En juin 2019, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de l’époque, Madame Frédérique Vidal, commande à HEC, l’ESSEC, l’ESCP, mais aussi à l’X et aux quatre ENS, un rapport sur la diversité sociale au sein des Grandes Écoles françaises. Ces dernières lui remettent fruit de leurs réflexions trois mois plus tard. Dans la foulée, la ministre demande à Martin Hirsch, alors directeur de l’AP-HP et président de l’Institut de l’engagement, de piloter un comité de réflexion nommé « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur », afin de formuler des propositions concrètes.
Ce sont les conclusions de ces différents travaux qui seront à l’origine de la volonté d’HEC et de l’ESSEC de franchir le Rubicon, c’est-à-dire de lancer une expérimentation prévoyant, par des moyens détournés, de bonifier les étudiants boursiers aux concours.
Nous vous le révélions dès le mois de février 2021 : ces mesures ont finalement été entérinées pour le concours 2022. HEC Paris et l’ESSEC BS ont ainsi choisi des modalités différentes pour valoriser les étudiants boursiers. Pour l’EDHEC, l’expérimentation débutera en 2023.
Si l’objectif poursuivi – ouvrir davantage les meilleures écoles de management et casser le plafond de verre en dessous du top 5 – est unanimement salué, les moyens employés ont revanche déclenché un véritable tollé dans le monde des CPGE : l’APHEC, qui représente les professeur de prépa EC, s’est prononcée contre cette bonification. Selon le Bureau National des Etudiants en Ecole de Management (BNEM), 70% des étudiants boursiers en école étaient contre les mesures envisagées, car ils les jugeaient stigmatisantes.
Quelques mois après les concours, aucun média n’avait pourtant traité des réelles conséquences de ces bonifications : c’est ce que nous nous proposons de faire dans cet article.
NB : Cette enquête est un extrait du livre blanc que nous avons réalisé sur les dispositifs en faveur de l’égalité des chances. Il est accessible dans son intégralité ici : Rapport sur les dispositifs d’égalité des chances au sein des écoles de management post-prépa
Ouverture sociale : les mesures prévues par HEC et l’ESSEC
Si les premières réflexions qui nous étaient parvenues indirectement laissaient penser qu’une bonification directe serait mise en place par les deux premières écoles de management françaises, la réaction générale les a finalement incitées à revoir leur copie.
Pour HEC, la bonification retenue a finalement été la suivante : un point bonus à l’écrit puis un point bonus à l’oral pour l’ensemble des carrés. Cette bonification est conservée pour les cubes boursiers, de sorte que seuls les cubes non boursiers se trouvent pénalisés.
L’ESSEC a quant à elle mis en place un système de double barre d’admissibilité, qui permet aux premiers boursiers normalement non admissibles de passer l’oral comme les autres, sans être informés de leur situation.
Félix Papier (directeur du PGE de l’ESSEC) nous avait accordé une interview l’an passé, suite à l’annonce de cette double barre mise en place par l’école de Cergy-Pontoise, dans laquelle il confirmait l’existence d’un réel plafond de verre à l’entrée de l’ESSEC : « Nous avons constaté que, dans le cas de notre école, les épreuves écrites des concours discriminent bien plus que les épreuves orales : un candidat non boursier a 2,5 fois plus de chances d’être admissible à l’ESSEC qu’un boursier (30 % de candidats boursiers pour moins de 15 % d’admissibles). Ce constat se vérifie également dans les meilleures prépas, preuve que le facteur confiance en soi reste prépondérant. »
La discrimination est en revanche plus forte à l’oral qu’à l’écrit à HEC pour les boursiers, avec des épreuves comme l’oral de CSH ou le triptyque qui valorisent indéniablement le bagage culturel et langagier acquis depuis l’enfance.
Lire aussi : Zoom sur l’oral d’économie HEC pour la voie ECT
Plus de boursiers dans les business schools ? Le bilan de la bonification en 2022
HEC Paris : le nombre de boursiers a augmenté de 10%
Les chiffres :
- 108 boursiers admissibles à HEC en 2022 (sur 741 au total, soit 14,6 %). Dans l’hypothèse où la bonification n’aurait pas été mise en place, ils auraient été 92 (12,4 %) ;
- le nombre de boursiers admis a augmenté d’environ 10 % ;
- un étudiant sur dix admis cette année avait passé les concours deux fois ou plus. Ce chiffre est habituellement d’un étudiant sur cinq ;
- la proportion de boursiers dans la promotion de primo-entrants est passée de 11,5 à 13 %, soit cinq ou six boursiers supplémentaires sur 400 étudiants.
La réaction de Brice Rabourdin, Executive Director – Strategy & Development – Pre-experience programs :
« Nous étions impatients de connaître les chiffres de cette première année d’expérimentation. On note un impact réel sur les boursiers, notamment à l’admissibilité. Cette mesure a aussi eu un effet notable sur la proportion de cubes au sein de la promotion. Néanmoins, nous considérons ces premiers résultats avec prudence et nous attendons de voir les résultats sur plusieurs années pour en tirer de réelles conclusions.
Pour le concours 2023, nous poursuivons avec ce même système de bonification, avec a priori des modalités identiques. L’objectif est toujours d’augmenter la diversité au sein de nos admis sur concours, sans pour autant devoir sacrifier le niveau d’excellence.
Par ailleurs, nous continuons d’étudier l’ensemble des leviers à notre disposition, que ce soit par exemple l’évolution des épreuves ou le mix de coefficients, et d’investir toujours plus en amont à travers nos actions ambitieuses sur le périmètre de la mission Égalité des Chances de l’École : tutorat, mentorat, séminaire de prérentrée, bourses prépa, etc. Nous observons enfin avec intérêt ce que proposent nos collègues des autres écoles.
Pour autant, nous restons également tributaires des choix de recrutement de nos “fournisseurs”, les classes préparatoires qui constituent notre vivier de recrutements exclusifs pour la première année du PGE, et nous les incitons à travailler également pour plus de mixité et de diversité dans leurs cohortes.»
ESSEC Business School : 35 boursiers supplémentaires déclarés admissibles en 2022
Les chiffres :
- 35 candidats boursiers supplémentaires ont été déclarés admissibles (sur 946 admissibles au total) ;
- parmi ces 35 étudiants, 24 d’entre eux ont in fine été déclarés admis ;
- le taux de boursiers au sein de la promotion des primo-entrants est passé de 12,6 % en 2021 à 14,8 % en 2022.
La réaction d’Emmanuelle Le Nagard, directrice académique du PGE :
« Depuis le concours 2022, nous avons institué le “double appel à l’oral” pour intégrer plus d’élèves boursiers au sein de la Grande École. Cette expérimentation est simple : elle consiste à inviter aux épreuves orales une trentaine de candidats boursiers arrivés à moins de 0,2 point de la barre d’admissibilité, qui seront ensuite évalués avec la même barre d’admission que les autres candidats. Ces élèves ne savent pas qu’ils bénéficient du dispositif au moment de passer l’oral, pas plus que leurs évaluateurs, pour ne pas créer de biais. Cette année, 35 étudiants ont bénéficié du double appel à l’oral, dont 24 ont finalement intégré l’ESSEC, démontrant leurs grandes qualités personnelles. Grâce à cette action, notre objectif est de passer de 22 % de boursiers actuellement dans nos rangs à 27 % en 2024.»
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