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Jeune bizuth, carré déterminé, cube hardi ou ancien élève nostalgique, as-tu déjà pensé à regarder différemment la formation que tu as choisie ? Après avoir parlé de son origine, Major-Prépa te convie à une courte pause réflexive pour observer la classe prépa sous un autre angle, à savoir celui de la sociologie.
Voici une invitation à aller au-delà des critiques classiques qui décrivent la prépa comme une formation « bourrage de crâne » pour « élites ». Cet article s’appuie sur le livre de la sociologue Muriel Darmon : Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante. Il se situe à mi-chemin entre une fiche de lecture et une évocation de tes souvenirs, passés ou à venir.
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Faire de la classe prépa un terrain de recherche sociologique
La littérature scientifique et journalistique sur les thématiques de la reproduction sociale et des inégalités scolaires est largement disponible. Pourtant, la sociologue Muriel Darmon, avec son ouvrage, a cherché à combler un réel vide sur ce type de formation.
Pourquoi faire la sociologie de la classe prépa ?
Finalement, que connaît le grand public du fonctionnement d’une classe préparatoire ? Et bien pas grand-chose. À la rigueur, une personne lambda sait probablement qu’il existe des parcours scientifiques, commerciaux et littéraires, mais ça s’arrête là. Si l’on s’intéresse au fonctionnement même de la classe prépa, à son quotidien et à la manière dont elle transforme durablement les individus, c’est le désert total.
La faible connaissance de ce système s’explique notamment par le fait qu’elle reste une filière de niche. L’ensemble des classes préparatoires ne regroupent que 3,2 % des étudiants français (environ 85 000 étudiants sur 2,7 millions au total). Il apparaît donc moins « légitime » de se focaliser sur une formation destinée à une fraction d’étudiants qui, en plus, souffre de critiques quant à sa fermeture sociale.
Avant l’étude sociologique de Muriel Darmon, la classe préparatoire n’avait jamais été étudiée pour elle-même, en tant que phénomène social et comme institution du quotidien pour les étudiants qui la fréquentent. La sociologue a donc bénéficié d’un terrain vide pour construire sa recherche.
Une chercheuse parmi les bizuths, carrés et cubes
Peut-être fais-tu partie de cette prépa qui a été étudiée par l’auteure ? Cette dernière s’est immergée en prépa pour construire son enquête sociologique. S’immiscer et s’introduire durablement dans le fonctionnement quotidien d’une classe préparatoire permet de l’étudier de fond en comble. L’observation ethnographique constitue un accès privilégié à un ensemble de moments variés (plus ou moins formels) qui rythment le temps en classe prépa. Elle a complété ses observations par une centaine de longs entretiens individuels avec les élèves.
L’auteure ne mentionne pas le nom du lycée en question – afin de préserver son anonymat –, mais elle le qualifie comme « un grand lycée de province » qui propose des classes prépas scientifiques et économiques. Elle précise qu’il se situe dans le premier tiers des classements et que son choix s’est porté sur cet établissement pour éviter les extrêmes que sont les « grands lycées parisiens » et les « petites prépas de province ».
Une problématique claire : la question de la socialisation
La grande problématique à laquelle s’attache l’auteur est celle de la socialisation vécue pendant les années de classe prépa. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce terme, il s’agit du processus d’apprentissage, d’intériorisation de normes et de valeurs par lequel un individu s’intègre dans un environnement social donné.
En fait, elle cherche à analyser « la fonction technique » des classes préparatoires et veut montrer comment cette formation est au quotidien « un appareil à former et à transformer les individus ». Cet ouvrage présente les effets que produit la classe prépa sur les étudiants et les dispositions acquises de manière durable pour les préparationnaires.
La classe prépa, une « institution enveloppante » qui réussit à mettre les étudiants au travail
Pour que les classes préparatoires puissent fonctionner, il est nécessaire qu’un système rigoureux, contraignant et disciplinaire soit instauré. Muriel Darmon parle effectivement d’une « institution enveloppante » pour décrire une formation « puissante mais non totalitaire, violente mais soucieuse du bien-être de ses membres ». Mais quels en sont donc les tenants et aboutissants ?
Tu t’es certainement déjà demandé par quelle alchimie toute la classe – ou presque – avait cette capacité évidente à se mettre au travail et à entrer dans cette rigueur ? Est-ce parce que la classe prépa ne recrute que des élèves a priori sérieux et bosseurs, motivés par les concours ? La réponse de la sociologue est plus complexe, elle ne nie pas ces facteurs, mais montre que la classe prépa en tant qu’institution est une instance de mise au travail de sa population.
Règle n° 1 : recruter « un bon cru »
L’auteure convoque Foucault et son travail sur les institutions disciplinaires. Elle opère un parallèle entre les classes prépa et des institutions comme l’armée ou encore l’usine. Qu’ont-elles en commun ? La sélection des individus sur leur docilité et leur capacité à répondre aux exigences. Souviens-toi, le dossier scolaire (les notes, mais aussi le comportement scolaire) était crucial pour les candidatures faites en terminale. Constituer une promotion docile, via le recrutement, est une première condition pour réussir à mettre les étudiants au travail.
Règle n° 2 : le rite du discours de bienvenue en classe prépa
Peut-être n’as-tu pas oublié ce discours de rentrée, tenu par le directeur de la prépa afin de « motiver les troupes » ? Le lexique de l’armée n’est pas anodin ! Ce moment, très rituel et présent dans chaque prépa, constitue le premier moment de l’année scolaire pour « l’entrée dans le travail ». Ce qui est intéressant, c’est que dans ce discours, les réquisits scolaires (les résultats) et les réquisits comportementaux (l’obéissance) sont mentionnés à égale mesure.
Règle n° 3 : construire un environnement clos
Le troisième élément, plus étalé dans le temps, est celui de « l’unité de lieu ». Autrement dit, tout au long des deux ou trois ans, on travaille, on dort (très souvent à l’internat, sinon à proximité) et on se distrait dans un seul et même endroit : le lycée. Le fait que les étudiants passent l’essentiel de leur temps ensemble et dans des espaces réduits participe aussi à la mise au travail, d’autant plus que les horaires sont souvent très cadrés par l’institution.
Règle n° 4 : faire de la discipline toute l’année
Cette mise au travail est entretenue toute l’année via des processus disciplinaires, dont parlait déjà le philosophe Foucault (dans l’ouvrage Surveiller et punir, 1975). Il mentionne le triptyque surveillance/sanctions/examens. Muriel Darmon le reprend : surveiller (les retards, les absences, les comportements scolaires notamment), sanctionner (par des petits rappels à l’ordre) et examiner (d’où l’importance des colles, des évaluations, des DS et donc des notes et du classement tout au long de l’année).
Règle n° 5 : maintenir un système bienveillant en classe prépa
L’une des clés pour entretenir une dynamique de travail tout au long de l’année est le fait de construire un environnement bienveillant. La figure du professeur est primordiale (souvenez-vous de ce prof qui a remonté les notes d’un colleur qui avait fait du hors-programme). Les conseils donnés pour savoir gérer son sommeil, son alimentation, sa détente font aussi partie d’un cadre bienveillant. Il vise au bien-être physique et psychologique des étudiants.
Échapper à l’institution : les petits gestes clandestins en classe prépa
La scolarité en classe prépa est souvent indissociable de la « mise entre parenthèses de sa vie ». La définition de cette « vie » est une définition négative, c’est-à-dire tout ce que la classe prépa ne suppose pas : les loisirs, la famille, les amis, les sorties. Toutefois, si nous résistons en prépa, c’est bien souvent parce qu’on trouve des combines pour contourner ces règles parfois trop pesantes, trop strictes et intenables sur le long terme. La sociologue distingue trois comportements déviants qui sortent du contrôle exercé par l’institution.
#1 – Les pratiques dites « souterraines »
Dans cette catégorie, la chercheuse place toutes les pratiques qui se trouvent « en dessous » du scolaire, c’est-à-dire cachées derrière un comportement en classe. Il peut s’agir de tricher ou frauder, de faire semblant de prendre un cours (mais faire tout autre chose pour s’évader) ou bien prendre de la distance avec le scolaire (en se moquant du système ou d’un prof par exemple).
#2 – Les pratiques dites « marginales »
Ce sont l’ensemble des choses faites « à côté » de la prépa, où les étudiants s’approprient une petite zone de liberté. Il peut s’agir d’utiliser son temps autrement que par le travail en sortant symboliquement de l’espace de travail ou en sortant physiquement de l’enceinte de la prépa. Cela représente les moments « off » qu’on va se permettre de prendre le week-end, les vacances et qui sont hors du contrôle de l’institution.
#3 – La vie amoureuse en classe prépa
La vie amoureuse est une composante clandestine de la vie en prépa. Les professeurs et le directeur sous-entendent bien souvent que amour et prépa ne font pas bon ménage. Elle est d’ores et déjà clandestine ! Contraintes temporelles et tourments psychologiques VS force du couple, chacun a un avis différent. La sociologue a tenté de souligner les différentes typologies d’amour en prépa :
– Amour impossible : l’étudiant fait clairement le choix de renoncer à cela pendant la prépa puisque c’est trop chronophage.
– Amour marginal : dans ce cas-là, le copain ou la copine ne fait pas partie de la prépa. L’aventure amoureuse a un caractère marginal, mais donne une sensation d’autonomie et de vie en dehors de la prépa.
– Amour souterrain : cette fois-ci, la relation amoureuse a lieu avec quelqu’un de la classe prépa mais reste cachée. Il peut s’agir d’une relation où l’on s’entraide scolairement. Au contraire, on peut rejeter l’activité scolaire, la relation devenant alors une échappatoire.
– Amour officiel : le couple entre deux préparationnaires est dans ce cas-là assumé et souvent mobilisé pour le scolaire (entraide mutuelle).
Au passage, lire notre poisson d’avril 2019 : Une prépa parisienne interdit à ses étudiants d’être en couple
Les apprentissages et dispositions développés en classe prépa
Avant de rentrer en prépa, on t’a sûrement dit : « Ah, mais tu vas voir, la prépa ça va te transformer ! ». C’est justement cette transformation comportementale que la sociologue tente de souligner. Elle parle de « dispositions spécifiques pour des individus aspirant à exercer des fonctions sociales de direction et d’encadrement ».
Devenir un maître du temps
La socialisation temporelle est le premier apprentissage qui modifie durablement les étudiants. Il faut souligner un certain rapport à l’urgence, à la fois un « problème et un mode de gestion du temps ». En prépa, on apprend à courir après le temps.
La maîtrise de l’urgence est par ailleurs un critère d’excellence. Le bon élève de prépa est précisément celui qui arrive à s’organiser, anticiper, ne pas prendre trop de retard. Les étudiants se forment par là à devenir des maîtres du temps. Combiner cours, colles, révisions, détente et repos dans une fenêtre de temps réduite et contraignante devient fluide, presque naturel.
En fait, l’élève de prépa n’a pas besoin d’intégrer l’école pour se préparer à être manager très actif. Il s’habitue à accepter le stress temporel, à ne pas compter ses heures et à rationaliser son temps. Et là tu penses bien sûr à ta liste de vocabulaire. Mais si, celle révisée stratégiquement le midi, entre le sandwich et la préparation de la colle du soir !
Apprendre à être pragmatique en vue des concours
La prépa a pour vocation de préparer aux concours, ce n’est pas une nouveauté ! Mais cela place les étudiants dans un rapport particulier au savoir et à la connaissance. En prépa, la « vérité » repose sur « ce qui marche au concours ». C’est ce dernier qui définit le savoir à acquérir, ce qui se dit et ce qui se fait. Quotidiennement, le concours et ses modalités sont rappelés en classe.
La prépa éveille également les étudiants au pragmatisme, il s’agit de devenir efficace et productif. Cela se traduit en particulier dans les méthodes de travail. Il faut retenir des choses efficaces, dont on est sûr de pouvoir se resservir au concours. De toute façon, on n’a pas le temps d’approfondir les connaissances, vu l’ampleur du programme.
Il n’est pas surprenant de voir que des articles très populaires sur Major-Prépa sont ceux qui permettent ce pragmatisme. Tu as certainement déjà consulté nos 20 expressions à recaser en essai d’anglais, nos 10 bullet points sur la philanthropie ou nos 10 films qui te serviront à coup sûr.
Classe prépa commerciale VS classe prépa scientifique
Malgré les points communs évoqués ci-dessus, les prépas scientifiques et commerciales diffèrent toutefois sur le projet pédagogique. En prépa ingénieurs, il s’agit de former un esprit et une culture scientifique, un goût de la science. Cela reste centré autour de la matière et de l’aspect théorique. La projection professionnelle est d’ailleurs bien souvent floue, les étudiants s’attachent plus à la science qu’à un projet professionnel.
En prépa économique, on cherche à faire adopter une posture, un comportement cultivé (au sens large du terme). Le projet est plutôt de façonner des individus dotés d’une certaine aisance sociale. Celle-ci se manifeste par la maîtrise d’une culture générale, mais aussi par une attitude physique et vestimentaire. La personnalité devient une matière scolaire comme une autre. Elle est le cœur des entretiens de personnalité, une spécialité des prépas HEC. Les matières principales (économie, géopolitique), très liées à l’actualité, visent aussi à former de futurs managers.
Cet article touche à sa fin, en espérant que cette promenade sociologique t’ait permis de voir la classe prépa autrement !