travail

Soumission et aliénation. Voilà deux termes régulièrement employés pour traduire les soupirs des travailleurs opiacés. Dès lors, dans cet article, Major-Prépa te propose de t’éclairer certaines pistes. 

Le travail comme un poids irréversible écrasant l’être 

« Les prisonniers du boulot/N’font pas de vieux os/Ils bossent 11 mois pour les vacances/Et sont crevés quand elles commencent/Un mois plus tard, ils sont costauds/Mais faut reprendre le boulot. », Henri Salvador, Le travail c’est la santé, 1965

« Il y a deux facteurs dans cet esclavage : la vitesse et les ordres. La vitesse : pour ‘y arriver’, il faut répéter mouvement après mouvement une cadence qui, étant plus rapide que la pensée, interdit de laisser cours non seulement à la réflexion, mais même à la rêverie. […] Il faut ravaler, refouler tout au fond de soi, irritation, tristesse ou dégoût : ils ralentiraient la cadence. Et la joie de même. »

Tel est le portrait de « l’usine, le travail, [et] les machines » dressé par Simone Weil à Albertine Thévenon. Dès lors, à l’image de l’avatar d’un Atlas malheureux, condamné à porter le lourd poids des contraintes et souffrances de son métier, le travail semble indéniablement peser mentalement et physiquement sur la santé du travailleur. 

Le travail détourne l’homme de son chemin

Rapidité, efficacité, productivité ; rapidité, efficacité, productivité ; rapidité… Voilà le champ lexical ternaire rythmant les journées harassantes de La Condition ouvrière de Simone Weil. Rapidité, efficacité, productivité. « Le tragique de cette situation, c’est que le travail est trop machinal pour offrir matière à la pensée […]. Penser, c’est aller moins vite ; or, il y a des normes de vitesse, établies par des bureaucrates impitoyables. » Dès lors, rarement la polysémie du terme aliénation n’a semblé décrire aussi bien les effets parfois pervers du travail. 

  • L’aliénation comme dépossession de soi et perte d’autonomie. Par l’absence de matière pour réfléchir, regretté par Simone Weil, le travail ouvrier semble préjudiciable à la pensée qui, provenant du latin pensare (penser, évaluer, peser), constitue la condition sine qua non de l’accomplissement de ce que nous sommes. Aliéné par un travail devenu aussi venimeux qu’un serpent ardent, l’ouvrier, à « la docilité de bête de somme résignée », ne peut s’émanciper et se voit alors condamné à des conditions qui parfois « rappellent celles de l’esclavage ». (La Condition ouvrière).
  • L’aliénation comme folie. Par-dessus bord de Vinaver offre à ce sujet un tragique exemple à travers le personnage de Benoît lorsque, devenu PDG, ce dernier débranche son père dans un élan dionysiaque et dévastateur. 

Une étreinte de l’esprit humain 

Étreint dans l’étau de la recherche perdue et infinie de faire face à la nécessité et aux attentes, l’homme finit par se fatiguer et s’user. C’est ainsi que l’on peut appliquer aux hommes la formule employée par Virgile pour décrire le travail des bœufs : « Que leur servent leur labeur et leurs bienfaits ? que leur sert d’avoir retourné avec le soc de lourdes terres ? »

Questions lancinantes et pourtant essentielles qui semblent devenues hors de portée de travailleurs aliénés dans « l’étau de la subordination » (Expérience de la vie d’usine, Simone Weil). Rapidité, efficacité, productivité ; rapidité, efficacité, productivité… 

Des instruments dociles 

Devenu un simple instrument de profits, l’être « docile » se voit alors exploité par la domination pyramidale qu’expose Michel Vinaver à travers l’exemple de Dutôt, renvoyé pour avoir émis l’idée selon laquelle les « bêtises [viendraient] de plus haut ».

Rapidité, efficacité, productivité ; rapidité, efficacité, productivité ; rapidité, efficacité, productivité. Définitivement, voilà la mesure ternaire qui semble orchestrer une mélodie du travail morbide et peut-être fatale

Boîte à citations à propos du caractère désorientant du travail

Simone Weil, La Condition ouvrière

Le travail entraîne l’être dans un « train-train vulgaire », un cercle vicieux et mortifère : « [Le travail] mène à l’épuisement, à la maladie, à la mort. » « Ainsi il ne reste pas d’autre sentiment possible à l’égard de son propre sort que la tristesse. »

Le travail ôte l’être de son humanité et le métamorphose en roseau mourant : « Rien ne paralyse plus la pensée que le sentiment d’infériorité nécessairement imposé par les atteintes quotidiennes de la pauvreté, de la subordination, de la dépendance. » « Esprit [devenu] vide de pensée, [le travailleur est condamné] à tuer son âme pour huit heures par jour, sa pensée, ses sentiments, tout. »

Le travail est inhumain : « Concilier les exigences de la fabrication et les aspirations des hommes qui fabriquent est un problème que les capitalistes résolvent facilement en supprimant l’un de ses termes : ils font comme si ces hommes n’existaient pas. »

Michel Vinaver, Par-dessus bord 

Le travail étreint l’homme et l’éloigne de la lumière. Monsieur Onde se décrit alors comme : « Une taupe creusant ses galeries sans presque jamais faire surface. » « Perdue dans l’immensité de [son] champ de recherche. » « Chemin[ant] dans le noir. »

Rapidité, efficacité, productivité… Le champ lexical ternaire aliénant et omniprésent dans La Condition ouvrière se retrouve également au cœur de l’œuvre de Michel Vinaver : « Ceux d’entre vous qui n’adopteront pas la cadence eh bien ils resteront sur le quai ce n’est pas une menace c’est une constatation. » (Benoît, quatrième mouvement) « Manger, travailler, dormir. » (Margerie, deuxième mouvement : les structures ternaires sont à la fête, comme si le cercle aliénant décrit dans Les Géorgiques de Virgile ne pouvait cesser.)