Les dernières élections générales britanniques, qui se sont tenues le 4 juillet 2024, sont historiques à bien des égards. Première victoire du Parti travailliste depuis 14 ans (et majorité absolue à la Chambre des communes), plus petit nombre de sièges pour les Conservateurs depuis plus de 25 ans, premières élections depuis le couronnement de Charles III et premier gouvernement majoritairement féminin de l’histoire du Royaume-Uni. Avant de commencer, je te propose de lire cet article sur les différents partis politiques du pays.
Mise en contexte et campagne électorale
Un pays marqué longtemps aux mains des conservateurs
Depuis la victoire de David Cameron en 2010, le Royaume-Uni était dirigé par les Tories et divers Premiers ministres qui ont passé plus ou moins de temps au 10 Downing Street. Il y a donc eu David Cameron, puis Theresa May, Boris Johnson, l’éphémère Liz Truss et finalement Rishi Sunak jusqu’au 5 juillet dernier.
Les élections générales de 2019 étaient peu ou prou l’inverse total de celles qui se sont déroulées il y a quelques mois. Les Conservateurs avaient réalisé leur meilleur score, depuis 1987 et « l’Iron Lady » Margaret Thatcher, grâce à la campagne pro-Brexit du fantasque Boris Johnson. Cette victoire écrasante coïncidait aussi avec une défaite historique du Labour Party de Jeremy Corbyn qui avait récolté son pire résultat électoral depuis 1935.
Le 25 octobre 2022, Rishi Sunak devenait le premier « British Prime Minister » de l’histoire issu de l’immigration extra-européenne (indienne en l’occurrence) et le plus jeune depuis plus de deux siècles. Toutefois, deux années plus tard, la relation entre l’ancien financier et les Britanniques est extrêmement détériorée, la faute à de nombreuses controverses. Elles sont notamment liées au leitmotiv politique de Sunak : la politique Rwanda. Frappé un temps par le pire taux d’approbation pour un Premier ministre de l’histoire, Rishi Sunak décida d’avancer la date des élections générales (normalement prévues pour janvier 2025) au 4 juillet 2024 donc.
Une campagne axée sur le thème de l’immigration et de la relance économique
De part et d’autre du spectre politique britannique, les questions économiques et migratoires étaient les plus clivantes et importantes de cette campagne électorale. Dès le début de la campagne, le Parti travailliste, dirigé par Sir Keir Starmer, était donné gagnant avec plus de 20 % d’avance sur les Tories.
Outre les questions migratoires et économiques, le logement et la santé étaient des thèmes redondants. En effet, cette campagne s’est déroulée sur fond de gros problèmes avec le NHS (National Health Service). Il y aurait actuellement 7,6 millions de soins en attente (parfois pour plus d’un an), soit trois millions de plus qu’avant Covid, où il était déjà dans une très mauvaise posture.
La campagne du Labour Party
Le néo-Premier ministre Keir Starmer s’est efforcé pendant toute sa campagne de « recentrer » son parti en axant ses prises de position sur de nouveaux thèmes, comme l’ordre, la limitation de l’immigration ou encore la justice. Cela lui permettait de toucher un électorat conservateur modéré. Starmer a donc décidé d’abandonner la ligne politique de l’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn, réputé très à gauche, qui avait basé sa campagne de 2019 sur la nationalisation des entreprises britanniques, l’abolition des frais de scolarité à l’université, la hausse des aides sociales, ou encore le plafonnement des bonus des banquiers (lui attirant les foudres de la City à Londres).
Aujourd’hui, le parti s’est rapproché des milieux d’affaires grâce à Keir Starmer qui souhaite mettre l’accent sur la rigueur budgétaire et qui s’est déjà détourné des syndicats. Avec ces nouvelles décisions politiques, le Parti travailliste a relégué au second plan de sa campagne des thèmes autrefois prédominants, comme l’écologie. Le parti a d’ailleurs refusé de promettre au collectif « Just Stop Oil » l’arrêt de l’exploitation pétrolière en mer du Nord.
La campagne des Tories
Déjà mal embarquée en raison du désamour porté par les Britanniques à Rishi Sunak, la campagne des Conservateurs a été entachée par une série de scandales. Le plus important implique une partie des Conservateurs qui aurait parié sur la date des élections générales, empochant une jolie somme d’argent à la clé. L’attitude de Sunak ces derniers mois a aussi fait couler de l’encre, notamment lorsqu’il ne s’est pas rendu à la commémoration du 80e anniversaire du Débarquement de Normandie.
Plus encore, la droitisation progressive de la ligne électorale du Tory Party a conduit quelques figures conservatrices à envisager une alliance avec le nouveau parti d’extrême droite, Reform UK, dirigé par le controversé Nigel Farage. En effet, l’ancien dirigeant du parti UKIP est une figure montante du paysage politique britannique. Arrivé en tête des élections européennes avec son ancien « Parti du Brexit », il a longtemps dépassé dans les sondages le Parti conservateur, mais a été lésé par une myriade de controverses au sein de son parti (propos racistes, homophobes et attitude pro-russe de Nigel Farage lui-même).
Un résultat historique
Le 4 juillet au soir, les résultats électoraux étaient sans appel. Le Parti travailliste a largement remporté les élections avec la majorité absolue (412 sièges sur 650, 63,4 % des sièges de la House of Common), permettant ainsi à Keir Starmer de devenir Premier ministre du Royaume-Uni pour la 59e législature du pays.
Ces premières élections déroulées sous le nouveau règne de Charles III ont aussi été marquées par un taux record d’abstention (40 % des Britanniques ne se sont pas rendus aux urnes, soit 7,5 % de plus qu’en 2019). Cela prouve une fois encore la méfiance des habitants du Royaume-Uni envers leurs politiques et la rupture de confiance entre les deux. L’issue du scrutin a aussi vu advenir une avancée significative : la 59e législature britannique est la première qui compte un nombre de ministres féminins plus important que le nombre d’hommes (11 femmes secrétaires d’État, contre 10 hommes), avec comme figure de proue la nouvelle vice-Première ministre du Royaume-Uni : Angela Rayner.
Si les travaillistes ont obtenu 63,4 % des sièges, ils n’ont pourtant ravi que 33,7 % des votes outre-Manche (soit environ 9,7 millions de voix). A contrario, les Conservateurs n’écopent que de 121 voix, 244 de moins qu’il y a cinq ans, alors qu’ils ont obtenu 23,7 % des voix. L’écart le plus criant entre le nombre de voix et de sièges est à observer du côté de Reform UK. En effet, la formation dirigée par Nigel Farage a beau avoir recueilli 4,1 millions de votes, soit 14,29 % du total, ils n’ont glané que cinq petits sièges à la Chambre des communes.
Cet écart significatif, jugé par beaucoup incompréhensible et peu démocratique, est lié à l’utilisation du scrutin uninominal majoritaire. En principe, chaque MP (Member of Parliament) est élu s’il a obtenu le plus de votes dans sa circonscription en un seul tour. Dès lors, malgré son nombre astronomique de sièges, le Parti travailliste a obtenu la victoire la plus faible de l’histoire moderne du pays en matière de part des suffrages (à peine 10 % de plus que les Conservateurs, loin des 20 % annoncés dans les sondages). Est-ce une victoire en trompe-l’œil ?
Un début de mandat très compliqué pour Keir Starmer
Sur le plan économique
Annoncé par le Roi Charles III lui-même lors de son discours habituel post-élections, le programme de Keir Starmer est basé avant tout sur la relance économique, avec diverses mesures phares à mettre en place : suppression des Lords héréditaires de la Chambre des Lords, nationalisation des trains… Néanmoins, le 29 juillet 2024, la nouvelle Chancelière de l’Échiquier, Rachel Reeves (première femme de l’histoire occupant ce poste), a annoncé que son ministère avait trouvé un « trou secret » de plus de 22 milliards de livres sterling dans les finances publiques, apparemment « caché » par les Tories.
Dans son budget, annoncé le 30 octobre, elle a ainsi listé une série de mesures à mettre en place afin de remettre le pays sur pied économiquement. Si l’austérité économique n’est plus à l’ordre du jour, la chancellerie a prévu 40 milliards de livres sterling par an de hausse d’impôts. Le gouvernement prévoit ainsi avec cet argent d’investir 100 milliards de livres sterling sur cinq ans pour reconstruire le pays et ses services publics.
Et les changements arrivent sur tous les fronts
Le gouvernement britannique tente de réformer de fond en comble le travail grâce à l’Employment Rights Bill qui vise à redonner des droits et de la stabilité aux employés britanniques. Sur la question de la santé, Keir Starmer a récemment promis de profondément changer le NHS et de le redresser. Il affirmait même : « Il faut une intervention chirurgicale et non des solutions de fortune. » (We need surgery, not band-aid solutions.)
Toutefois, cette volonté de modifier drastiquement l’économie du pays a poussé le gouvernement à demander aux contribuables de sa majesté de bien vouloir se serrer la ceinture. Une demande qui passe mal, alors même que le Premier ministre est empêtré dans un récent scandale. Ce dernier aurait reçu pour plus de 120 000 £ de cadeaux ces cinq dernières années !
En matière de politique étrangère
Le retour du Parti travailliste au pouvoir semble rimer avec un rapprochement avec l’Union européenne. Le Royaume-Uni était même l’hôte du 4e sommet de la Communauté politique européenne. Fin août, Keir Starmer s’est rendu en Allemagne pour signer un traité de coopération avec son homologue Olaf Scholz. Puis il s’est envolé pour Rome, où il a loué la politique migratoire de la leadeuse italienne d’extrême droite Georgia Meloni. À plusieurs reprises il a d’ailleurs affirmé que le Royaume-Uni serait « un ami et partenaire » de l’Union européenne, sans toutefois remettre en cause le récent Brexit. Starmer cherche particulièrement à se rapprocher de ses voisins européens sur le plan de l’immigration, et sa visite à Bruxelles (la première pour un dirigeant britannique depuis plus de cinq ans) le 2 octobre semble en attester.
Malgré tout, dans la logique de redressement budgétaire et d’affermissement des frontières du Royaume, le gouvernement a annoncé la mise en place de l’ETA (Electronic Travel Authorisation), le nouveau visa payant nécessaire pour venir au Royaume-Uni depuis un pays européen. Dès son entrée en vigueur, le 2 avril 2025, chaque ressortissant européen devra s’acquitter de la somme de 10 £ s’il souhaite venir au Royaume-Uni.
En dehors de ses relations avec l’UE, le Royaume-Uni a aussi dû prendre des décisions complexes en matière de politique étrangère. En effet, David Lammy (le nouveau ministre des Affaires étrangères britannique) a déclaré que son pays n’allait, jusqu’à nouvel ordre, plus vendre des armes à Israël par peur qu’elles soient utilisées à Gaza pour « de sérieuses violations du droit humanitaire international ». Un positionnement dans la crise au Moyen-Orient qui dénote de la politique habituelle du Royaume-Uni, habituellement très « Israël-friendly ».
Enfin, lors du dernier sommet du Commonwealth aux Samoa, le Royaume-Uni a été sommé de mettre en place une « justice réparatrice » pour les crimes coloniaux qu’il a pu réaliser durant de longues années.
Sur le plan social
Peu de temps après l’élection de Keir Starmer, le pays a été chamboulé par une terrible attaque au couteau à Southport, une ville de 100 000 habitants, au nord de Liverpool. Le 29 juillet 2024, Axel Rudakubana, 17 ans et d’origine rwandaise, a mortellement poignardé trois petites filles âgées de 6 à 9 ans. L’origine du meurtrier a dès lors mis le feu aux poudres outre-Manche et des dizaines de rixes à caractère raciste ont eu lieu dans tout le pays. Pendant plus de trois semaines, des émeutes anti-immigration ont éclaté aux quatre coins du pays sur fond de fausses rumeurs étalées sur les réseaux sociaux attestant du fait que le meurtrier était un demandeur d’asile de confession musulmane.
Moins d’un mois après son investiture, Keir Starmer a donc dû gérer une crise sans précédent, alors même qu’il avait promis durant toute sa campagne d’agir massivement sur le thème de l’immigration et sur la sécurité nationale. La réponse fut néanmoins rapide et claire de la part du gouvernement. 275 personnes ont été poursuivies pour leur rôle dans les émeutes et 50 ont été condamnées à de la prison ferme (notamment l’influenceur d’extrême droite Tommy Robinson, figure montante du populisme anglais). Sur la question migratoire, Starmer a tenu à prendre des mesures rapidement. Après avoir définitivement abrogé le projet de la loi Rwanda, si chère à Rishi Sunak, il a annoncé un financement de 99 millions de livres sterling sur trois ans pour lutter contre l’immigration clandestine. Yvette Cooper, nouvelle Home Secretary (ministre de l’Intérieur), a affirmé vouloir cibler les « gangs de passeurs ».
Sur une note plus positive, le gouvernement a approuvé en septembre un très grand nombre de projets d’énergie renouvelable qui pourraient permettre d’alimenter 11 millions de ménages britanniques. Le tout se déroule dans le cadre du nouveau plan environnemental britannique qui vise à faire du Royaume-Uni un leader mondial en matière d’énergie verte. Le gouvernement prévoit d’investir 8,3 milliards de livres sterling sur cinq ans via l’entreprise Great British Energy, afin d’investir massivement dans les énergies éoliennes flottantes, marémotrices et nucléaires, avec comme point de mire une énergie britannique 100 % décarbonée d’ici 2030.
Enfin, au pied du mur, les Conservateurs tentent de se réinventer. Ces derniers ont nommé Kemi Badenoch, 44 ans, à la tête du parti le 2 novembre. Députée depuis 2017 et ancienne ministre du Commerce de Rishi Sunak, elle est née au Royaume-Uni, mais est originaire du Nigeria où elle a grandi jusqu’à ses 16 ans. Elle devient ainsi la première femme noire à diriger un des principaux partis politiques du Royaume-Uni. En dépit de son histoire personnelle, sa nomination marque un tournant à droite toute pour les Tories, car elle se décrit elle-même anti-woke, anti-neutralité carbone et surtout contre l’immigration qu’elle juge « pas bonne » pour son pays.
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