Tu as préféré profiter du soleil plutôt que d’aller t’enfermer au cinéma cet été ? Pas de panique, Major-Prépa te propose une analyse rapide d’Oppenheimer, LE film qu’il ne fallait pas manquer. Tu trouveras aussi un sujet de colle et un corrigé avec un barème d’autoévaluation en rapport avec les thèmes abordés.
Pourquoi Oppenheimer est-il associé à l’éthique ?
Le nom de J. Robert Oppenheimer est associé aux limites de l’éthique en raison du rôle central que ce chercheur a joué dans le développement de la bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette dernière a été employée sur des villes civiles (nommément, Hiroshima et Nagasaki) sans justification suffisante, puisque l’interception de télécommunications japonaises avait indiqué aux États-Unis que le pays asiatique prévoyait de se rendre.
Cette situation invite à nous interroger sur la responsabilité morale des scientifiques dans le développement d’armes destructrices. Le Manhattan Project (le projet de création de la bombe atomique) a en outre été mené secrètement. Ce qui révèle le manque de transparence militaire et l’absence de consentement public concernant la création de cette arme.
De manière plus importante, l’association d’Oppenheimer à l’éthique est établie par les réflexions morales que le chercheur mène après la guerre. Il va jusqu’à rencontrer le président pour lui dire qu’il a « du sang sur les mains », car il se sent coupable du sort des dizaines de milliers de civils japonais ayant péri après la bombe atomique.
Ce questionnement éthique constitue une grande partie de l’objet du récent biopic de Christopher Nolan dédié à Oppenheimer. Néanmoins, avant d’analyser ce film, il est intéressant d’aborder son commencement : qui était Oppenheimer avant la bombe atomique ?
Oppenheimer avant la bombe atomique
La sortie en juillet 2023 du film Oppenheimer a suscité un regain d’intérêt pour la vie du mystérieux scientifique. S’il est avant tout connu pour avoir inventé la bombe atomique, ses contributions initiales à la mécanique quantique ne sont pas sans intérêt pour la science. D’ailleurs, aujourd’hui encore, ses travaux continuent d’influencer la manière dont les scientifiques abordent la structure des molécules.
L’importance de ce travail préalable à la création de la bombe atomique est soulignée dans les premières séquences du film, où des figures scientifiques éminentes de l’époque comme Werner Heisenberg et Ernest Lawrence, tous deux lauréats du prix Nobel, louent les travaux révolutionnaires que le jeune Oppenheimer établit à propos des molécules.
La théorie quantique des molécules
En 1927, Oppenheimer et Max Born coécrivent en effet un article intitulé « On the Quantum Theory of Molecules » (traduit par « Sur la théorie quantique des molécules »). Dans cet article, les deux chercheurs simplifient la description initialement complexe des molécules au niveau atomique.
Si les particules telles que les électrons se comportent de manière ondulatoire et que leur position exacte ne peut être déterminée, notons que ce que l’on appelle la « fonction d’onde » décrit la probabilité de l’électron de se trouver dans une certaine région de l’espace. La détermination de cette fonction d’onde et des énergies correspondantes de la molécule est identifiable si l’équation moléculaire de Schrödinger est résolue. Or, il est impossible de résoudre cette équation de manière exacte.
Oppenheimer propose une approximation du résultat. Le chercheur remarque que les noyaux atomiques sont beaucoup plus massifs que les électrons. Ceci permet de les considérer comme quasi immobiles et donc de simplifier le calcul, pendant que l’on résout l’équation de Schrödinger uniquement pour les électrons. Cette théorie se nomme : l’approximation de Born-Oppenheimer.
L’approximation de Born-Oppenheimer
Cette dernière ne se contente pas de simplifier les calculs quantiques sur les molécules. Elle influence la manière dont les chimistes visualisent les molécules, en les considérant comme des noyaux fixes avec des électrons en mouvement entre eux. De plus, elle a une grande incidence sur la compréhension des réactions chimiques, en montrant comment les électrons guident les mouvements des noyaux dans une réaction.
Au cours du siècle qui a suivi la publication de l’approximation de Born-Oppenheimer, la chimie quantique computationnelle a connu un essor, aidée par la disponibilité de ressources informatiques plus puissantes. L’approximation de Born-Oppenheimer est utilisée dans divers domaines allant de la recherche de médicaments à la conception de technologies photovoltaïques avant leur création en laboratoire.
Cependant, cette théorie n’est pas infaillible et les calculs des réactions chimiques induites par la lumière échouent. Dans de tels cas, il est donc nécessaire aux chercheurs de trouver d’autres alternatives. Néanmoins, à l’avenir, l’émergence d’ordinateurs quantiques pourrait renforcer la chimie quantique computationnelle en permettant des calculs plus rapides sur des systèmes moléculaires de plus grande envergure.
Mais alors, pourquoi le film de Nolan affiche un Oppenheimer aux prises avec les remords ?
L’Oppenheimer de Nolan : un scientifique torturé ?
Si, au début du film de Nolan, le chercheur est extrêmement respecté par ses pairs, le réalisateur a ensuite fait le choix de le marginaliser progressivement. Oppenheimer est dépeint comme un révolutionnaire qui ne dissimule pas ses idées communistes. C’est la raison pour laquelle il se met à dos certains de ses collègues de Berkeley (à l’époque, le MacCarthysme condamne toute affiliation au Parti communiste).
Puis, après que la bombe a explosé, Oppenheimer commence à avoir des remords. Cela est représenté par des scènes de plus en plus fragmentées, où l’alternance entre présence et absence (ou, moins symboliquement, entre vie et mort) est mise en relief. Dans le film, Oppenheimer est présenté comme un scientifique libre qui se repent de ses erreurs.
Bien qu’historiquement, Oppenheimer revendiquait sa liberté morale et se sentait coupable quant à l’utilisation presque criminelle de son invention, l’accent mis par le réalisateur sur cette culpabilité invite d’autant plus le public de 2023 à se poser des questions éthiques quant à la responsabilité morale des scientifiques.
L’histoire n’est en effet pas vue au travers des yeux d’Oppenheimer, mais par le prisme de ceux du réalisateur. À ce propos, Nolan déclare : « Everything is [Oppenheimer’s] experience, or my interpretation of his experience. Because as I keep reminding everyone, it’s not a documentary. It is an interpretation. »
Notons que le contexte de production de ce film à un moment de tensions géopolitiques mondiales (entre autres, la crise économique post-Covid et la guerre en Ukraine) est significatif. Pour résumer, si la situation géopolitique s’envenime, Nolan invite les scientifiques à ne pas reproduire les erreurs commises lors de la Seconde Guerre mondiale.
Si tu souhaites t’entraîner à ce sujet, voici ci-dessous un article de colle portant sur la science, l’éthique et les leçons à tirer de l’histoire.
Sujet de colle : La science et l’éthique
The Manhattan Project Shows Scientists’ Moral and Ethical Responsibilities
Adapted from an article by George Iskander in “Scientific American” published on March 2, 2022.
As more of physics research is funded by the military, it is important to learn the full history of our past.
After the first-ever explosion of an atomic bomb on July 16, 1945 near Socorro, N.M., J. Robert Oppenheimer, director of the Los Alamos Laboratory, recited a line from the Bhagavad Gita: “Now I am become death, the destroyer of worlds.” Less than a month later, a quarter of a million lives were lost to the technology created by the Manhattan Project. To many Americans, the bombings were justified, a necessity for ending the war. As a physicist, I have to wonder: how could my predecessors have participated in something used for such violent ends? Did no one think about walking away? To answer that, it’s important to understand Oppenheimer and his colleagues. Oppenheimer would become an advocate for nuclear peace and oppose the construction of the hydrogen bomb, but not without consequence. He was publicly humiliated in a security hearing where a colleague testified against him and his security clearance was revoked.
History has rehabilitated Oppenheimer as a tragic moral actor, with director Christopher Nolan of Inception and Interstellar fame recently announcing the production of an Oppenheimer biopic. What astonishes me, however, is the obscurity into which Oppenheimer’s colleague Joseph Rotblat has been cast. A Polish physicist, Rotblat worked with the British Mission to the Manhattan Project. Despite his reservations, he believed that stopping Nazi Germany justified the work. In March 1944, however, he had dinner with General Leslie Groves, Jr., director of the project, who remarked that its objective was to subdue the Soviet Union. Disgusted, Rotblat departed the project a few months later and would spend his life working toward atomic nonproliferation. For this, Rotblat shared the 1995 Nobel Peace Prize. “Science became identified with death and destruction,” Rotblat said in his Nobel lecture as he described the inception of the atomic age. The comparison with Oppenheimer’s famous line is stark: two men who both knew the danger of their work yet chose different paths. The world recognized Rotblat’s impact, but I find few people, physicists or not, have heard his name.
Why does this matter? Anybody who bothers to do the research can see for themselves whether using atom bombs were necessary for ending the war: intercepted Japanese wires indicated they were preparing to surrender; American intelligence showed that the Germans were not close to developing a nuclear bomb; Truman’s Secretary of State admitted wanting to end the war with Japan before Stalin became involved. Many project scientists favored only a demonstrative use, such as an explosion over the Pacific, which would terrify without harming. But how many Americans, whose view of history is crafted by popular narratives to support U.S. policy decisions, know all this? How we tell history changes how it is understood. The national project predicates itself on maintaining a specific, widely disseminated version of history. It means a lot if we don’t talk about Rotblat and instead center Oppenheimer. Oppenheimer’s voice, early on, would have made an impact, Rotblat believed. Instead, Oppenheimer tried to live with the bomb. Conversely, Rotblat simply ended his work with the Manhattan Project once he realized what its true purpose was.
The Manhattan Project demonstrates that physicists must wrestle with the tight bonds of our research with national security. As civilian funding in science shrinks, the incentive to pursue support from the military grows. In fiscal year 2021, the National Science Foundation received $8.5 billion in total—half the $17 billion that the Department of Defense (DoD) received just for science and technology research. The DoD often funds basic research, with the hope that someday it could be useful for the military. It is even more challenging for students. The DoD maintains the National Defense Science and Engineering Graduate (NDSEG) Fellowship, which has awarded over 4,000 fellowships. In the application, the DoD details the needs of different branches of the military and asks students to connect their skills with a particular military interest. With many benefits in tow, the NDSEG is considered one of the most prestigious graduate fellowships.
Still, we must speak and act in accordance with our conscience. We must push science to advocate for peace. We can learn from Rotblat. He didn’t make the decision to leave the Manhattan Project lightly, not to mention that the United States presented him with a false dossier alleging that he left to leak information to the Soviets. The decisions we make today are not so grand or liable to run us in as much trouble. If we turn down a grant or seek alternative research funding, who will bat an eye? Collective action has power, but it starts with the individual. Today, we resign ourselves to the state we find the world in. We tell ourselves that we must work within a world dominated by the military-industrial complex, rationalizing that this is how it is. What is stopping us from doing what we believe to be right? We must have the courage to reimagine history and our place in it.
Proposition de corrigé avec barème d’autocorrection
Les informations suivantes te proposent non seulement un corrigé au sujet de colle ci-dessus (chaque élément mis en gras te rapporte un point), mais également une méthode pour réussir tes futures colles à coup sûr. Si tu suis toutes les étapes numérotées de 1 à 5, tes colles aborderont normalement tous les points attendus.
1) Identification du type de document et des thèmes abordés : 2 points
Cet article très engagé s’apparente à une tribune (« opinion piece ») dans laquelle le journaliste invite les lecteurs à se poser des questions éthiques quant à l’innovation scientifique. Il est possible de noter que le public de ce journal est en grande partie composé de scientifiques.
2) Stratégie du journaliste et division de l’article : 6 points
L’article peut être divisé en trois parties. Ces dernières montrent comment la pensée du journaliste progresse et comment il parvient à convaincre les lecteurs du bien-fondé de ses arguments.
Premièrement, il surfe sur un sujet d’actualité, le film Oppenheimer de Nolan. Cette référence fonctionne comme une accroche qui capte l’intérêt du lecteur. Ensuite, il suggère que si Oppenheimer s’érige comme une figure marquante de l’histoire, son collègue Rotblat l’est beaucoup moins.
Cela lui permet de montrer le « politiquement correct » de la manière dont l’histoire américaine est enseignée et racontée. Selon le journaliste, on parle d’Oppenheimer car, bien qu’il ait eu des remords, il ne s’est pas opposé au gouvernement en quittant le Manhattan Project. À l’inverse, Rotblat est un héros un peu trop révolutionnaire pour être enseigné en cours d’histoire…
Cette analyse du passé l’amène à un constat désolant : les mêmes stratégies de manipulation des chercheurs sont toujours en place aujourd’hui. En effet, comme pour le Manhattan Project, le ministère de la Défense ne cesse d’investir dans la recherche et l’innovation dans l’espoir de pouvoir utiliser les résultats des chercheurs à des fins militaires. Au travers de cette comparaison entre le passé et le présent, l’auteur montre donc que la situation a stagné et que le pays n’a pas tiré ses leçons de la bombe atomique.
À la toute fin de l’article, le journaliste s’adresse directement au lecteur afin de l’inviter à penser par lui-même et à se questionner quant à l’éthique scientifique.
3) Problématisation : 1 point
L’auteur de l’article semble suggérer que c’est avant tout aux scientifiques de s’interroger sur les limites éthiques de leurs innovations. N’est-ce pas plutôt un travail commun, qui incombe aussi bien aux scientifiques qu’au ministère de la Défense ?
4) Plan et exemples : 9 points
I. L’éthique et l’intégrité scientifique : vers une science honnête
Un nombre croissant de pays ont mis en place des chartes que les chercheurs mêmes les plus jeunes tels que les doctorants doivent impérativement signer. Ces dernières contiennent des informations quant au plagiat et à l’intégrité scientifique. Il est également question de savoir anticiper les utilisations possibles des innovations.
Transition : Néanmoins, il n’est pas toujours facile de penser à tout, et dans bien des cas, les utilisations militaires des innovations ne pouvaient être prévues.
II. La subversion post-innovation du ministère de la Défense
Comme le souligne le texte, le ministère de la Défense n’explicite pas ses intentions lorsqu’il subventionne les chercheurs. Pourtant, dans la plupart des cas, il s’avère que les innovations trouvées par les chercheurs ont, in fine, des applications militaires. Pensons par exemple au GPS qui permet aux armes de mieux se mouvoir et de trouver leurs cibles.
De la même manière, l’armée de l’air est forcément aidée par les chercheurs qui travaillent en vue d’une meilleure compréhension des turbulences. Mieux comprendre l’état plasma permet de construire de nouvelles armes avec une plus grande portée. Néanmoins, pour la plupart des physiciens travaillant sur ces sujets, si on leur demandait directement de construire une arme, ils refuseraient. Les stratégies du ministère de la Défense sont plus subtiles.
Transition : Ainsi, si les chartes signées par les chercheurs montrent que le monde de la recherche a appris de ses erreurs, le gouvernement qui subventionne puis subvertit les innovations à des fins militaires ne semble pas avoir tiré des leçons de l’histoire. C’est ici que le rôle des journalistes est primordial.
III. Apprendre des erreurs de l’histoire : le rôle des journalistes
Les cas où le gouvernement semble apprendre de ses erreurs sont les cas médiatisés. Par exemple, puisque la guerre du Vietnam a été suivie par un grand nombre de journalistes, les citoyens américains ont pu se rendre compte des horreurs commises, qu’il s’agisse de l’utilisation « d’agent orange » ou de napalm.
L’une des photographies les plus représentatives des horreurs de cette guerre est « la petite fille au napalm », qui représente Kim Phuc Phan Thi fuyant les gaz nocifs.
5) Conclusion : 2 points
Réponse à la problématique : Somme toute, ce n’est pas uniquement aux chercheurs de s’intéresser à l’éthique scientifique. Ces derniers sont néanmoins les premiers à produire et à pouvoir anticiper les utilisations de leurs innovations. Raison pour laquelle leur intégrité scientifique reste primordiale.
Cela est d’autant plus vrai au vu des nombreuses subversions réalisées par le ministère de la Défense, qui ne limite son utilisation militaire d’innovations que dans le cas où un sujet a été largement médiatisé ou désapprouvé par la population. Suite à la guerre du Vietnam par exemple, il est peu probable que les Américains réutilisent du gaz lors d’une opération militaire où des civils sont présents.
Ouverture : C’est d’ailleurs tout l’inverse, puisqu’en 2012, Obama menace Bachar al-Assad de « conséquences » s’il utilise des armes chimiques, notamment du gaz sarin, sur des civils.
Alors, tu aurais obtenu combien à cette colle ? Si tu souhaites continuer à t’entraîner sur des sujets d’anglais, n’hésite pas à consulter cet article. Et si tu veux en savoir plus sur l’éthique et les nouvelles technologies, rendez-vous ici.