La France a un long héritage historique de puissance. Mais, des ravages de la Seconde Guerre mondiale à l’émergence du monde globalisé multipolaire, en passant par le monde post-colonial, le concept de France-puissance a-t-il encore une légitimité ? Les prétentions françaises à la puissance sont encore fortes. Mais la France a-t-elle les moyens de réaliser ses ambitions ou l’affirmation de sa puissance est-elle entravée par un affaiblissement relatif dans l’ordre mondial ?
N’hésite pas à consulter notre colle : « La France est-elle une puissance en déclin ? »
De fortes prétentions françaises à la puissance
Les ambitions gaulliennes d’une puissance singulière
L’ambition de De Gaulle était de faire émerger une voie singulière française sur la scène internationale. C’est-à-dire non vassalisée à un bloc. Alors que la guerre froide conduit le monde à se bipolariser, de Gaulle soutient l’importance de l’indépendance stratégique de la France. Sans pour autant renier le camp occidental. Ainsi, en 1966, de Gaulle effectue une visite officielle en URSS. Une visite qui illustre la politique gaullienne d’ouverture vers l’Est, malgré l’appartenance de la France au bloc occidental.
La reconnaissance de la République populaire de Chine par la France de De Gaulle en 1964, contre la ligne directrice de Washington, illustre également cette volonté d’affirmer l’autonomie stratégique française. « La reconnaissance de la RPC par le général de Gaulle constituait donc l’un de ses faits d’armes pour affirmer l’indépendance de la France face aux États-Unis, montrant que sur un sujet majeur, elle prenait ses décisions de façon autonome. » (Pascal Boniface, « La France face à la Chine, que faire ? », Revue internationale et stratégique, vol. 115, no. 3, 2019).
Il ne s’agit pourtant pas de renier le bloc occidental, en témoigne le soutien français aux États-Unis lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.
Dans le monde post-guerre froide, cette volonté d’incarner une puissance occidentale singulière n’a pas été abandonnée. Elle s’illustre par exemple lors du discours de D. de Villepin à l’ONU en 2003. Dans ce dernier, le ministre des Affaires étrangères français affirme l’opposition de son pays à une intervention militaire en Irak.
Quelle place pour la prétention française à la puissance dans un monde globalisé ?
Aujourd’hui, le monde post-guerre froide multipolarisé impose à la France une mutation de sa puissance. La France doit faire face à l’émergence de nouveaux interlocuteurs incontournables sur la scène internationale qui, bien souvent, affaiblissent relativement sa puissance. Étant donné ses moyens, la France ne peut en effet pas prétendre à être une puissance unilatérale. Sa puissance ne peut se fonder que sur une approche multilatérale.
Et de fait, c’est par la promotion du dialogue multilatéral que la France parvient à s’établir comme un pays interlocuteur ou intermédiaire de premier choix sur de nombreuses questions internationales. Elle s’attache à cultiver une diplomatie multilatérale en participant à de nombreuses instances internationales. La France a ainsi un rôle charnière d’intermédiaire dans les relations entre les États-Unis, l’Union européenne ou encore le G5 Sahel. Ce dernier étant un cadre institutionnel favorisant une coopération régionale accrue entre cinq pays sahéliens (avant le retrait du Mali), relativement au développement et à la sécurité.
L’Union européenne, une opportunité pour redéfinir la puissance française ?
Dans un monde post-colonial, dans lequel la puissance française semble avoir été amoindrie, la construction européenne a servi à l’affirmation de la puissance française. En effet, la construction de l’Union européenne a longtemps été stratégiquement dominée par la France.
Et bien que l’Allemagne réunifiée et les élargissements successifs aient déporté le centre de gravité de l’Union européenne vers l’est, la solidité (ébranlée aujourd’hui ?) du noyau franco-allemand permet à la France de garder une place prédominante dans l’Union.
Quels atouts servent les ambitions françaises ?
Des atouts économiques
La France demeure, malgré son affaiblissement relatif à l’émergence d’autres puissances, dotée d’atouts économiques et technologiques considérables. En 2022, la France se positionne au septième rang des puissances économiques mondiales, selon le FMI.
L’économie française est notamment reconnue pour ses performances dans de nombreux secteurs de pointe. Aéronautique, biens de luxe (LVMH, Kering) et viticulture de prestige, construction navale (Naval Group), agroalimentaire (Danone), automobile (Renault) ou industrie de l’armement (Safran, Thales).
La France dispose par ailleurs d’un food power, se hissant parmi les principaux exportateurs agricoles mondiaux. Elle est, par exemple, au premier rang européen et cinquième rang mondial pour la production de blé. En 2019, la France était le sixième pays exportateur agroalimentaire mondial. Elle détenait 5 % des parts du marché mondial.
Un réseau diplomatique conséquent et une puissance militaire au service d’un interventionnisme responsable
Quelle présence française dans le monde ? La France a cultivé un réseau diplomatique conséquent. Elle dispose en effet de 163 ambassades, ce qui en fait le troisième réseau d’ambassades et de consulats mondial. Derrière les États-Unis (168 ambassades) et la Chine (164 ambassades).
Seuls 32 États ne disposent pas d’antenne diplomatique française sur leur territoire. Ce qui n’empêche pas les questions relatives à ces pays d’être traitées depuis les ambassades ou consulats de pays voisins. C’est notamment le cas du Bhoutan, qui n’entretient pas formellement avec la France de relations diplomatiques. Pour autant, l’ambassade française à New Delhi et le consulat français à Calcutta sont habilités à traiter les questions relatives au Bhoutan.
De plus, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et détentrice de l’arme nucléaire, la France fait partie des cinq puissances (officiellement) incontournables sur la scène internationale. Dans ce cadre, la puissance française est soutenue par son potentiel militaire, qu’elle emploie au service d’un interventionnisme qu’elle veut responsable. Les forces militaires françaises sont déployées dans le cadre d’opérations de maintien de la paix, d’assistance humanitaire ou de formation des armées locales. Presque toujours sous l’égide des Nations unies ou d’une instance multilatérale.
L’opération Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Corne de l’Afrique, enclenchée en 2008, s’est ainsi effectuée sous l’égide de l’Union européenne. L’opération DAMAN au Liban s’effectue ainsi dans le cadre de l’opération FINUL commandée par l’ONU, avec un objectif de maintien de la paix au Sud-Liban. Les capacités militaires françaises s’appuient sur une industrie de l’armement efficace et complète, incarnée par des entreprises innovantes et compétitives, comme Airbus Group, Dassault Aviation ou encore Naval Group.
Cultiver le soft power français
L’efficacité du soft power, c’est-à-dire des moyens d’influence non coercitifs d’un État, est liée à sa puissance. Outre sa politique étrangère, matérialisée par l’attachement de la France à son réseau diplomatique notamment, le soft power français s’exprime également par la promotion de ses valeurs et, bien évidemment, sa culture. Dans le classement Soft Power 30, la France a occupé entre 2015 et 2019, deux fois le premier rang (en 2017 et 2019).
Une position que le cabinet Portland, à l’origine du classement, justifie par l’importance du réseau diplomatique français et du réseau Alliance Française, qui vise à promouvoir la culture et la langue françaises. Mais aussi par l’implication française dans les instances multilatérales. Ce dernier point s’illustre notamment par l’organisation d’événements multilatéraux. On retiendra par exemple la tenue en 2019 d’un sommet du G7 à Biarritz.
Le potentiel touristique de la France témoigne non seulement de son fort attrait culturel, mais également de la force de son capital naturel. La richesse du patrimoine français (Domaine de Versailles, musée du Louvre, Centre Pompidou…) et de ses parcs à thème (Disneyland, Futuroscope…) sert son attractivité. De même que ses parcs naturels et ses stations hivernales. Dans les classements internationaux, la France se place presque systématiquement – et depuis plusieurs décennies – au premier ou au deuxième rang des destinations touristiques mondiales. Le pays a ainsi accueilli 89 millions de touristes internationaux en 2017.
Quels freins à l’expression de la puissance française dans un monde globalisé ?
Les fragilités économiques françaises à l’épreuve de la mondialisation : les limites françaises exogènes
Malgré l’affirmation de grandes firmes françaises dans la mondialisation, force est de constater que la mondialisation multipolaire a considérablement fragilisé l’économie française. Car parallèlement à son déclin relatif, la France a vu s’affirmer les puissances émergentes. Parfois des États-continents au potentiel économique bien plus important, qui, parfois, tendent à supplanter leur influence dans ses aires traditionnelles d’influence (la Chine ou la Russie en Afrique par exemple).
La désindustrialisation est caractéristique de la fragilité de l’économie française face à la mondialisation. La désindustrialisation des années 1970, bien que générale dans les pays de l’OCDE, a été particulièrement violente en France. Notamment dans les secteurs du textile, de la sidérurgie ou les charbonnages. 5 700 000 personnes étaient employées dans l’industrie en 1974, contre un peu plus de trois millions en 2019.
Cette difficile adaptation à la mondialisation en France se traduit par une fracturation toujours plus marquée de la société entre les gagnants de la mondialisation (populations urbaines aisées, personnels qualifiés…) et ceux qui s’en estiment perdants (populations des zones rurales, entreprises de secteurs en déclin…).
Des fragilités à l’épreuve du déficit et de la dette : les limites françaises endogènes
Sauf dans certains secteurs économiques, la France est déficitaire. Le déficit de la balance industrielle s’est exacerbé depuis le début du processus de désindustrialisation dans les années 1970. Et, malgré les politiques publiques menées pour résorber ce problème, la dépendance énergétique française aux importations reste importante. La facture énergétique de la France s’élève ainsi à 25,5 milliards d’euros en 2020. Une année pourtant de faible activité économique, du fait de la crise de la Covid-19, mais tout de même en baisse de plus de 20 milliards d’euros par rapport à 2019.
En outre, le financement du modèle social français exige la mise en place d’importants moyens afin de garantir un haut niveau de protection sociale. Services publics assurés par l’État, prestations d’assistance sociale financées par les collectivités territoriales et dépenses de la Sécurité sociale. Les dépenses des collectivités territoriales se sont largement intensifiées pendant la crise du coronavirus (dispositif du chômage partiel mis en place pour limiter les ruptures des contrats de travail).
En février 2021, l’assurance chômage annonce que son déficit est de 17,4 milliards d’euros en 2020, dont plus de la moitié correspond au financement de l’activité partielle. De manière générale, en 2021, le déficit public s’élève à 6,5 % du PIB, tandis que le montant de la dette atteint 112,9 % du PIB. Au regard de cette dégradation de la situation, la question de la soutenabilité de la dette peut se poser.
Pour compléter cette analyse des enjeux de la puissance française, je te propose de jeter un coup d’œil à cet article !