Cet article portant sur l’ouvrage de Michel Winock, La Fièvre hexagonale, s’adresse autant aux A/L pour qui le sujet de cette année est « Mouvements protestataires et luttes populaires (France, 1831-1968) » ainsi qu’aux B/L.
Introduction
Une crise politique désigne une perturbation qui met profondément en danger le système de gouvernement. Dans son ouvrage La Fièvre hexagonale (1986), Michel Winock cherche à mettre au jour la continuité entre les crises politiques connues par la France entre 1870 et 1968.
Ainsi, 1870 est la date où, selon lui, le monarchisme et le césarisme auraient été terrassés une bonne fois pour toutes. Et 1968, la date où les Français seraient rentrés dans l’ère démocratique. La Commune, 16 mai 1877, le Boulangisme, l’affaire Dreyfus, le 6 février 1934, le 10 juin 1940, le 13 mai 1958 et Mai 68 mettent la France à rude épreuve.
Michel Winock est un historien français spécialiste de l’histoire de la République française ainsi que des mouvements intellectuels et politiques. Ses travaux l’ont conduit en particulier à traiter les thèmes du socialisme, de l’antisémitisme, du nationalisme et des mouvements d’extrême droite en France. Il est professeur des Universités à Sciences Po Paris.
I. Une typologie des crises politiques françaises entre 1870 et 1968
Les cinq critères de Michel Winock
Michel Winock essaie d’établir une typologie des crises françaises. Pour ce faire, il utilise cinq critères : l’origine, le sens, l’amplitude, le dénouement et la portée. On peut alors répartir ces critères en deux familles.
Des critères événementiels : l’origine, l’amplitude et le dénouement. Ces critères reposent sur l’observation (le « détonateur » contingent de la crise, par exemple : démission, déclaration), ou la mesure (« crisométrie » : nombre de jours, de participants, de victimes) des faits historiques.
Des critères interprétatifs : le sens et la portée. Ces critères appellent le travail d’un historien. Il s’agit d’interpréter dans une perspective chronologique la teneur de la crise (sociale, idéologique, politique…). Il s’agit également d’interpréter son influence dans l’histoire d’un régime.
Crises intrasystème et antisystème
La crise intrasystème éclate à cause des contradictions entre les institutions du régime. C’est notamment le cas du 16 mai 1877. La tradition du pouvoir exécutif est alors entrée en contradiction avec les velléités a priori du pouvoir parlementaire. À un degré beaucoup plus intense, aggravé par la défaite, c’est ce qui se passe également le 10 juin 1940.
La crise antisystème naît d’une volonté d’y mettre un terme et non pas de le réformer comme la crise intrasystème. C’est notamment le cas de la crise boulangiste (1889), de l’affaire Dreyfus (assaut de Déroulède en 1899). Elle naît d’un déficit de légitimité, ou d’un déficit d’autorité du pouvoir en place.
L’histoire de la Troisième République est intimement liée à ces deux types de crises. C’est-à-dire au débat entre légitimité parlementaire et démocratie directe. Le paradoxe est que le régime, qui a su surmonter les crises antisystèmes, s’effondre sur une crise intrasystème. En effet, cette crise est le passage au pouvoir autoritaire du maréchal Pétain. C’est aussi le cas de la Quatrième République, qui s’effondre sur sa première crise intrasystème, sans jamais avoir connu de véritable crise antisystème, malgré les oppositions qu’elle rassemble dès 1947.
Crise mortelle et crise d’adaptation
La crise mortelle met fin au régime en place qui ne lui survit pas. C’est notamment le cas en 1940, ou en 1958.
La crise d’adaptation aboutit à la survie par l’adaptation du régime aux réalités politiques de la crise qui l’a mis en danger. Ainsi, soit les institutions sont adaptées, soit la loi est actualisée. C’est au travers de telles crises que le modèle républicain s’est façonné en France. En effet, en 1877, le législatif l’emporte sur l’exécutif (confirmant le compromis de 1875). En 1889, c’est la pratique de la dissolution qui est exclue. De plus, en 1899, c’est le droit individuel qui l’emporte sur la raison d’État.
Cependant, ces deux crises ne sont pas si facilement séparables. Le cas du 6 février 1934 est un bon exemple d’une crise d’adaptation (Union nationale, projet de réforme de G. Doumergue), qui s’avère en fait un prologue de la crise du 10 juin 1940, mortelle pour la Troisième République.
II. Deux crises pleines de sens : la Commune (1871) et Mai 68 (1968)
Les sens d’une crise politique, selon Michel Winock
Winock subdivise le critère du « sens » d’une crise selon les trois grandes problématiques qu’il analyse dans la vie politique française. Ces problématiques sont la question sociale, la question religieuse et la question nationale.
Ce qu’il remarque, c’est que la question sociale n’a jamais pris l’ampleur qu’elle aurait dû prendre dans la République. Alors qu’Engels prédisait du régime républicain qu’il exacerberait la lutte des classes en tant qu’étape intermédiaire entre monarchie et communisme, aucune crise politique n’a vraiment pris le sens d’une crise sociale, au sens marxiste.
Selon Winock, c’est parce que la « République bourgeoise » a toujours su détourner la crise sociale vers le débat idéologique de l’Église et de la Nation que le prolétariat n’a jamais pu exercer son action directe. Il y a toujours eu une menace monarchiste et nationaliste à droite, qui a poussé les classes ouvrières à se ranger aux côtés du régime.
La Commune (1871), mort du Second Empire et fin de la lutte des classes en France
La crise de la Commune est une crise particulièrement importante dans la chronologie de Winock parce qu’elle n’est ni une crise antisystème ni une crise intrasystème. C’est une crise « d’un autre temps », qui marque la fin d’une époque et le début d’une nouvelle. Presque comme si, en achevant le Second Empire en état d’agonie depuis Sedan (2 septembre 1870), elle fermait le XIXᵉ siècle et ouvrait le XXᵉ en plein sur la question nationale.
D’un point de vue événementiel, la crise de la Commune acquiert une importance par l’ampleur de la répression versaillaise qu’elle provoque. En effet, la « Semaine sanglante » fait au bas mot 25 000 morts.
D’un point de vue interprétatif, elle n’est pas en reste, puisqu’elle marque, selon l’ancien communard Benoît Malon, « la troisième défaite du prolétariat français ». Elle a décapité le mouvement socialiste français pendant au moins 20 ans. Cependant, son aspect authentiquement révolutionnaire et socialiste est encore débattu. En effet, les communards étaient davantage attachés à la mise en place d’une République socialiste laïque, organisée par le bas, qu’à l’abolition de toute forme d’État. Il ne faut pas oublier comment la première Internationale (1860-1871) a instrumentalisé l’événement, puis la troisième (1919-1943).
Mai 68, mort de la République gaulliste et adaptation de la démocratie française
De façon similaire à la Commune, Mai 1968 est une crise « d’un autre temps ». Cela s’explique au sens cette fois où elle ferme le XXᵉ siècle politique et social. Il s’agit d’une crise mortelle pour la République gaulliste, tout en étant une crise d’adaptation pour la Cinquième République. Elle marque l’entrée dans une nouvelle ère démocratique et institutionnelle, où la cohabitation politique, y compris dans l’opinion publique, est possible. Pour la première fois, ce n’est plus la gauche qui l’emporte après crise, mais la droite.
D’un point de vue événementiel, ce n’est pas le nombre de victimes qui en fait une crise particulièrement intense. C’est plutôt l’effervescence médiatique et la mobilisation de la jeunesse, puis des syndicats qui la démarquent.
C’est tout pour cette fiche, qui nous l’espérons, t’aura permis d’y voir plus clair sur cet ouvrage de Michel Winock et la période qu’il analyse ! Pour plus d’articles sur la prépa littéraire, n’hésite pas à cliquer juste ici !