En khâgne A/L, que ce soit pour le concours d’Ulm ou celui de Lyon, la dissertation de philosophie se doit de faire avancer la réflexion. Or, pour ce faire, une méthode est cruciale : l’utilisation de couples conceptuels. Nous t’expliquons dans cet article comment en tirer parti dans tes dissertations de tronc commun : retrouve ici nos conseils pour tes dissertations de spécialité Philosophie Lyon.
Qu’est-ce qu’un couple conceptuel ?
Un couple conceptuel est une paire de notions ou concepts qui, en général, s’opposent. Ce ne sont pas des antonymes, mais bien deux manières de conceptualiser différentes pour un même objet. Passons directement aux exemples.
Exemples de couples
Un couple conceptuel classique est celui d’objectif/subjectif. Ainsi, pour une même notion (par exemple, la connaissance), on peut à la fois considérer une connaissance objective d’une part, et une connaissance subjective, d’autre part.
Or, tu vois bien que ce n’est pas la même chose. Une connaissance objective (c’est-à-dire la connaissance telle qu’on la pense habituellement) ne pose pas les mêmes enjeux qu’une connaissance subjective.
- L’une est davantage légitime (en tout cas a priori), mais elle doit donc être assurée. Comment assurer l’objectivité de la connaissance ? La connaissance se résume-t-elle alors à la science ? (Et encore faut-il prouver que la science est objective.) N’y a-t-il pas des connaissances objectives qui nous desservent ?
- L’autre est a priori une connaissance de moindre valeur. Or, n’y a-t-il pas des domaines de connaissance parfaitement légitimes ?
Tu l’auras compris, le couple objectif/subjectif est crucial pour interroger la légitimité d’une connaissance. Il est donc par exemple important de le maîtriser si ton domaine de l’année est l’épistémologie. De même pour les sciences humaines. Durkheim par exemple pense la sociologie comme cette science, dont l’objet est le sujet même, ce qui met donc en péril son objectivité.
Un couple conceptuel permet de problématiser une notion, un domaine et un sujet de manière générale
Prenons deux exemples.
- En 2020, pour les A/L, le domaine était la science. Le sujet de dissertation de philosophie tronc commun était « Science et objectivité ». Il fallait donc, entre autres, considérer une science qui puisse être subjective, pour mieux interroger l’objectivité de la science.
- En 2021, le domaine était la politique. Le sujet était : « L’État, c’est moi. » Il fallait ici opposer État, peuple et citoyen. Les trois concepts se regroupant, pour mieux penser l’incarnation du pouvoir et les problèmes qu’elle pose.
Remarque donc qu’un « couple » conceptuel peut se décliner en trouple, voire en groupe de quatre. Comme c’est le cas par exemple du repère de terminale universel/particulier/général/singulier.
Les couples à maîtriser en khâgne
Pour le tronc commun de philosophie de khâgne, deux familles de couples conceptuels doivent être maîtrisées.
- Les repères de terminale. On attend de toi que tu maîtrises toujours, à bac+2, ce que tu étais censé·e maîtriser au moment du bac.
- Les grands couples conceptuels associés au domaine au programme de l’année (en 2022-2023, les sciences humaines). Le jury de l’ENS part du principe qu’après avoir travaillé un domaine spécifique pendant plus de six mois, tu es capable d’en déceler les principaux repères conceptuels.
Tu peux retrouver la liste des repères de terminale à connaître issus du programme de l’Éducation nationale sur le site. Et aussi la liste des repères fondamentaux pour une dissertation de philosophie portant sur le domaine des sciences humaines.
Pourquoi les utiliser ?
Parce qu’ils sont le signe d’une réflexion proprement philosophique
Tu l’auras compris, l’utilisation des couples conceptuels vise à approcher une notion de différentes manières, permettant ainsi d’en relever les enjeux. Or, ces enjeux peuvent parfois être contradictoires. Les couples conceptuels servent donc à relever ce qu’il y a de problématique dans chaque sujet, la tension interne à chaque sujet.
Dès lors, le couple conceptuel est ce qui te permet de dépasser un simple sujet pour arriver au stade de la problématique. Or, il n’y a pas de pensée proprement philosophique sans problématisation préalable. Tu nous suis : il n’y a donc pas de pensée philosophique sans conceptualisation.
Parce qu’ils sont attendus par le jury de l’ENS
Si nous avons vu qu’on attend de toi, deux voire trois ans après avoir passé le bac, que tu connaisses les repères qui y sont au programme, il faut aussi noter que le jury de l’ENS attend également d’un candidat qui a passé un an à travailler sur un domaine ou une notion qu’il sache un minimum nuancer les approches des grands sujets qui lui sont propres.
Par exemple, si tu travailles sur la politique et le droit, tu dois maîtriser la différence entre une démocratie, une tyrannie et une aristocratie. De même, tu dois pouvoir faire la différence entre une République et une démocratie, entre la res publica et la res privata, etc.
Chaque grand domaine (la science, la politique et le droit, l’art, la morale, la métaphysique) a ses grands concepts. Constitue donc une liste de concepts propres à ton domaine au programme au fur et à mesure de l’année, comme nous l’avons fait pour les sciences humaines.
Parce qu’ils font la différence entre une bonne et une mauvaise dissertation
Si le jury de l’ENS tient autant à la conceptualisation, ce n’est pas par pur caprice méthodologique. C’est parce que, comme nous l’avons dit, elle est un élément nécessaire à une pensée philosophique. Et donc, à une bonne dissertation.
Très concrètement, une dissertation qui ne fait aucune différence conceptuelle est une dissertation qui stagne et qui se contente probablement de répéter les mêmes idées. Peut-être avec des auteurs différents, mais sans peser le pour et le contre. C’est-à-dire sans mouvement dialectique, élément essentiel pour obtenir une bonne note.
Or, ce mouvement dialectique nécessite un mouvement conceptuel. Pense au triptyque en soi/pour soi/en-soi-pour-soi d’Hegel, paradigmatique du mouvement dissertatif. Ce n’est en effet pas pour rien qu’on assimile toujours la méthode de dissertation philosophique à sa pensée. C’est parce qu’elle décrit très précisément ce mouvement où l’on jongle d’un concept à un autre. Voyons maintenant comment tu peux t’approprier ce mouvement pour l’appliquer à tes propres copies.
Comment utiliser les couples conceptuels ?
Du sujet à la problématique
Nous l’avons vu, la conceptualisation permet de passer du sujet à la problématique. C’est-à-dire du sujet donné tel quel à l’explicitation de pourquoi il fait problème.
- Par exemple, le sujet « Peut-on délimiter l’humain ? » (ENS 2017), que tu peux par ailleurs travailler en t’aidant du rapport du jury pour préparer l’épreuve de cette année qui porte également sur les sciences humaines, porte le terme délimiter, qui indique lui-même la limite. Or, quelqu’un comme Kant par exemple pense le couple limite/borne, utile donc pour ce sujet qui invite à considérer les limites d’une science de l’homme, ainsi que le couple plus classique limité/illimité. Le « peut-on » peut également se décliner sous la forme du couple capacité/possibilité », l’humain par le couple « sujet/objet ». La délimitation, qui traduit la science – entre autres –, par le couple science humaine/science dure, etc.
Ces couples aident donc à arriver à une problématique possible : a-t-on la possibilité éthique de faire de l’homme un objet de science, c’est-à-dire de le définir et donc de le circonscrire, ou en tant qu’il est sujet, l’humain présente toujours des limites qui nous empêchent de l’étudier comme on étudie l’animal ou l’inerte ?
Voici ce que le jury dit des distinctions conceptuelles possibles pour ce sujet et de leur importance :
Les meilleures [copies] ont proposé des distinctions conceptuelles entre l’homme, l’humanité, « humain » comme adjectif et l’humain comme adjectif substantivé. La distinction entre « non-humain » et « inhumain » a souvent été manquée. Et ce qui n’était pas humain a en général été ramené à l’animalité (sans qu’il soit même envisagé que l’homme soit lui aussi un animal), avec un double oubli : celui de la technique (transhumanisme et robots humanoïdes) et celui du divin.
Il faut noter que si ici, le terme humain appelle facilement à la conceptualisation, parfois, le concept n’est pas donné tel quel dans le sujet. Il faut donc apprendre à appliquer les concepts aux termes de l’énoncé, quels qu’ils soient, pour pouvoir traiter n’importe quel sujet.
- Par exemple, un sujet tel « Y a-t-il des expériences métaphysiques ? » (ENS 2019), à part le couple physique/métaphysique (qui est davantage historique que conceptuel), ne présente pas de dichotomie conceptuelle claire. C’était alors au candidat, dans l’analyse du sujet, de travailler le terme d’expérience pour y trouver les conceptualisations utiles – par exemple, l’activité vs la passivité, l’humain vs le divin, etc.
Nous te donnons donc ce conseil : lorsque tu découvres le sujet, écris-le sur une feuille au milieu et fais une liste de tous les couples conceptuels auquel il te fait penser. Tu verras que cette méthode t’aidera non seulement à problématiser, mais également à construire ton plan.
Élaborer un plan
Une fois tes couples conceptuels trouvés, fais un travail, justement, de délimitation : ne les garde pas tous, mais seulement les plus pertinents. Ta dissertation doit en effet avoir une directive nette et non pas s’éparpiller sous la forme d’une pensée tiroir qui ne ferait que lister les concepts auxquels un sujet fait penser, et non pas les concepts qui donnent à penser.
Par exemple, mettons que pour le sujet d’épistémologie « Expliquer » (ENS 2015), tu aies décelé, comme le préconise le rapport du jury, les couples donné/construit et objectif/subjectif. Or, pour problématiser, il faut choisir. Cela ne signifie pas que tu ne pourras pas utiliser, à un moment ou un autre de ton développement, l’autre couple que celui que tu as choisi. Mais il faut que le fil rouge de ta pensée aille dans une direction précise.
Une fois les couples conceptuels les plus pertinents repérés et la problématique élaborée, tu peux alors commencer à construire ton plan, en envisageant les différentes perspectives sous lesquelles tu devras analyser le verbe du sujet.
Note qu’un couple conceptuel A/B ne donne pas automatiquement un plan de la forme I. A, puis II. B. Simplement, il peut te donner des pistes quant aux différentes perspectives que tu pourras adopter au fur et à mesure de ton développement. À toi d’affiner ces perspectives en utilisant plusieurs concepts, ainsi que tes connaissances philosophiques, les textes aidant beaucoup à conceptualiser.
Comprendre et utiliser un texte
Si les textes donnent et aident à penser, c’est justement parce qu’ils sont eux-mêmes construits avec des concepts, qui se répondent et affinent la pensée de l’auteur au fur et à mesure. Prends par exemple le fameux texte de Sartre sur le coupe-papier. C’est en différenciant humain et objet, mais surtout existence et essence, qu’il arrive à sa thèse finale. À savoir que le propre de l’homme est d’être défini par son existence et non par son essence. Contrairement à l’objet inerte, créé pour un but précis.
Ainsi, l’utilisation de couples conceptuels est donc utile non seulement en dissertation, mais également en commentaire de texte. C’est d’ailleurs en lisant les auteurs directement – et non pas seulement des fiches faites de seconde main –, ne serait-ce qu’avec des extraits, que l’on comprend le mieux ce que sont les couples conceptuels, comment les utiliser et comment ils font avancer une réflexion.
Des pensées comme celles d’Aristote, de Descartes ou de Kant sont par exemple très formatrices pour apprendre à conceptualiser et à avancer avec ces concepts. Ils passent en effet la plupart de leur temps à différencier des concepts et à montrer en quoi ces derniers font avancer la réflexion.
Faire avancer la réflexion, la clé d’une bonne dissertation
Le plus grand intérêt des couples conceptuels est en effet qu’ils permettent de progresser dans la réflexion, c’est-à-dire de faire avancer la pensée, en partant de ce qui a déjà été établi pour continuer à réfléchir en incorporant quelque chose de neuf. Un nouveau point de vue, un nouveau texte, un nouvel exemple. Pense donc les repères conceptuels comme un changement de point de vue, qui permet d’affiner la pensée que tu as de quelque chose.
Quelques exemples
Voici quelques exemples encore qui permettent de comprendre concrètement comment utiliser les concepts pour avancer, avec des suggestions de textes où les auteurs travaillent eux-mêmes ces concepts.
- Dans une dissertation d’épistémologie, considérer ce qui dans le II. a) était subjectif comme objectif dans le II. b). Remarquons qu’une bonne troisième partie serait un dépassement du couple subjectif/objectif. La synthèse d’une dissertation, de manière générale, est souvent un dépassement de la dichotomie conceptuelle posée préalablement comme indépassable. Voir Kant, Critique de la raison pure, « Esthétique transcendantale », §8.
- Dans une dissertation de philosophie du droit, considérer une règle donnée comme légitimée en I., mais légalisée en II. La première est inscrite dans les mœurs, même si elle ne l’est pas dans la loi, la seconde est inscrite dans la loi, mais peut-être pas dans les mœurs. Cela permet, par exemple, de construire un plan pour un sujet traitant de la force du droit ou le règne de la loi. Voir Hobbes, Léviathan, chapitres XXI et XXVI.
- Dans une dissertation de philosophie morale, différencier le telos (la fin atteinte indépendamment de notre volonté) du skopos (la fin atteinte consciemment), ou encore le couple actif/passif, permet de penser les modalités de l’action humaine, et plus généralement le problème de la liberté. Si le sujet par exemple est « Les fins humaines », il faut différencier la fin voulue de la fin non voulue. Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, livre X, chapitre VI.
- Dans une dissertation de sciences humaines ou de philosophie politique, différencier la vie biologique (zoe) de la vie humaine, configuratrice et créatrice qui est l’existence (bios), permet de penser entre autres la spécificité de la vie humaine vis-à-vis de l’animal. Voir Platon, Gorgias, 494b-494e.
Conclusion
L’utilisation de couples conceptuels est cruciale dans une dissertation de philosophie de khâgne. Elle montre au jury que tu as travaillé le domaine au programme et que tu connais ses grands enjeux (c’est-à-dire les problèmes qu’il pose), que tu as lu les auteurs et que tu es capable de déployer une réflexion problématisée. Tu ne te contentes pas de répéter le sujet, mais tu montres en quoi il renferme une tension.
Voici donc quelques conseils :
- au fur et à mesure de l’année, établis une liste des couples rencontrés le plus fréquemment pour ton domaine au programme, que tu pourras réutiliser lors de tes révisions ;
- lorsque tu dois problématiser un sujet, pense à lister certains couples. Tu ne les utiliseras pas tous, mais ils t’aideront tout de même à la fois pour analyser le sujet, y déceler la tension et construire ton plan ;
- sois attentif·ve à l’utilisation des concepts dans les textes des auteurs et essaie de reproduire dans tes propres dissertations la manière dont ils utilisent les concepts pour avancer par ce fameux mouvement dialectique de la pensée.
Pour finir, n’hésite pas à affiner ton approche et tes connaissances en consultant nos articles spécialement dédiés aux prépas littéraires juste ici !