Le 29 juin 2023, la Cour suprême des États-Unis a mis fin à la discrimination positive dans les universités américaines. Très controversée, l’affirmative action est une politique sociale des années 1960 qui accorde un traitement préférentiel à certaines minorités raciales et ethniques en matière d’emploi et d’enseignement supérieur. Cet article revient sur l’histoire de la discrimination positive, les débats qu’elle suscite et les répercussions du jugement sur le paysage éducatif américain.
Retour sur les débuts et les effets de la discrimination positive aux États-Unis
Les fondements de la discrimination positive
Les années 1950-60 ont marqué le début de la discrimination positive aux États-Unis. Bien que le quatorzième amendement de la Constitution, adopté en 1868, ait déjà garanti la citoyenneté et l’égalité de protection devant la loi, c’est l’arrêt emblématique de la Cour suprême dans l’affaire Brown v. Board of Education en 1954 qui a véritablement fait évoluer la situation. Cette décision a déclaré la ségrégation raciale dans les écoles publiques inconstitutionnelle, établissant ainsi que les politiques de type « separate but equal » ne garantissaient pas réellement l’égalité.
Dans ce contexte de lutte pour les droits civiques, les années 1960 ont vu naître des politiques destinées à réduire les discriminations systémiques subies par les minorités, en particulier les Afro-Américains, et à promouvoir l’égalité des chances dans l’éducation et l’emploi. En 1961, le président John F. Kennedy a officialisé cet engagement avec l’Executive Order 10925, qui exigeait des entrepreneurs fédéraux de prendre des mesures de discrimination positive pour garantir une équité de traitement, sans distinction de religion, de couleur ou d’origine. La discrimination positive a ainsi été adoptée pour corriger les inégalités de revenus, améliorer l’accès à l’éducation et remédier aux injustices passées, en offrant un avantage spécifique aux groupes historiquement marginalisés.
Au fil des années, la discrimination positive a suscité de nombreux débats et controverses
L’une des affaires marquantes a été Regents of the University of California v. Bakke en 1978. Allan Bakke, candidat blanc rejeté deux fois par l’Université de Californie, a poursuivi l’établissement, arguant que des étudiants issus de minorités avaient été admis à sa place grâce au système de quotas. Invoquant le quatorzième amendement, il a assuré être victime de « discrimination inversée ». La Cour suprême a finalement rejeté l’utilisation de quotas, mais a reconnu que l’origine ethnique pouvait être considérée comme un facteur dans les décisions d’admission, soulignant les « avantages éducatifs découlant d’un corps étudiant ethniquement diversifié ».
Plus tard, en 2003, la décision dans l’affaire Grutter v. Bollinger a renforcé cette tendance. La Cour a statué qu’un processus d’admission qui favorise les « groupes de minorités sous-représentés » ne violait pas la clause d’égalité de protection du quatorzième amendement, à condition qu’il prenne en compte d’autres facteurs évalués individuellement pour chaque candidat.
Le bilan de l’affirmative action : quelques chiffres clés
Les efforts de discrimination positive ont donné des résultats mitigés. Entre 1976 et 2008, la proportion d’étudiants noirs dans les universités de premier cycle a augmenté de 10 % à 13,9 %, et celle des étudiants hispaniques a grimpé de 3,7 % à 12,9 %. Cependant, ces augmentations sont restées insuffisantes par rapport à la croissance démographique de ces communautés.
Dans les États qui ont interdit la discrimination positive, on a observé une baisse des minorités admises dans les meilleures universités publiques. Par exemple, dans le Michigan, où cette pratique a été bannie en 2006, et en Californie, depuis 1996, l’inscription des étudiants noirs a chuté de plus de 25 %, tandis que celle des étudiants latino-américains a diminué de près de 20 %. Ces chiffres montrent que les politiques de discrimination positive ont tout de même eu un impact sur l’accès à l’éducation pour les groupes historiquement marginalisés.
Une politique de plus en plus débattue, menant à sa révocation
Arguments pour et contre la discrimination positive
Pour mieux comprendre pourquoi les politiques de discrimination positive divisent autant la société, je te propose de voir les arguments apportés par les deux camps.
Selon les personnes soutenant les politiques de discrimination positive, celles-ci permettaient d’abord une meilleure représentation des minorités dans des postes hautement qualifiés, essentielle pour inspirer les enfants issus de ces communautés. De plus, ignorer l’ethnie dans les admissions aujourd’hui, c’est ignorer le fait que les minorités continuent de subir les conséquences de générations de discrimination raciale. Il convient également de noter que former des professionnels de couleur est essentiel, car des études montrent que des médecins noirs sont plus susceptibles d’évaluer avec précision la douleur des patients noirs.
Les critiques contre les politiques de discrimination positive soulignent que celles-ci constituent une discrimination inversée contre les Blancs. 73 % des Américains s’opposent à ces mesures, estimant qu’elles introduisent une préférence raciale au détriment de l’égalité des chances. Les opposants considèrent ces politiques comme une menace pour la méritocratie. D’autant plus qu’un nombre croissant de personnes issues de minorités vivent désormais dans des conditions confortables. Ils affirment également qu’elles abaissent les standards en admettant des individus qui, autrement, n’auraient peut-être pas été retenus si le processus de sélection se fondait uniquement sur les compétences. Cette situation pourrait créer un doute chez certains candidats issus de minorités, qui pourraient se demander s’ils ont été admis pour leurs capacités ou seulement en raison de leur appartenance ethnique.
La fin de l’affirmative action
C’est dans ce contexte que, le 29 juin 2023, la Cour suprême, dominée par des juges conservateurs, a décidé d’annuler les décisions de 1978 et 2003, dans le cas Student for Fair Admission contre Harvard University. Les juges ont soutenu que les documents constitutionnels, censés prévenir la discrimination raciale envers les minorités, ne peuvent pas être utilisés pour discriminer les Blancs et les Asiatiques. Les Asiatiques se voyaient en effet passer derrière des personnes issues de minorités, alors que leur niveau était bien plus élevé.
Cette annonce a suscité de vives réactions, entraînant notamment plusieurs manifestations. La sphère politique a également réagi, comme Barack Obama : « Comme toute politique, la discrimination positive n’était pas parfaite. Mais elle a permis à des générations d’étudiants comme Michelle et moi de prouver que nous avions notre place. » Mais en réalité, cette décision convenait à la majorité des Américains.
La fin de l’affirmative action a eu des répercussions certaines sur le paysage éducatif américain
Plus d’un an après la fin de l’affirmative action, l’impact sur la diversité des admissions dans les universités américaines commence à se faire sentir, soulevant des interrogations quant à l’avenir de la représentation des minorités.
Les premières statistiques publiées révèlent une baisse marquée des admissions de certains groupes raciaux dans les grandes institutions, souvent remplacés par une hausse d’étudiants asiatiques. Par exemple, au Massachusetts Institute of Technology (MIT), la proportion d’étudiants noirs est passée de 15 % à 5 %, tandis que celle des hispaniques a chuté de 16 % à 11 %. En revanche, le nombre d’étudiants asiatiques a grimpé pour atteindre 47 %. Cette hausse semble confirmer les préoccupations exprimées par cette communauté. Elle accusait les pratiques d’affirmative action de les désavantager injustement dans les processus d’admission. Le nombre d’étudiants blancs, quant à lui, est resté stable, autour de 37 %.
Ces tendances ne se limitent pas au MIT
À Harvard, les admissions d’étudiants noirs ont également diminué. Ils représentent désormais 14 % de la cohorte, contre 18 % l’année précédente. La proportion d’étudiants hispaniques a quant à elle légèrement augmenté à 16 %, tandis que les étudiants asiatiques conservent une part importante du contingent, avec 37 %.
Dans d’autres institutions, comme Columbia University, la population noire en première année d’ingénierie a baissé de huit points, pour atteindre 12 %, alors que celle des étudiants asiatiques a bondi de neuf points, atteignant 39 %.
Toutefois, certaines universités comme Yale et Princeton semblent moins affectées par cette nouvelle configuration. Yale rapporte un nombre record de candidatures de groupes sous-représentés, et la proportion d’étudiants asiatiques a légèrement reculé à 24 %. À Princeton, la hausse des admissions concerne surtout des étudiants ne souhaitant pas déclarer leur origine ethnique. Ces établissements ont activement développé de nouvelles stratégies d’admission, privilégiant des critères économiques et géographiques pour maintenir une certaine diversité dans les effectifs sans recourir à la race comme critère direct.
Bien qu’aucune tendance nette ne se dessine pour l’instant, ces premiers chiffres montrent l’importance de surveiller de près l’évolution des admissions. La fin de l’affirmative action pourrait en effet redéfinir profondément le paysage éducatif américain et influencer les parcours des étudiants issus de minorités.
Conclusion
Bien que la Cour suprême ait rendu son jugement, la question de la discrimination positive demeure centrale aux États-Unis. Dans un pays où la population blanche sera minoritaire d’ici 2050, il est urgent de traiter les inégalités, car la fin de la discrimination positive pourrait affecter l’avenir professionnel et social des étudiants.