Major Prépa > Actualité > Concours 2020 : faudra-t-il (forcément) parler du coronavirus en géopolitique ?

N.B. : Cet article a été rédigé par Anne Battistoni-Lemière, professeur en classe préparatoire ECS au Lycée Michelet à Vanves et Alain Nonjon, professeur honoraire en classe préparatoire économique et commerciale. Le titre initial proposé par les deux auteurs était : “Du coronavirus dans les copies ? Du bon usage de l’actualité dans les copies de géopolitique au concours”.
Les 25 et 29 juin ainsi que les 2 et 6 juillet prochains, les étudiants de la voie ECS vont disserter en géopolitique sur des sujets variés, qui auront été conçus avant la pandémie que nous traversons. La géopolitique est une discipline qui, par définition, donne à comprendre le présent par une approche interdisciplinaire historique, géographique, économique… et en s’interrogeant sur les représentations des différents acteurs pour comprendre les enjeux actuels.
Or, nous vivons en ce moment une crise majeure qui rompt avec les équilibres intérieurs et qui affecte de manière inédite tous les États et toute l’humanité. Dans ces conditions, vous êtes nombreux à vous interroger sur la « dose de Covid » que devront contenir vos copies : faut-il réinterpréter les sujets de réflexion proposés à l’aune de la pandémie ? Ou, au contraire, faire comme si de rien n’était, en considérant qu’il est trop tôt pour en tirer quelques enseignements ? Revenons donc sur quelques conseils pour vous éviter trop d’interrogations à ce sujet.
Tout est dans la mesure, il s’agit d’en faire ni trop peu ou pas assez, ni de focaliser votre analyse sur cet événement quitte à sacrifier d’autres dimensions de l’étude. « Tout ce qui est exagéré devient insignifiant » disait Talleyrand.
Du coronavirus dans les copies…
La pandémie est une rupture majeure. Elle affecte tous les États et toutes les problématiques étudiées au cours de vos années d’étude en classe préparatoire. Le monde d’aujourd’hui est bouleversé et le monde de demain ne sera plus le même. Dans ces conditions, faire comme si de rien n’était n’est pas possible. À un moment donné de votre copie, vous devrez être capable par une allusion, un exemple, une analyse, un questionnement de prouver que vous avez conscience de ces bouleversements.
Il existe bien sûr des espaces privilégiés où vous utilisez cette actualité dans vos copies. Elle est mise à profit, comme vous savez le faire, dans les introductions pour fournir une accroche qui interpelle votre correcteur et montre la pertinence du sujet. Le cru 2020 des concours est d’ores et déjà – et vous en avez subi les conséquences – marqué par la pandémie ; la polarisation de toute l’actualité sur cet événement vous impose de rechercher un peu d’originalité et de précision. La veille de l’actualité est un travail quotidien en géopolitique, le temps de révision est long cette année – là aussi vous ne le savez que trop ! –, les correcteurs pourront donc attendre que vous ayez eu quelques lectures.
L’ouverture de votre conclusion est l’occasion de faire de la prospective. Là aussi, utilisez vos lectures et vos observations au cours de ces mois de confinement pour proposer une piste en lien avec votre sujet.
L’actualité peut aussi vous aider à problématiser le sujet, ne l’oubliez pas, puisqu’il faut partir de ce qui fait son intérêt. Elle vous permet de relativiser, de comparer des phénomènes et est indispensable pour appréhender les enjeux (terme souvent présent dans les libellés). Ainsi, en dehors de l’introduction et de la conclusion, soyez capable de formuler quelques analyses en lien avec l’actualité sur votre sujet.
Prenons quelques exemples pour illustrer ces changements que vous ne pouvez ignorer. Major-Prépa vous accompagne dans ce suivi de l’actualité toutes les semaines, vos enseignants vous aideront à la décrypter et l’analyser, aussi contentons-nous de quelques remarques. Il y a des bouleversements en profondeur que vous devez avoir en tête.
1 – L’ordre mondial est durablement affecté
En ce mois de juin 2020, quatre constats peuvent d’ores et déjà être faits.
A – La gouvernance mondiale a failli, à l’image des tergiversations de l’OMS au début de la crise et de l’impuissance du Conseil de sécurité à voter un texte sur le sujet.
B – Les États-Unis confirment leur désengagement dans les affaires du monde. Plus que jamais, le slogan America first a toute son acuité et le fait qu’ils président le G7 cette année va démontrer un peu plus l’impuissance de ce minilatéralisme. Leur situation économique et sociale est révélatrice de la dureté de leur modèle de société, tandis que leur gestion politique de la crise montre les limites du pouvoir fédéral.
C – La Chine sent son heure arriver et entend en profiter, même si elle s’illusionne peut-être sur sa capacité à augmenter son soft power et en dépit de la propagande qui accompagne son aide aux autres pays touchés par le virus.
D – Enfin, l’Europe, une fois de plus malheureusement, montre ses défaillances ou plus exactement la lenteur de son action et ses divisions. Toute évocation de la dislocation de l’Europe peut être nourrie par la fragmentation des réponses apportées en termes de confinement, de restauration des frontières, et ce malgré les opérations audacieuses de refinancement de la BCE et la proposition novatrice faite par A. Merkel et E. Macron d’un plan de relance européen financé par une dette commune.
2 – La mondialisation est en procès
Est-elle la coupable de la pandémie ou est-elle la solution ? C’est un sujet dont débat l’historien Blaise Wilfert dans un article que vous pouvez trouver sur le site Telos.
La mondialisation n’est-elle pas paradoxalement autant une réponse à la crise qu’un vecteur de celle-ci ? Depuis quelques mois, les solidarités des équipes médicales (transferts de patients, interventions des médecins aux pieds nus cubains ou chinois), les partages incessants de conclusions sur les expérimentations de traitements ne cessent pas et les débats sur Sanofi, accusé de transferts de valeur ajoutée médicale aux États-Unis, ont le mérite de reposer le problème de l’universalité des avancées médicales.
La pandémie est un révélateur du fonctionnement de la mondialisation (pensez aux chaînes de valeur mondiales et aux dépendances qu’elles induisent) et elle interrompt brutalement son cours (récession et chute du commerce mondial). La pandémie est-elle un produit de la mondialisation ? On pourrait faire le rapprochement entre le classement des grands pays touristiques et celui des pays les plus touchés… Mais les pandémies n’existaient-elles pas avant la mondialisation ? (avec des bilans autrement plus meurtriers).
3 – Les préoccupations environnementales et le développement durable paraissent désormais devoir être chevillés à la réflexion sur le monde d’après
La diminution des GES est naturellement associée au confinement (80 pays ou territoires) et au quasi-arrêt du transport aérien. En France, selon le Haut Conseil pour le climat, la baisse des émissions serait de 30 % pendant la période. D’ici la fin de l’année 2020, elle pourrait représenter 45 millions de tonnes équivalent CO2, soit environ 10 % de la quantité annuelle de CO2 rejeté dans l’atmosphère par la France. Plus encore, les aides aux transports aériens seront conditionnées à des économies d’énergie et à la fin de doublons avec le train sur certains trajets intérieurs.
Marginale, symbolique, transitoire, cette rupture sera-t-elle accompagnée d’une relance verte intégrant l’urgence climatique ou le bénéfice ne sera-t-il qu’à court terme ? Si l’opinion a retenu des images fortes (la reconquête du grand canal de Venise par les dauphins !), elle aurait tort d’oublier Donald Trump qui invalide quotidiennement des propositions respectueuses du climat de son prédécesseur au nom de l’emploi et de son leitmotiv : ” le réchauffement climatique : une invention des Chinois, comme le virus ” ! Le président américain ne sera pas le seul à faire des choix en tournant le dos à la décarbonation de la croissance.
4 – Contrairement à la crise de 2008 qui fut financière, la crise actuelle replace les enjeux industriels au cœur des débats
La souveraineté réclamée par certains États sur des filières (exemple du masque en France après la fermeture de l’usine Honeywell), la reconquête d’une production nationale (respirateurs artificiels aux États-Unis), l’option relocalisation comme dans l’industrie automobile sont des premières réflexions sur et contre les délocalisations abusives. La France s’engage dans ce débat, poussée par une mise en accusation depuis les Gilets jaunes, d’un néolibéralisme excessif.
La crise pose de nombreuses questions qui sont cependant loin d’avoir des réponses pour baliser un avenir, car le coronavirus a introduit une « géopolitique de l’incertain ». Il est aujourd’hui périlleux de se hasarder à asséner des conclusions qui seront nécessairement parcellaires, mais il est pour autant impensable de faire l’impasse sur la crise sanitaire actuelle mondiale.
Les interrogations sur les enjeux du temps présent abondent et vous ne devriez pas à avoir de difficulté à envisager ce que la pandémie modifie et questionne. L’exemple de l’Afrique montre qu’il vous sera difficile d’échapper aux implications du temps présent sur les sujets qui vous seront proposés.
Focus sur L’Afrique subsaharienne
L’Afrique subsaharienne surprend par sa résilience à l’épidémie (moins de 2 000 décès pour tout le continent début mai). Voilà qui contraste avec les signaux souvent pessimistes qui venaient de pays confrontés aux invasions de criquets, à l’augmentation de leur dette, à la baisse de leurs ressources pétrolières, à l’instabilité chronique de vastes régions transfrontalières…
De nombreux facteurs peuvent être évoqués pour expliquer cette résilience : la jeunesse de sa population, la faible prévalence de maladies chroniques comme l’obésité ou le diabète, la faible insertion dans les échanges mondiaux, le climat… Voilà qui ne donne aucun mérite à sa population.
N’est-ce pas surtout la préparation de sa population et de ses systèmes de santé aux épidémies, la réaction précoce et efficace de nombre de gouvernements, l’adaptation des mesures prises et l’action efficace de responsables qui expliquent cette résilience ? Voilà qui nous amènerait à changer notre regard sur ce sous-continent. L’Union africaine s’est dotée au lendemain de l’épidémie d’Ebola (11 000 morts en Afrique) d’un centre de contrôle et de prévention des maladies. Il est dirigé par le virologue camerounais John Nkengasong qui est le grand orchestrateur de la coordination des États africains contre la pandémie. Il a alerté précocement les chefs d’État ainsi que coordonné l’acheminement des masques et des kits de dépistage reçus de Chine.
Cyril Ramaphosa, président sud-africain et, cette année, président en fonction de l’Union africaine, a fait appel à quatre personnalités de haut niveau pour contrer les effets de la crise sanitaire et mobiliser les élites africaines comme les soutiens extérieurs. Aliko Dangote, industriel et homme d’affaires nigérian, le plus riche d’Afrique, a pleinement répondu en lançant avec d’autres acteurs du privé au Nigeria sa « Coalition contre la Covid-19 ».
La pandémie est ainsi une bonne occasion de se méfier des représentations rapides de l’Afrique et de montrer qu’il existe des signaux d’émergence du continent africain.
Il est difficile de trouver ainsi des États ou des activités qui ne sont pas affectés par la situation que nous traversons. Les États les mieux protégés de la pandémie sont frappés par les conséquences économiques de celle-ci. C’est ainsi le cas de la Grèce qui compte très peu de victimes, mais voit s’ouvrir une saison touristique catastrophique (alors que le tourisme représente environ 1/4 de son PIB).
Ne pas trop en parler pour autant
Il ne s’agit pas non plus d’oublier les fondamentaux de l’analyse géopolitique. Méfiez-vous du travers qui vous conduirait à focaliser votre argumentation sur l’analyse du temps présent et de ses riches bouleversements.
C’est le moment de relire les rapports de correction des jurys et de se souvenir de leurs fondamentaux. En particulier, la démarche d’analyse géopolitique implique de prendre en compte une évolution historique qui éclaire le présent. Ne la gommez pas. La crise est un révélateur, elle n’est pas une explication globalisante.
Par exemple, si vous raisonnez sur la question de l’agriculture et de l’alimentation, vous avez pu lire qu’une grave crise alimentaire menace le monde. Des facteurs conjoncturels l’expliquent : dans un monde confiné, la production agricole circule plus difficilement et les populations également, ce qui les pénalise pour se procurer ce dont elles ont besoin ; la baisse dramatique des revenus de nombreuses populations au Sud travaillant dans le secteur informel explique qu’elles ont du mal à acheter de quoi se nourrir. La crise agricole est d’abord une crise de la demande aujourd’hui.
Pourtant, rester sur ces idées ne permet pas de comprendre les tenants et aboutissants de la question alimentaire mondiale. Au-delà des évolutions conjoncturelles, il faut revenir à la compréhension des politiques agricoles, du fonctionnement des marchés mondiaux, des impacts climatiques, pour expliquer la situation alimentaire mondiale. Un homme sur neuf souffrait de la faim avant la pandémie ; la communauté internationale avait fixé l’objectif « faim zéro » d’ici à 2030, celui-ci est inatteignable et ce constat est bien antérieur à la Covid -19. L’explication est donc largement déconnectée de la conjoncture actuelle.
Pensez à vous méfier des effets de mode, des concepts nouveaux, esthétiques plus que descriptifs.
La « slowbalisation », qui décrit « le soft landing de la mondialisation » n’a pas d’intérêt majeur. Le candidat doit éviter de tomber rapidement dans des exagérations journalistiques : la 3e Guerre mondiale annoncée à toute crispation des relations États-Unis/Chine fait partie des lendemains prophétisés depuis fort longtemps (Cf. J.-F. Susbielle, Chine-USA : la guerre programmée, 2006). Certes, Donald Trump vante un missile hypersonique testé le 20 mars 2020. Certes, la Chine instrumentalise la crise pour accroître l’influence du PCC, pour étendre son emprise sur la région Pacifique en isolant Taïwan et pour apparaître comme le pays qui « propose, fait bouger les choses et mène à la sortie de crise » (Cf. entretien avec A. Ekman sur la Chine et le monde publié sur le site Diploweb le 17 mai 2020). Il demeure que les prévisions sont difficiles – « surtout quand elles concernent l’avenir », aurait ajouté l’humoriste Pierre Dac.
Concluons : alors, du coronavirus dans les copies ?
Qui aurait pu faire l’impasse sur le coronavirus pour les sujets de concours de l’an passé ?
Il vous suffit de vous souvenir des intitulés : Le multilatéralisme en question (GEM), La Chine installe-t-elle un nouvel ordre mondial ? (ECRICOME), La puissance de la Chine en Asie orientale (ESSEC). Même « les matières premières dans les stratégies de puissance des États » (ESCP) pouvaient mobiliser des faits comme les réactifs de tests, les fibres nécessaires aux industries de fabrication des masques et les implications d’un confinement de plus de la moitié de la population de la planète.
Alors, du coronavirus dans les copies ? Bien sûr ! Étudier la géopolitique, c’est mettre en perspective les événements du monde, c’est dépasser une lecture journalistique du présent qui alignerait les décomptes des victimes et dresserait le classement des récessions à venir. C’est porter le regard ailleurs, pour mieux comprendre son sort, c’est se rappeler le passé pour analyser les mécanismes à l’œuvre. C’est donc se donner des clés pour penser le futur.
A découvrir : toutes nos ressources sur la géopolitiques (fiches, concepts et annales).