une société de travailleurs ayant fait de l’argent, du gain d’argent, la finalité de leur travail.

Et pour cause, obnubilé par les biens matériels, l’homme, pourtant « animal politique par nature » selon Aristote, perd son savoir-être. Et se perd ainsi, s’égarant dans les méandres de l’individualisme et d’une conception du vivre ensemble non plus seulement machiavélienne, mais véritablement machiavélique, dont Dehaze sera le premier à en faire l’amer constat : « La loyauté Cohen est un concept qui appartient à votre génération et à la mienne. » (p. 279)

Un « problème central », selon Simone Weil

Il n’est à ce titre pas anodin de remarquer, qu’évoquant ce même penchant, la philosophe française Simone Weil parle de « problème central » et de « préoccupation majeure ». En effet, selon la philosophe, « l’obsession du salaire » (p. 68) et « le désir d’accumuler des sous » (p. 338), c’est-à-dire la victoire de « l’appât » (terme fréquemment employé) conduit à une « déformation de l’esprit », dorénavant momifié, enfermé et étreint dans une vision matérialiste et obtuse du monde.

Si la philosophe du vrai condamne ainsi une contagion de la « vision bourgeoise », c’est justement à la figure d’Harpagon que pourraient faire penser les vers de Virgile lorsque ce dernier dénonce ceux ne cherchant qu’à « boire dans une gemme » et troquant « leurs demeures et leurs seuils si doux » contre « l’exil » que représente à leurs yeux le gain matériel et l’argent. Ainsi, l’auteur latin déplore : « L’autre enfouit ses richesses et couve l’or qu’il a enterré ».

Finalement, n’en déplaise à François-René de Chateaubriand, si le salaire n’est pas forcément que « l’esclavage prolongé », il constitue néanmoins un danger pour quiconque fera de ce dernier l’alpha et l’oméga de son action. 

Dès lors, peut-être s’agit-il de faire du travail non pas une fin en soi, mais un moyen de reconnaissance, un outil capable de restituer à l’homme une place un temps perdue

La capacité de donner du sens à ses actions, voilà le vrai trésor de l’humanité, permettant « une expérience exaltante » (Par-dessus bord, p. 410). C’est-à-dire comme le rappelle l’étymologie latine d’exaltation, qui élève (le « ex- » manifeste une hauteur remarquable).

Ainsi, puisque selon Simone Weil le travail représente « l’activité dans la pensée et dans l’action », c’est bien par la réalisation de ce dernier que l’homme semble, tel un Icare heureux, s’élever, retrouver son chemin et sa place dans la vie réelle. C’est alors que la philosophe conseille de « rechercher l’organisation la plus humaine compatible avec un rendement donné » (p. 420) afin de métamorphoser une tâche harassante et difficile en découverte et paix perpétuelle : « Je découvre une capacité à m’intéresser à ma tâche », reconnaît-elle.

Vers un « travail-humain »

De façon analogue, Michel Vinaver met en avant la nécessité de replacer l’humain au centre de l’entreprise afin de redonner un sens profond à l’action de chaque travailleur. Et pour cause, offrant à l’homme un rôle dominant au sein duquel ce dernier peut s’impliquer, adhérer et finalement exister, cette forme de « travail-humain » mène ainsi à « l’expérience exaltante » évoquée précédemment.

Au début du cinquième mouvement, Cohen déclare d’ailleurs être « plus heureux maintenant [que] le travail est plus intéressant », c’est-à-dire, maintenant que le travail se fait lui-même « expérience humaine » selon une expression virgilienne.

Il n’est dès lors pas étonnant de lire chez l’auteur latin, loin d’Une apologie des oisifs chère à Robert Louis Stevenson, un véritable éloge du travail, lequel permet d’extraire la substantifique moelle de la vie en offrant à l’être un « espace personnel » : « Un doux amour m’entraîne le long des pentes désertes du Parnasse. » (p. 144). 

Si tu souhaites trouver des arguments pour contrer l’idée de ce paragraphe, tu peux lire le premier paragraphe de La souffrance dans le travail : une fatalité ?

Boîte à citations sur la finalité du travail 

Virgile, Les Géorgiques

Le travailleur ne faisant de son travail qu’un moyen ne peut penser les tenants et les aboutissants de son action. Obnubilé par une fin le dépassant, il risque de s’acharner telles les abeilles (p. 160) : « Elles se brisent les ailes contre les pierres dures, et vont jusqu’à rendre l’âme sous leur fardeau. »

Simone Weil, La Condition ouvrière

Faire du travail un simple moyen d’apport de gain conduit à un oubli de soi menant à l’aliénation : « [Le travailleur devient alors] un objet inerte que chacun peut à tout moment changer de place. »

In fine, si le travail ne vaut pas par lui-même, en ce sens qu’il vise toujours un résultat et ne peut donc constituer une fin en soi, comme pourrait l’être le jeu par exemple, peut-être la clé réside-t-elle dans la capacité humaine à faire de l’action de travailler une voie conduisant l’homme vers un but supérieur. Celui de trouver le sens de sa vie. À ce sujet, peut-être, comme évoqué en introduction, faut-il garder à l’esprit l’aphorisme de Lao Tseu : « Le but n’est pas le but, le but c’est la voie. »