Sixième autrice de ce dossier sur les Women’s Studies : Julia Kristeva. Cet article te propose un résumé de l’un de ses textes à propos des femmes intitulé « Le Temps des femmes ». Bonne lecture !

Introduction et contexte

Julia Kristeva, théoricienne influente qui s’est intéressée à la linguistique et à la psychanalyse, explore dans ses travaux des thèmes tels que la subjectivité, à l’identité et, plus généralement, les émotions humaines.

Parmi ses œuvres les plus notables, on trouve Pouvoirs de l’horreur (1980) qui définit le concept d’abject. Selon elle, l’abject est ni objet, ni sujet (on voit ici l’intérêt qu’elle porte à la linguistique et au langage, au travers du jeu sur ob-jet / su-jet / ab-jet). Kristeva le définit comme suit : « un quelque chose que je ne reconnais pas comme chose […]. À la lisière de l’inexistence et de l’hallucination, d’une réalité qui, si je la reconnais, m’annihile ». Un peu plus tard, elle publie également Soleil Noir (1987) qui redéfinit les concepts de deuil et de mélancolie et repense les théories de Freud à ce sujet.

Son article « Women’s Time », que nous allons étudier aujourd’hui, offre une perspective critique sur le féminisme et les conceptions traditionnelles du temps, en soulignant la nécessité de reconnaître la diversité des expériences féminines.

Résumé de l’article

Dans « Women’s Time », Julia Kristeva aborde les notions de temporalité associées à la subjectivité féminine. Elle commence par présenter la manière dont la femme est perçue aujourd’hui, et note que c’est souvent en termes spatiaux (donc, qui renvoient à l’espace occupé par la femme) et moins en termes temporels. Par exemple, Freud a écrit que l’hystérie était liée au lieu où vivait la patiente… Prenant le contrepied de telles théories, Kristeva s’intéresse, quant à elle, au « temps » de la femme.

Elle distingue deux types de temporalité : la temporalité cyclique (extrasubjective) et la temporalité monumentale. La première est liée aux cycles biologiques (les règles, la gestation etc.), tandis que la seconde renvoie à une temporalité massive et éternelle, comparable à l’espace imaginaire et aux mythes de résurrection.

L’article s’attarde ensuite sur l’histoire, ou la temporalité, du féminisme : son développement et son évolution permettent à la penseuse de distinguer deux générations. La première génération, souvent représentée par les suffragettes et les féministes existentialistes, aspirait à obtenir une place dans le temps linéaire, considéré comme le temps du projet et de l’histoire. Cette génération cherchait à s’intégrer dans la vie sociopolitique, avec des revendications telles que l’égalité salariale pour un travail égal et l’accès aux institutions sociales sur un pied d’égalité avec les hommes.

La seconde génération, par contre, adopte une approche différente en remettant en question les structures mêmes de ce temps linéaire. Elles se tournent vers une temporalité cyclique ou monumentale, souvent associée aux mouvements marginaux. Ces féministes s’intéressent aux aspects plus profonds et symboliques des rôles de genre et cherchent à rompre avec les codes établis, cherchant un discours spécifique plus proche du corps et des émotions​ et moins en accord avec les constructions sociopolitiques qui sont le fruit de l’histoire linéaire.

Grâce à cette distinction entre temps cyclique et tempos monumental et à son travail sur la définition du temps féminin, Kristeva critique l’idée d’un féminisme universalisant et essentialisant, qui tend à effacer les différences individuelles et culturelles parmi les femmes. Elle met en avant l’importance de reconnaître la pluralité des expériences féminines, qu’elles soient historiques, sociales ou psychologiques.

Selon elle, la subjectivité féminine est souvent envisagée à travers des stéréotypes maternels, ce qui limite la compréhension de la diversité des rôles et des identités des femmes. Elle note en effet que les représentations traditionnelles de la maternité sont souvent enracinées dans une vision de la femme comme gardienne de l’espace et du temps biologique, en opposition au temps linéaire et historique généralement associé à la masculinité. Kristeva critique cette dichotomie.

Analyse critique

Certains critiques reprochent à Kristeva la complexité et l’abstraction de son langage, ce qui rend ses idées moins accessibles au grand public et aux militantes féministes. Son utilisation de concepts psychanalytiques et philosophiques peut sembler élitiste et déconnectée des réalités pratiques des luttes féministes.

D’ailleurs, l’accent mis par Kristeva sur les aspects théoriques du féminisme pourrait être vu comme une distraction des enjeux concrets et matériels auxquels sont confrontées les femmes. Son travail ne propose pas de solution pragmatique quant à la discrimination, la violence ou encore les inégalités économiques.

En outre, bien que Kristeva critique les définitions essentialistes de la féminité, certaines féministes pourraient estimer que son analyse de la temporalité féminine repose elle-même sur des stéréotypes liés au cycle biologique et aux rôles maternels. Cette perception pourrait alimenter des débats sur la reproduction des clichés genrés dans la théorie féministe.

D’ailleurs, la penseuse identifie différentes générations et approches au sein du féminisme, ce qui peut être perçu comme une source de division plutôt que d’unité. Son travail pourrait être critiqué pour avoir exacerbé les tensions entre le féminisme matérialiste anglo-américain et le féminisme poststructuraliste français, rendant plus difficile la création d’un mouvement féministe cohérent et inclusif.

Conclusion : apport à la psychanalyse

Somme toute, l’article de Julia Kristeva a pour objectif de reconnaître la diversité des expériences et des identités des femmes. En remettant en question les notions traditionnelles et universalisantes du féminisme, Kristeva ouvre un espace pour une compréhension plus nuancée de la subjectivité féminine, ancrée à la fois dans l’histoire et dans le psychisme individuel.

Dans ce travail, et comme à son habitude, Kristeva critique des concepts ou notions pour montrer leur limite. Elle repense principalement les travaux de Freud et leur réception. En effet, Freud pose la question de la différence sexuelle et des différences entre les sujets. Kristeva reconnaît que, bien que Freud ait souvent été perçu de manière critique en raison de ses vues considérées comme phallocentriques et dévalorisantes pour les femmes, revisiter ses concepts permettrait de mieux comprendre les structures symboliques et psychiques qui sous-tendent la différence des sexes.

Malgré ses aspects controversés, la théorie freudienne fournit des outils pour analyser la formation du sujet et les processus de symbolisation, qui sont essentiels pour comprendre les dynamiques de genre et les inégalités. En ce sens, elle appelle à une lecture plus nuancée et critique des œuvres de Freud.

Tu sais maintenant tout sur ce texte de Julia Kristeva, à toi de le réemployer dans tes expressions écrites ! Si tu veux continuer de lire à propos de Freud, n’hésite pas à consulter nos articles sur la psychanalyse ! Bonne lecture !