Sylvie Brunel a écrit un ouvrage incontournable sur l’Afrique intitulé L’Afrique est-elle si bien partie ?. L’objectif est ici de t’en fournir une fiche détaillée. Cette dernière se concentre sur certains points cardinaux de l’ouvrage. N’hésite pas à utiliser ces éléments en dissertation dans une étude de cas !
Les trois représentations de l’Afrique
Selon Sylvie Brunel, il existe trois représentations de l’Afrique, qui sont les suivantes.
L’Afrique de la misère
En proie au chaos, à la désespérance et à la pauvreté. Vision qui prévaut en particulier dans les années 1990. Hermann Cohen (secrétaire aux Affaires étrangères de Bill Clinton) disait qu’il fallait arrêter de jeter de l’argent dans ce « trou à rats ».
L’Afrique de l’exotisme
Afrique des parcs naturels et des populations « authentiques ». À cet égard, l’Occident continue de cultiver le « syndrome de Tarzan ». Ce dernier consiste à entretenir la certitude de sa compétence gestionnaire concernant les peuples indigènes.
L’Afrique émergente
Passe notamment par l’intégration de l’Afrique du Sud aux BRICS, le renversement des flux de migrations entre Portugal et Angola, ou encore un désendettement exemplaire du continent (120 % du PIB en 2004, moins de 20 % en 2010).
Pour Sylvie Brunel, « disposer de la moitié des terres arables inemployées dans le monde est un atout précieux à l’heure où l’agriculture devient un secteur stratégique ». Selon Lionel Zinsou, le continent africain dispose de « la maîtrise des raretés ».
L’Afrique est en proie aux difficultés
Des inégalités sociales importantes
« L’ampleur des inégalités internes crée des tensions sociales fortes, avivées par l’essor des réseaux de communication et d’information. »
Selon Brunel, il faut distinguer les Africains du « dedans » (citadins qui ont accès à la mobilité choisie et disposent de trains de vie décents) et les Africains du « dehors » (ruraux et exclus des bidonvilles). Cette ségrégation sociale accentue les tensions. D’autant que la pauvreté côtoie au quotidien l’insolente richesse des nantis.
L’importance démographique difficilement contrôlable : « Le chaudron démographique bouillonne. »
Corruption et clientélisme restent également importants
« L’accaparement des richesses par quelques-uns seulement risque de devenir un poison mortel pour l’avenir du continent. Donc du monde. »
Un discours victimaire qui conduit à rejeter sur l’extérieur et le passé la responsabilité des erreurs de gestion interne (rejet croissant de la Chine)
« Hier perçue comme un recours, la Chine subit à son tour l’ostracisme et les accusations de pillage, comme s’il fallait à tout prix trouver des boucs émissaires. »
La revanche de l’Afrique
Un désendettement spectaculaire
L’Afrique a connu un désendettement exemplaire en bénéficiant de mesures extrêmement favorables de la part de ses créanciers occidentaux. Notamment avec l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés) lancée en 1996 et complétée en 2005 par l’initiative d’allégement de la dette multilatérale.
La dette de l’Afrique par rapport à son PIB a ainsi été divisée par quatre depuis 1994 (20 % en 2010).
« Toutefois, la plupart des pays ayant vu leur dette annulée renouent avec les anciennes pratiques, et contractent de nouveau sur les marchés financiers mondiaux de lourds emprunts, qui risquent de les replacer dans une situation délicate d’ici quelques années. » En particulier, la Chine, les pays arabes et les ex-pays soviétiques prêtent généreusement en échange d’un accès aux ressources.
Atelier et futur marché du monde
Le Made in Africa émerge, avec la création de zones franches dans les pays les plus stables, comme l’île Maurice ou l’Éthiopie. Cela « permettant de contourner les dispositifs protectionnistes qui obèrent aujourd’hui les exportations chinoises à destination de l’Europe et des États-Unis ».
L’Afrique bénéficie également de dispositions commerciales extrêmement favorables : « Tout sauf les armes » pour l’Europe et l’African Growth Opportunity Act (AGOA) pour les États-Unis.
Toutefois : « Il faut souhaiter au continent un autre destin (que celui de l’Asie orientale des années 1960), d’abord parce que son marché intérieur, formé d’anciens pauvres qui rêvent d’accéder à de multiples biens de consommation, offre des opportunités locales à l’industrialisation, ensuite parce que cette attirance des multinationales pour l’Afrique atelier se fonde sur le niveau très bas des salaires pratiqués dans certains pays. » Comme en Éthiopie, où il n’existe pas de salaire minimum pour le secteur privé.
« Le rattrapage africain ne passe pas par la reproduction du modèle est-asiatique des années 1960, mais par la mise en place d’une économie de biens et de services fabriqués par des Africains pour des Africains. »
« Le Made in Africa doit d’abord être un Made for Africa »
« Les multinationales le savent bien […], les attentes des bourgeoisies montantes (leur) ouvrent de nouveaux champs de croissance. » Par exemple, Sofiprotéol, leader français des huiles, s’est associé aux brasseries Castel pour développer dans toute l’Afrique de l’Ouest une filière de production, de transformation et de distribution d’huiles alimentaires, Copéol. Il avait remarqué que l’enrichissement des pauvres s’accompagnait d’un changement de régime alimentaire vers plus de produits gras.
Pourtant, les investissements dans ces domaines ne doivent pas masquer la réalité. « Si l’Afrique suscite les convoitises, […] c’est d’abord parce que le vieux socle géologique du continent recèle de nombreuses ressources minières et énergétiques. » L’Afrique du Sud, par exemple, est le principal producteur de charbon, de fer, d’acier et de chromite du continent.
Des financements abondants et diversifiés
La nouvelle attractivité du continent suscite un afflux de capitaux considérable. Ils ont quadruplé depuis 2000 et, avec 200 milliards de dollars, représentent désormais plus du dixième de son PNB. « Le continent continue d’être l’épicentre de la générosité internationale. […] Parce que l’Afrique est plus que jamais le continent où faire des affaires. »
Les entreprises françaises le savent bien
Eiffage, qui construit autoroutes, ports et ponts « dans sa tête de pont africaine qu’est le Sénégal » et qui se développe de plus en plus sur le continent.
Bouygues, ayant achevé la construction du pont Henri Konan Bédié et devant s’affairer à celle du métro d’Abidjan en 2022. En présence du consortium composé d’Alstom, de Colas et de Keolis.
De même pour Colas, qui a achevé en 2018 la construction de la LGV Tanger-Casablanca.
Il y a donc une rivalité entre pays développés et puissances émergentes pour s’accaparer les appels d’offres
« Les entreprises chinoises bénéficient d’un avantage comparatif : elles sont en moyenne un tiers moins cher, importent leur main-d’œuvre, qui vit en vase clos et accepte les conditions les plus dures. »
« Les Français parviennent à se maintenir en raison de leur savoir-faire, de leur expérience, de leurs technologies de pointe, et de réseaux relationnels anciens en Afrique francophone. »
Mais « cette polarisation sur l’Afrique des matières premières explique que seul un petit nombre de pays riches en ressources naturelles rafle l’essentiel de la mise des investisseurs privés : Nigeria, Angola, Afrique du Sud, Ghana, Maroc… ce sont eux qui donnent l’illusion d’une Afrique émergente. Les autres restent pauvres et traversés de convulsions internes ».
Le défi de l’urbanisation : la nouvelle banlieue du monde
La périurbanisation
L’accroissement de la population urbaine s’opère de trois manières complémentaires.
1) Le peuplement des zones interstitielles jusque-là non loties car insalubres, ou tout simplement délaissées pendant la période coloniale, pour constituer des zones tampons entre ville blanche et ville indigène.
2) La densification des quartiers populaires, où les concessions se remplissent de constructions supplémentaires au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux migrants.
3) L’extension en doigt de gant le long des axes de communication, dévorant les terres agricoles et donnant lieu à des opérations de spéculation immobilière.
Le « péril fécal »
« La question de la gestion des déchets et de l’évacuation des eaux usées est le problème numéro un des villes africaines. »
« Apartheid urbain »
« La ville propre et bien entretenue des riches s’oppose ainsi à la ville sale et délaissée des pauvres. »
Soucieux de maîtriser l’expansion urbaine, anarchique en l’absence de schémas d’aménagement et de plans d’occupation des sols, les pouvoirs publics se livrent régulièrement à des opérations brutales de déguerpissement. Ils rasent notamment les bidonvilles afin d’affecter aux classes moyennes les nouveaux lotissements.
Il en résulte une extension de la ville à ses périphéries et son corollaire, l’accroissement des mouvements pendulaires. Au Sénégal, par exemple, la population urbaine a été multipliée par plus de sept depuis son indépendance. Et Dakar, qui ne comptait que 350 000 habitants, en abrite aujourd’hui trois millions environ. Sur moins de 0,3 % du territoire sénégalais, la capitale abrite plus de la moitié de la population urbaine du pays et l’essentiel des industries.
Un pied dedans, un pied dehors
« L’Afrique est en train de reproduire le modèle urbain nord-américain : extension démesurée des villes au ras du sol suscitant des migrations pendulaires massives. »
Une autre grande caractéristique de l’urbanisation africaine est que les liens avec le monde rural restent très forts. Jean-Louis Chaléard écrit ainsi que « les citadins ont toujours un pied dedans et un pied dehors ». Les familles urbaines se voient confier des jeunes en provenance de la campagne pour les héberger et les scolariser en échange de services domestiques. C’est la pratique du tutorat.
Les illusions du microcrédit ?
Pour Brunel, « l’Afrique du bien (matériel) évince l’Afrique du lien (social) », dans la mesure où l’enrichissement des individus entache la solidarité. Celui qui s’enrichit en vient à se calfeutrer pour se protéger des sollicitations incessantes.
De fait, l’Afrique apparaît comme un terreau fertile pour l’activité de microcrédit, développé en milieu périurbain, où les familles contractent des crédits à la consommation.
J’espère que cette fiche t’aura été utile. Tu peux retrouver toutes nos ressources en géopolitique juste ici !