À l’approche de l’élection présidentielle américaine de novembre 2024, les enjeux reproductifs occupent une place centrale dans les débats politiques. Entre les discussions sur le droit à l’avortement, l’accès à la FIV, et les droits des femmes, les positions des candidats sur ces questions pourraient bien façonner l’avenir du pays. Cet article te propose de plonger dans les implications de ces enjeux, en explorant comment ils se sont hissés au cœur de la campagne présidentielle.
Que sont les droits reproductifs ?
Les droits reproductifs sont les droits relatifs à la reproduction humaine. Ils incluent la capacité des individus à décider librement et de manière informée du nombre, de l’espacement et du moment de leurs enfants.
Ils concernent l’accès aux services de santé reproductive : les individus ont le droit d’obtenir l’information et l’accès à des moyens de contrôle de leur fécondité ainsi que le droit d’accéder aux soins de santé qui permettent de mener à terme une grossesse et d’accoucher sans risques.
Mais les droits reproductifs englobent aussi le droit à la contraception et l’interruption volontaire de grossesse.
Source : Corps de femmes (2002) de Bérengère Marques-Pereira, Florence Raes.
Le droit à l’avortement polarise la société américaine
L’histoire du droit à l’avortement aux États-Unis
Pour la petite histoire : en 1970, Jane Roe – pseudonyme choisi par Norma McCorvey, une jeune texane de 21 ans souhaitant avorter – porte plainte contre l’interdiction d’avorter au Texas. Henry Wade représente le Texas dans cette affaire d’abord jugée devant la cour fédérale, mais celle-ci est ensuite saisie par la Cour suprême. En 1973 est promulgué l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême des États-Unis : il octroie le droit à l’avortement dans tous les États avant la date limite de viabilité fœtale. Les juges de la Cour suprême se sont appuyés sur le 14e amendement de la Constitution : selon eux, le droit à la vie privée inclut le droit à l’avortement.
Toutefois, même si cela représente une grande avancée en terme de droits reproductifs, Roe v. Wade a énormément divisé les citoyens américains. Certains se disent “pro-choice”, c’est-à-dire qu’ils soutiennent le droit à l’avortement, tandis que d’autres sont anti-avortement et sont surnommés les “pro-life”.
Mais en juin 2022, presque 50 ans après Roe v. Wade, la Cour suprême des États-Unis a supprimé la garantie constitutionnelle du droit à l’avortement, par la décision Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization. Il revient désormais à chaque état de décider de la légalité de l’avortement au sein de son territoire. Depuis le jugement, plusieurs États à majorité républicaine ont annoncé des mesures restreignant (Floride, Utah, Arizona, Caroline du Nord…) voire supprimant (Texas, Idaho, Missouri…) l’accès à l’avortement. Au contraire, certains États comme ceux de la côte Ouest (Californie, Oregon, Washington) ont réaffirmé le droit à l’avortement. Depuis juin 2022, le droit à l’avortement a donc énormément renforcé la polarisation de la société américaine. En effet, cette décision représente un revers considérable concernant le droit des femmes, et elle a eu de graves conséquences.
- Le nombre d’avortements illégaux a augmenté.
- Les femmes habitant dans des États qui restreignent l’avortement doivent parcourir de longues distances pour avorter. Au Texas, la distance moyenne que doit effectuer une femme pour avorter est passée de 17km à 400km.
- Cet arrêt renforce la précarité des femmes jeunes, célibataires et aux moyens financiers limités.
En bref, les Démocrates ont compris qu’ils devaient inscrire la défense du droit à l’avortement au cœur de leur campagne pour la présidentielle – l’arrêt ayant été rendu par une Cour Suprême à majorité conservatrice.
Le cas de l’Idaho : un exemple pour montrer que les Démocrates se saisissent de l’affaire
Dans l’État de l’Idaho, une loi restrictive interdit l’avortement sauf si la vie de la femme enceinte est en jeu. En avril 2024, l’administration Biden l’a accusée de violer une loi fédérale sur les urgences médicales. Après un examen de cette plainte, la Cour suprême a de nouveau autorisé l’avortement en cas d’urgence médicale dans l’Idaho le 27 juin 2024. Le président Joe Biden a profité de cette décision pour réaffirmer sa défense des droits de la femme : “Aucune femme ne devrait se voir refuser des soins, être obligée d’attendre d’être en danger de mort ou de fuir son État simplement pour recevoir les soins dont elle a besoin”.
Le contrecoup* de la suppression de Roe v. Wade dans l’Ohio et le Kentucky
Les atteintes au droit à l’avortement ont remobilisé le camp démocrate, qui a mené une campagne importante dans plusieurs États en insistant sur les positions trop radicales des Républicains. Dans les six États où l’avortement a fait l’objet d’un référendum l’an dernier, les pro-IVG ont gagné à chaque fois.
- Ainsi, en novembre 2023, les électeurs ont voté pour inscrire dans la constitution de l’Ohio le droit à l’avortement jusqu’à 23 semaines. C’est une défaite importante pour les Républicains.
- Dans le Kentucky, après une campagne véhémente contre les positions “extrémistes” de son rival républicain, Andy Beshear a été réélu comme gouverneur (démocrate) de l’État.
Qu’en pense Donald Trump ?
Donald Trump a du mal à avoir une opinion claire sur le sujet. En effet, il a écarté l’idée d’une interdiction nationale de l’avortement, une position très extrême, et a délégué le sujet à l’échelle fédérale.
Un exemple : en avril 2024, Donald Trump a déclaré que la décision de la Cour suprême de l’Arizona qui criminalise la quasi-totalité des avortements allait trop loin.
De ce fait, Donald Trump semble adopter une position pragmatique. En tempérant la position extrême anti-avortement et en renvoyant la responsabilité aux états, il cherche à reconquérir l’électorat féminin républicain pro-avortement. Cependant, cette position ambigüe a provoqué quelques remous au sein de son propre camp, certains républicains l’accusant de ne pas aller au bout de ses idées.
La question des embryons congelés
En février 2024, la Cour Suprême de l’Alabama a déclaré que les embryons congelés obtenus par une fécondation in vitro (FIV) étaient des enfants à part entière, qui bénéficiaient ainsi de droits. Autrement dit, leur destruction pourrait être considérée comme un meurtre ou faire l’objet de poursuites judiciaires. Cette décision a provoqué des réactions de la part des deux partis.
Bien sûr, les Démocrates condamnent cette décision. Joe Biden comme Kamala Harris ont jugé la situation absurde, en mettant le doigt sur la contradiction d’une telle décision. D’un côté, la majorité des républicains se dit “pro-life” et défend l’interdiction de l’avortement, et de l’autre certains de ses membres “empêchent les gens de fonder une famille”.
Mais ce qui est intéressant est que les républicains n’ont pas été unanimes sur le sujet. En effet, Donald Trump soutient la natalité. Il a ainsi publié sur son réseau social Truth Social un message de soutien aux familles cherchant à avoir un enfant par la FIV : “Sous mon leadership, le Parti républicain soutiendra toujours la création de familles américaines fortes”.
En mars 2024, la gouverneure de l’État américain de l’Alabama a finalement promulgué une loi protégeant les personnes bénéficiant ou se chargeant de FIV.
Encore une fois, pragmatisme ou conviction ? Tel est le dilemme auquel les républicains peinent à répondre en ce qui concerne les droits reproductifs, cherchant à estimer quelle stratégie adopter pour gagner des électeurs aux prochaines élections présidentielles. Tu peux utiliser cette problématique pour construire un commentaire de colle autour de la polarisation de la société américaine ou des culture wars par exemple.
Vocabulaire
Droits reproductifs : reproductive rights
Contraception : contraception
FIV / Fécondation in vitro : IVF / In vitro fertilization
Embryons congelés : frozen embryos
Prononcer un jugement, une décision (dans le domaine juridique) : to rule
Avortements illégaux : back-alley abortion
Contrecoup : backlash
Revers : setback