Dans cet article, j’aimerais partager quelques observations issues de mes années d’enseignement dans le supérieur et de mon expérience en tant que colleuse, et proposer des pistes concrètes pour sortir d’un moule scolaire parfois trop rigide – celui qui, bien souvent, t’empêche de briller aux concours, et surtout, de devenir un esprit libre.
Arrête de réciter, commence à réfléchir
Cela fait maintenant cinq ans que j’enseigne dans le supérieur, et, chaque année, je fais le même constat : les cours (surtout jusqu’au bac) donnent une méthodologie aux étudiant.e.s mais ne leur permettent pas de prendre du recul par rapport à ce qu’ils ou elles font. Et c’est bien dommage, car l’école – peu importe le niveau – c’est une sorte de préparation à la vie, et si tu n’as pas d’opinion, pas d’idées personnelles, pas d’arguments qui te sont propres, c’est plus difficile de grandir, plus difficile de débattre, plus difficile d’échanger. Et ce, peu importe que tes idées soient bonnes ou mauvaises, justes ou erronées. D’ailleurs, c’est en se trompant que l’on apprend.
Malheureusement, nous sommes toutes et tous partie intégrante de l’ère hypermoderne, où le productivisme exacerbé nous pousse à « faire » avant même « d’être », à agir et produire avant même de penser — c’est sûr qu’apprendre un cours par coeur, c’est plus simple et plus rapide que de voir ses angles morts, faire ses propres recherches et se forger une idée personnelle. Le système de la prépa nécessite d’ingurgiter beaucoup d’informations en peu de temps, alors on fait comme on peut. Le temps de la contemplation, de la réflexion, est terminé, voici celui de l’individu machine qui perd son identité pour produire sans relâche, jusqu’au burn out. Je ne vais pas m’épancher plus sur le sujet dans cet article, mais cette notion d’hypermodernité qui éclipse la poésie du quotidien, m’a occupée pendant presque quatre ans, et j’en ai écrit 500 pages de thèse, alors il y a de quoi dire.
Peut-être te demandes-tu pourquoi je te raconte tout cela. C’est simple : c’est parce qu’en être conscient.e te permettra de vraiment faire la différence aux concours. Je parle pour ma matière, l’anglais, mais c’est aussi valide pour la culture générale, l’ESH ou la géopolitique. En fait, pour réussir un concours, il faut entrer dans un moule, c’est-à-dire respecter à la lettre la méthodologie. Mais « entrer dans un moule » ne veut pas forcément dire « faire comme tout le monde ». C’est là que savoir prendre une certaine distance critique est nécessaire.
Tu crois avoir bien analysé ? Tu as juste répété
Prenons le cas de l’anglais. Aux oraux, on te demande de commenter un article de presse ou un audio. Dans 99% des cas, tu tomberas sur une tribune ou un article d’opinion, et non sur un article informatif (et, de toutes façons, même si l’article est informatif, le ou la journaliste est forcément biaisé, puisqu’il ou elle est humain.e).
L’erreur que plus de 90% des candidats font est de répéter, soutenir, ou encore expliquer les propos du ou de la journaliste sans les remettre en question une seule fois. Ainsi, si un journaliste dit que les panneaux solaires sont la solution à la crise environnementale, on se retrouve, en tant que jury, face à une floppée d’étudiants qui vont nous expliquer qu’en effet, les énergies renouvelables sont LA solution.
Vraiment ? Pourtant, affirmer que les panneaux solaires sont la solution au réchauffement climatique correspond à une vision fortement simplificatrice d’un problème profondément complexe, systémique et multiforme. Ce type de discours, qui relève du réductionnisme technologique, tend à évacuer les dimensions sociales, politiques et économiques de la crise écologique. Présenter une innovation technique comme remède universel occulte non seulement les limites concrètes du solaire (extraction de métaux rares, recyclage, durée de vie), mais aussi la nécessité d’une transformation structurelle de nos modes de vie et de production. Je ne mentionne même pas le fait qu’il n’y ait pas vraiment de soleil dans beaucoup de pays à l’instar du Royaume-Uni… Il ne s’agit pas de rejeter les énergies renouvelables, mais de refuser leur sacralisation comme panacée. Une réflexion critique devrait donc s’efforcer de réinscrire cette solution dans un cadre plus large, associant sobriété énergétique, justice sociale, volonté politique et remise en question du modèle productiviste. Croire qu’un seul outil technologique suffira à inverser des décennies de dérive écologique revient à nier la profondeur et l’ampleur du changement nécessaire.
Et c’est ce candidat ou cette candidate qui a assez de recul (et de bagout) pour critiquer l’article, formuler ses propres opinions et ses propres arguments (étayés d’exemples issus du monde anglophone) qui va majorer les oraux. Ce ne sont pas les 100 autres qui auront parlé de l’énergie éolienne et des biocarburants. Ce qu’un jury apprécie, c’est un.e étudiant.e qui fait l’effort de penser par lui-même ou par elle-même au lieu de réciter un cours appris par cœur.
Et si tu osais contredire ton document ?
Petite anecdote : pour faire comprendre cela à mes étudiant.e.s en littérature, je leur ai, cette année, donné un texte dans lequel le narrateur était raciste et misogyne (attention, un narrateur n’est pas un auteur, il s’agissait en l’occurrence d’un extrait d’un roman de Carson McCullers, autrice féministe et en faveur de l’égalité raciale). L’autrice utilise un narrateur raciste pour créer une sorte de dissonance vis-à-vis du lecteur, le narrateur est un stéréotype, presque une caricature du raciste américain. Le problème, c’est que dans leur commentaire de texte, tou.te.s mes étudiant.e.s ont purement et simplement répété, voire parfois expliqué et justifié, les propos racistes du narrateur. Là, je me suis rendu compte qu’il devenait urgent d’apprendre aux étudiant.e.s que PERSONNE ne détenait une vérité dogmatique et que tout texte pouvait, et devait, être critiqué. Ça sert à ça de faire un commentaire : montrer les limites d’un argument et oser contester l’opinion de l’auteur ou de l’autrice.
Voici donc quelques questions à te poser pour essayer de prendre un peu de distance par rapport au document que tu analyses :
- Dans quel média est-ce publié et quelle est son orientation politique ? Y’a-t-il un contexte particulier qui a pu influencer la rédaction de cet article ?
- Quelle est la thèse de l’auteur ou de l’autrice ?
- Est-ce réducteur ?
- Est-ce vérifié ?
- Quels problèmes ou objections peuvent être soulevés ?
- Quelles dimensions sont oubliées ? Ces oublis sont-ils volontaires ?
Et là, on ne parle que de questions préliminaires sur un document en anglais, mais en réalité, je te conseille d’avoir le même regard sur le monde en général. Par exemple, je vais lancer un grand débat, mais je l’assume : que penses-tu du fait de toutes et tous s’habiller comme des pingouins pour aller aux oraux ? L’habit fait-il vraiment le moine ? Est-ce ce genre de valeurs que tu veux intégrer et montrer au monde ? Pourquoi ? Parce que tes enseignant.e.s t’ont dit qu’il fallait faire ainsi ? Et toi, qu’en penses-tu ? Tu as le droit de me penser un peu anarchiste sur ce point, tant que c’est bien ton opinion et qu’elle n’est pas influencée par des constructions sociales archaïques, ou pire, l’avis de ton enseignant qui a passé les concours il y a 50 ans…
Bref, tu l’auras compris : ce qui fera vraiment la différence, ce n’est pas d’avoir coché toutes les cases, appris tous tes cours ou mis un costume-cravate. C’est d’avoir quelque chose à dire, et surtout, d’avoir appris à penser. Penser par toi-même, en t’autorisant à douter, à nuancer, à contester — même un auteur prestigieux, même un professeur, même un journaliste du Guardian. C’est cette capacité-là que le jury remarque. Et c’est aussi cette capacité-là qui te servira toute ta vie, bien au-delà des concours. Alors, vas-y : apprends ta méthodo, oui, mais apprends aussi à te l’approprier, à la rendre tienne, pour que le jour J, ce que tu présentes au jury, ce soit toi et non un masque artificiel.
Si tu veux continuer de te préparer pour les oraux, n’oublie pas que le Major n°18 Spécial Oraux 2025 est en ligne !