Les classiques de la littérature et du cinéma ont marqué des générations et en sont des témoins, mais lorsqu’ils sont remis au goût du jour, les réactions sont souvent vives, entre applaudissements et polémiques; tandis que lorsque certains restent tels quels, ils suscitent des protestations.

Or, depuis quelques années, ces classiques sont repris et réadaptés à nos meurs actuelles afin de mieux correspondre à l’idée de la société d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse de films comme La Petite Sirène ou de livres comme ceux de Roald Dahl, nombreuses sont les œuvres qui ont fait l’objet de mises à jour pour mieux s’aligner sur les préoccupations contemporaines, notamment en matière de diversité, d’égalité et d’inclusion.

Cela soulève une question délicate qui semble se répandre de plus en plus, notamment dans le monde anglophone où de nombreuses disparités ethniques, de genres etc. existent encore : faut-il modifier les classiques pour refléter les valeurs actuelles, ou bien les conserver dans leur forme originale comme témoins de leur époque ?

La nécessité de mettre à jour les œuvres classiques

La promotion de la diversité et de l’inclusion constitue l’une des principales raisons de la réécriture des classiques. Ainsi, le choix d’acteurs issus de minorités pour incarner des rôles classiques permet une meilleure représentation à l’écran. C’est le cas de Halle Bailey, une actrice afro-américaine qui, en septembre 2022, a été choisie pour incarner Ariel dans le live-action de La Petite Sirène. En août 2023, c’est Rachel Zegler, actrice latina, qui a été sélectionnée pour jouer Blanche-Neige. Ces choix ont déclenché des débats passionnés et nourris de nombreuses, mais aussi permis à de nombreux enfants de se sentir représentés. Ce phénomène a notamment été visible sur les réseaux sociaux comme Tiktok et Instagram sur lesquels de nombreuses jeunes mères ont réagi et souligné l’importance de la diversité culturelle de ces héroïnes revisitées à travers lesquelles les enfants de minorités peuvent s’identifier. À l’inverse, l’inclusion d’acteurs ne correspondant pas aux personnages originaux a suscité la création de mouvements virulents sur ces mêmes réseaux sociaux, comme avec l’apparition du hashtag #NotMyAriel. Ce dernier a été utilisé massivement par les internautes pour critiquer le choix de Halle Bailey pour son manque de “crédibilité” dû à sa couleur de peau. Si ces adaptations modernisées répondent aux attentes d’un public diversifié et montrent que les récits universels peuvent transcender les apparences physiques, elles reflètent également les questionnements sociétaux et la difficulté à instaurer des changements profonds dans les mentalités.

La réécriture des classiques de la littérature et du cinéma permet également de corriger l’usage de termes et d’idées jugés désuets et offensants. En février 2023, les éditeurs de Roald Dahl et Ian Fleming ont donc modifié certains passages de leurs œuvres (James Bond et Charlie et la Chocolaterie) pour supprimer des mots comme “fat” ou des expressions racistes telles que “nigger“. Ces modifications visaient à rendre ces textes plus adaptés aux sensibilités actuelles bien qu’ils témoignent de certaines mœurs d’une époque qui n’est plus. Elles permettent en un sens de faire évoluer certaines pratiques puisque les œuvres visées ne sont alors plus un support de transmission de ces dernières. Ces révisions protègent ainsi les générations les plus jeunes en mettant hors de portée des idées stigmatisantes et discriminatoires tout en rendant les œuvres plus accessibles.

Aussi, réinventer des classiques permet de s’adapter à une mentalité moderne sans nécessairement nuire à l’œuvre originale, afin de rendre des récits anciens plus pertinents pour de nouvelles générations. La série Netflix Bridgerton a par exemple adopté un casting colour-blind, avec des acteurs de différentes origines ethniques jouant des rôles dans une société historiquement blanche. Pour autant, cela n’a pas dénaturé l’histoire mais l’a rendue plus inclusive et captivante. De telles opportunités pour les acteurs permettent également d’inspirer les nouvelles générations et les artistes issus de minorités.

Préserver les œuvres originales comme témoins historiques

Toutefois, la réécriture de classiques suppose de faire abstraction du contexte dans lequel elles sont nées et de nier les caractéristiques des époques dans lesquelles elles s’insèrent. Les œuvres classiques sont des témoins de leur époque et les modifier peut équivaloir à effacer une partie de l’histoire. Ainsi, le changement de titre du best-seller d’Agatha Christie, aujourd’hui connu sous le titre de And Then There Were None en 2020, a fait grand bruit bien que sa modification ait permis d’effacer le N-word, qui est une insulte de nos jours. Beaucoup ont alors critiqué un supposé manque de fidélité à l’œuvre originale et à son époque. Parmi les réactions les plus vives, certains dénoncent une forme de Cancel Culture, un mouvement anglo-saxon très présent aux États-Unis, qui condamne des pratiques historiques jugées offensantes et met l’accent sur la responsabilité de personnages autrefois acclamés pour ces mêmes actes qui sont aujourd’hui condamnables. Dans une moindre mesure, d’autres évoquent le mouvement américain Woke, qui cherche à promouvoir ces valeurs – bien que souvent utilisé dans un sens péjoratif, moralisateur et dogmatique.

La crainte de dénaturer l’essence de l’œuvre

En effet, modifier une œuvre revient, pour les plus puristes, à en altérer complètement le sens intrinsèque ou son impact. D’autant que la modification de champs lexicaux, profondément liés à l’usage courant d’une langue, pour l’adapter aux standards modernes peut finalement s’avérer anachronique. De même, les polémiques autour de la modernisation de certains Disney, comme le choix d’une actrice de couleur pour Blanche-Neige, finissent par détourner du message initial du conte.

Moderniser sans trahir

L’une des potentielles options, afin de contenter tout le monde, pourrait être de produire deux versions d’une même œuvre : l’originale et la revisitée. On aurait alors pas vraiment de progrès mais plutôt une diversité de propositions afin de répondre aux attentes traditionnelles et plus contemporaines.

Il apparaît alors plus judicieux de contextualiser les œuvres du passé par des dossiers explicatifs, des préfaces, qui pourraient être inclus dans les œuvres originales. Cette démarche aiderait alors les jeunes à comprendre les contextes historiques, les anciennes mœurs et les enjeux socio-économiques des époques des classiques, tout en développant une pensée critique. Cela a d’ailleurs déjà été un succès comme pour le roman Huckleberry Finn de Mark Twain, qui contient des termes et des idées controversés, mais qui a su garder un large panel de lecteurs.

Aussi, encourager la création de nouveaux récits inclusifs mieux adaptés à la société actuelle est une façon de construire une nouvelle Histoire plutôt que de vouloir modifier l’ancienne. Créer de nouveaux contes prônant les valeurs modernes permet alors aux jeunes de mieux s’identifier à travers des principes qui sont aujourd’hui naturels alors qu’ils auraient été impensables il y a quelques décennies. De nombreux dessins animés récents comme les Disney El Canto, Coco ou Avalonia mettent ainsi en avant la diversité culturelle, ethnique et sexuelle sans avoir besoin de réadapter les anciens classiques.

Conclusion

Pour conclure, bien que les mises à jour des classiques puissent s’avérer nécessaires au vu de l’évolution des mœurs et des enjeux sociétaux pour s’aligner sur les sensibilités contemporaines, elles doivent être faites avec précautions pour ne pas dénaturer leur essence et leur attache historique. Toutefois, la véritable diversité culturelle s’inscrit aussi dans une forme de continuité dans laquelle passé et présent coexistent sans qu’on puisse modifier le premier. Ainsi, les classiques doivent continuer d’inspirer aux côtés de nouveaux récits plus adaptés à notre époque et à ses nouvelles normes sociétales.