philosophie

Les couples conceptuels sont très importants pour la dissertation de philosophie du concours de l’ENS. Que ce soit pour le tronc commun d’Ulm et Lyon ou pour la spécialité Lyon, le principe reste le même. Ils visent à t’aider à problématiser et à construire ton plan, à lire et utiliser finement les auteurs et, de manière générale, à faire avancer la dissertation.

Cependant, il faut savoir que l’on attend des élèves de spécialité Philosophie une utilisation encore plus fine des couples et repères liés aux deux notions au programme. Nous te présentons donc ici ceux qu’il faut absolument maîtriser pour tes dissertations sur « le monde ».

Repères de terminale

Nous reprenons ici les couples au programme de terminale générale depuis 2021 inclus, partant du principe que les élèves qui passent le concours de l’ENS cette année ont passé leur bac après la réforme.

Cependant, si tu es khûbe, bikhârré, ou que pour une raison x, tu as passé le bac avant 2021, pas d’inquiétude : les repères de terminale sont restés, globalement, les mêmes.

Idéal/réel

Ce couple permet de penser les différences entre idéalisme et réalisme. Ces derniers présentent tous les deux, pour le dire schématiquement, une conception différente du monde.

  • Dans l’idéalisme, il existe un monde séparé du nôtre (le monde idéal), doté d’une réalité supérieure.
  • Dans le réalisme, seul notre monde donne à voir le réel. Nul besoin d’en chercher un autre qui présenterait une réalité intelligible.

Tu peux ainsi réfléchir à la différence entre monde idéal et monde réel, par exemple sur un sujet traitant de la phénoménalité du monde.

Il permet également de penser la différence entre le monde réel, tel qu’il est donné dans un temps et un espace singuliers (les nôtres), et un monde idéal posé comme horizon, par exemple politique (la cité idéale chez Platon) ou scientifique (le monde nouménal comme horizon inatteignable par la science, mais tout de même régulateur de la démarche scientifique). Pense ainsi aux utopies et dystopies pour un sujet de philosophie politique, ou encore à la pensée de Popper sur un sujet d’épistémologie.

Le couple idéal/réel permet de travailler le rapport entre monde et pensée

S’il est peu probable qu’un sujet de ce type tombe (le sujet « Vie et pensée » est tombé en spécialité Philosophie LSH il y a deux ans), l’histoire du concept de monde accorde une grande place au rapport entre le cosmos et l’intellection, notamment chez les Grecs.

  • Chez les stoïciens, par exemple, logos et cosmos ne font qu’un.
  • Chez Aristote, mondes sublunaire et supralunaire sont notamment différenciés, respectivement, par la présence de contingence et de nécessité. C’est-à-dire par la capacité qu’a l’intellect d’y percevoir ou non une causalité.
  • Chez Plotin, le monde est indissociable de l’intellect, qui le produit.

Notons aussi que l’idéal renvoie à ce qui existe en idée. Il faut ainsi penser le couple monde intelligible/monde sensible (dans toutes ses acceptions) en lien avec le couple idéal/réel. Idéal étant entendu ici presque comme un synonyme d’idéel.

Transcendant/immanent

La notion de monde, et particulièrement le couple monde intelligible/monde sensible, appelle immédiatement à penser le couple transcendant/immanent. Toute la question est de savoir si l’on peut différencier un monde transcendant (c’est-à-dire radicalement autre et supérieur) et un monde immanent (sensible, matériel, accessible). Ou si la pensée d’un monde transcendant n’est pas incompatible avec le concept même de monde, qui implique peut-être une certaine appartenance à ce dernier, ou en tout cas un sujet pour le penser.

Ne tombe cependant pas dans le travers d’assimiler le couple monde intelligible/monde sensible au couple transcendant/immanent. Ce n’est pas exactement la même chose. Chez Platon, par exemple, la question de la participation empêche de penser une séparation totale entre monde sensible et monde intelligible. C’est-à-dire une véritable transcendance (entendue comme séparation absolue) du monde intelligible.

Théorie/pratique

Ce couple peut sembler quelque peu simpliste, mais il peut être utile pour la notion de monde. Par exemple, tu peux l’utiliser pour te demander si l’idée de monde (théorie) est applicable (pratique) pour des sujets sur le monde réel et le monde idéal (« L’idée de monde est-elle réalisable ? », « Le monde idéal », « La notion de monde a-t-elle un sens ? »).

Ainsi, le couple théorie/pratique est surtout utile pour questionner les fondements pratiques de l’idée de monde. Attention cependant : ce n’est pas le même couple qu’idéal/réel !

Universel/général/particulier/singulier

Enfin, ces quatre repères sont utiles notamment pour tous les sujets de philosophie politique sur le monde. Par exemple pour penser le cosmopolitisme.

Des individus particuliers peuvent-ils former une idée universelle ? Si oui, comment, et est-ce effacer leur singularité ? L’idée de monde peut-elle seulement être universelle ? N’est-elle pas justement trop générale ?

Couples conceptuels

Il s’agit ici de repères que tu n’as pas nécessairement vus en terminale (puisqu’ils ne sont pas au programme). Mais tu dois tout de même absolument les maîtriser cette année.

Tout/partie

Tu l’as compris, une des caractéristiques du monde est de constituer une totalité. Or, il faut alors penser ses parties, que ce soit pour des raisons :

  • métaphysiques (y a-t-il vraiment un monde, c’est-à-dire une totalité ?) ;
  • politiques (comment comprendre le monde sans penser ses habitants, ses pays ou ses régions ?) ;
  • épistémologiques (y a-t-il une science du monde et si oui, est-ce une science du monde comme tout, ou est-ce une science des sommes de ses parties ?).

Organisme/organe(s)

La question du monde comme tout vs le monde comme parties du monde rejoint celle de l’organisme comme tout vs l’organisme comme union de ses organes.

Ce n’est certes pas un couple conceptuel classique, mais il permet de penser bon nombre de sujets. Ce n’est pas pour rien que plusieurs auteurs pensent le monde comme un grand organisme. Il s’agit en fait, avec ce couple, de penser non seulement le tout d’une part et la partie d’autre part, mais plus spécifiquement, le rapport du tout avec ses parties.

Tu peux donc faire des merveilles conceptuelles en unissant l’utilisation du couple organisme/organe à celle du couple tout/partie. Il affine en effet ce dernier, en ce qu’il pense le rapport de la totalité à ses membres, donc, par exemple, du monde à ce qui le compose.

Fini/infini

C’est le couple conceptuel le plus important pour comprendre l’histoire de la philosophie du monde, dont la révolution copernicienne. C’est-à-dire le passage « du monde clos à l’univers infini » au XVIIᵉ siècle est le moment clé.

Attention cependant à ne pas l’utiliser abusivement. S’il est vrai que nous ne pensons plus du tout le monde comme cosmos (fini) mais comme univers (infini), toute notion de monde n’implique certainement pas l’infini. La phénoménologie, notamment, repense notre rapport au monde depuis le début du XXᵉ siècle. Or, qui dit rapport du sujet (qui est fini) au monde dit difficulté, voire impossibilité, de penser le monde comme infini.

Il est donc faux, d’un point de vue d’historien de la philosophie, d’appréhender toujours le monde contemporain comme infini. S’il est vrai de le dire du monde moderne, le monde contemporain change la donne. Nuançant et compliquant notre approche conceptuelle du monde.

Limite/borne

Ce couple kantien, que tu peux néanmoins utiliser pour lui-même tellement il est classique, permet, avec le couple fini/infini cité supra, de questionner le caractère illimité du monde. Il te sera particulièrement utile pour un sujet :

  • orienté épistémologie (« Y a-t-il une science du monde ? », « La science du monde », « Connaître le monde ») ;
  • orienté métaphysique (« Les limites du monde », « La fin du monde ») ;
  • couplant les deux (« Y a-t-il une limite à notre pensée du monde ? »).

Note tout de même qu’en général, les sujets de spécialité Philosophie entrecroisent les six grands domaines de la discipline. « Le monde » est d’ailleurs une notion particulièrement transversale. On peut par exemple penser un sujet tel que « La poétique du monde », qui recoupe à la fois esthétique (le monde comme création de l’artiste, ou plutôt l’artiste comme créateur de monde), épistémologie (les limites d’une appréhension exclusivement scientifique du monde, dont la poésie échappe à un rationalisme pur) et métaphysique (la question de la création du monde invite nécessairement à poser celle du démiurge).

Notions propres à l’idée de monde

Enfin, certaines notions propres au monde viennent individuellement, mais permettent tout de même de travailler conceptuellement un sujet. Ce sont, en général, des notions qui caractérisent le monde (l’harmonie, la totalité) ou notre rapport au monde (le cosmopolitisme, la mondanité ou la mondanéité, etc.).

Ces notions permettent donc de remettre en question la notion de monde (ou en tout cas, la définition qu’on lui prête) pour faire avancer le raisonnement. Par exemple, si le monde est par définition toujours harmonieux, des auteurs comme Nietzsche avancent l’inverse. Ils permettent donc de redéfinir cette notion.

Harmonie

La notion de monde appelle à penser l’harmonie. En effet, le cosmos, initialement, est ce tout harmonieux, où tout a sa place et fait sens, en une beauté.

Or, force est de constater qu’il existe une certaine disharmonie dans le monde. Dès lors, doit-on nécessairement abandonner l’idée de monde ? Le propre du monde n’est-il pas au contraire, comme chez les stoïciens, de réunir harmonie et disharmonie ?

Le rapport entre le monde et son harmonie invite ainsi à penser des sujets de philosophie morale et politique (« Faut-il de tout pour faire un monde ? »), ou encore d’esthétique (« Créer une œuvre, est-ce créer un monde ? »).

Totalité

En général, la première chose que tu abordes pour la notion du monde est qu’il constitue une totalité. C’est surtout le cas du monde grec, totalité harmonieuse.

La notion de totalité est donc indissociable de la notion d’harmonie. Il s’agit, avec le monde, de penser une totalité ordonnée. Or, cela pose plusieurs problèmes. Le monde contemporain et ses dissensions internes, par exemple, mènent à penser une totalité non harmonieuse. Alors, celle-ci peut-elle réellement constituer un monde ?

Cosmopolitisme

C’est par exemple cela qui rend difficile une pensée contemporaine du cosmopolitisme. Celui-ci correspond à une cité politique (polis) mondiale (cosmos), ou plutôt mondialisée, c’est-à-dire totale. Un ordre juridique international et donc universel, une citoyenneté unique.

Pense ainsi au sujet « Le citoyen du monde », et à tes fameux cours de terminale sur la gouvernance mondiale. Compare-les notamment à la manière dont Kant pense une communauté globale des hommes, et les problèmes que cela pose. Une paix mondiale est-elle possible ?

Mondanité

Terme crucial pour la notion de monde, la mondanité signale l’appartenance au monde. Tu peux ainsi la décliner sous plusieurs termes, ou l’opposer à d’autres.

Mondain/cosmique

Est mondain ce qui appartient au monde ; est cosmique ce qui fait monde. Par exemple, Emma Bovary est cosmique, mais sûrement pas mondaine.

La mondanité a alors deux sens. Un sens social (comme dans une « soirée mondaine » ; pense à Proust) et un sens ontologique (l’appartenance au monde comme ordre de réalité ; pense à Platon, sur l’opposition sensible/intelligible).

Intramondain/extramondain

C’est un peu la même idée. Si intramondain sonne comme une tautologie, c’est surtout le terme d’extramondain qui est intéressant. Cela signifie être hors du monde. Pense par exemple aux dilettantes, ou à la figure du poète chez Baudelaire, Mallarmé (dans une certaine mesure), ou encore Apollinaire.

De manière générale, la notion de monde ouvre la voie à des sujets d’esthétique qui interrogent l’insertion (ou non) de l’artiste dans le monde. Ce dernier se réclamant souvent, surtout depuis le XIXᵉ siècle, comme étant hors du monde. Or, peut-on vraiment être hors du monde ? Et si on l’est, alors où est-on ? Qui a accès à cette existence extramondaine, le poète ? Le divin ? Le surhomme ? L’amoureux ? Comment ?

Être au monde/être dans le monde

Cette opposition, d’origine heideggerienne, permet de penser le rapport du sujet au monde. Est-on dans le monde comme un objet inerte dans l’espace, ou le propre du sujet humain n’est-il pas au contraire d’avoir toujours un rapport particulier et premier au monde ?

Note que si tu utilises le terme dans une perspective proprement heideggerienne, que nous t’expliquons ici, il faut rajouter les tirets (être-au-monde). Mais tu peux également parler du fait d’être au monde de manière générale. Plusieurs auteurs permettent de penser la différence entre le au et le dans.

Nuancer ce qu’est le monde

Enfin, l’intérêt des couples conceptuels est de faire progresser ta dissertation en affinant la définition du monde. Rappelons qu’une dissertation sur une notion est une explicitation et surtout une redéfinition progressive de ce qu’est cette notion. Si ta conception du monde dans ton I. a) est la même que celle de ton III. c), alors ta dissertation n’a pas avancé. Et tu t’es probablement répété·e.

Il faut donc avoir en tête les différentes manières de concevoir le monde, qui sont notamment liées à l’histoire de la pensée de cette notion (d’où l’intérêt de maîtriser les grands jalons de cette dernière). Tu peux utiliser les couples suivants pour différencier tes approches du monde. Et donc tes manières de le penser.

Cosmos/chaos

Ce couple correspond à l’opposition entre ordre (kosmos en grec) et désordre. Ils permettent de se demander notamment si un monde fait de désordre peut exister.

Note que kosmos signifie à la fois ordre et bon ordre en grec. Le cosmos suppose donc d’ores et déjà une forme de perfection et d’harmonie. Son ordre est nécessairement bon.

Cosmologie/cosmogonie

La cosmologie est le discours sur le monde, terme utilisé en philosophie jusqu’au XXᵉ siècle. La cosmogonie est le discours sur son origine.

Note bien que cette cosmologie n’est pas la cosmologie entendue comme branche de l’astrophysique contemporaine (cosmologia), mais bien un pan de la métaphysique.

Monde/nature

L’idée de monde implique celle de stabilité. La nature, elle, est changeante et imprévisible.

Monde/univers

Opposition classique de la révolution copernicienne, où l’on passe du monde comme ordre fini, intelligible, parfait, à l’univers infini, inintelligible dans sa totalité et sa grandeur, et dénué de valeur, purement géométrique.

Cosmologia/cosmology/astrophysique/cosmologie

L’opposition cosmologia/cosmology a été faite par G. F. R. Ellis, un physicien américain. La cosmologia correspond à la cosmologie entendue comme métaphysique et la cosmology à la science physique.

Stricto sensu, la cosmologie correspond à la branche de l’astrophysique (l’étude de l’Univers) qui étudie la forme et l’Histoire de l’Univers.

Autrement dit, la cosmologie en astrophysique est la cosmology de G. Ellis, et la cosmologie en philosophie est la cosmologia.

Te voilà donc fin prêt·e pour conceptualiser finement dans tes dissertations sur le monde. N’hésite pas à consulter nos différents articles sur cette notion, destinés aux CPGE ECG, mais qui peuvent quand même t’être utiles. Tu trouveras notamment une présentation de la notion de monde, une suggestion de plan de travail sur l’année (qui est également une liste de tous nos articles sur la notion), ainsi qu’une liste de sujets possibles, à adapter bien sûr aux exigences de khâgne.