Dernière penseuse de notre série sur les théoriciennes du féminisme et du genre : Juliet Mitchell. Dans cet article, nous lisons ensemble un extrait de Psychoanalysis and Feminism (1974). Bonne lecture !

Informations biographiques

Si elle est née en Nouvelle-Zélande, Juliet Mitchell a émigré au Royaume-Uni (en Angleterre) en 1944. Elle a étudié à l’université d’Oxford avant de se spécialiser dans la psychologie, psychothérapie et psychanalyse. Elle a donné cours dans des universités prestigieuses, pratiqué en tant que psychothérapeute et écrit à ce sujet.

Elle a notamment publié : Women’s Estate (1971) et Women, the Longest Revolution (1984), et, plus tard, Siblings: Sex and Violence (2003), Mad Men and Medusas: Reclaiming Hysteria (2000), ainsi que divers essais tels que “The Vortex beneath the Story” (2000) et “Did Oedipus Have a Sister?” (2001).

Mais c’est surtout pour le texte que nous allons étudier dans cet article qu’elle est connue. Il s’agit de Psychoanalysis and Feminism (1974), qui remet en question les attaques féministes contre Freud.

Présentation de Psychoanalysis and Feminism (1974)

Dans ce texte, elle interprète les théories de Freud non pas comme des textes prescriptifs (c’est-à-dire des textes qui « donnent des ordres » ou, tout du moins, disent au lecteur quoi faire), mais comme des textes descriptifs. En bref, selon Mitchell, Freud montre que la société est patriarcale mais ne la rend pas pour autant patriarcale. La psychanalyse ne ferait que mettre en lumière les inégalités de genre.

Grâce à cette méthode, elle parvient à montrer que le complexe d’Œdipe (selon lequel un enfant tomberait plus ou moins amoureux de l’un de ses parents) contribue à la création d’une structure sociale dominée par les hommes. Cet article ne s’intéressera pas en détails à cette démonstration, mais tu peux retenir que c’est une réalisation pour laquelle Mitchell est connue.

Dès lors, les travaux de Juliet Mitchell ont permis aux féministes d’utiliser les modèles psychanalytiques freudiens pour comprendre la construction sociale autour de la féminité.

Résumé de l’introduction de l’ouvrage

Dans un premier temps, Juliet Mitchell circonstancie la déclaration selon laquelle les féministes considèrent Freud comme un ennemi (elle commence par : “The greater part of the feminist movement has identified Freud as the enemy”). Ici, elle fait notamment référence au féminisme radical américain.

Mais selon Mitchell, c’est l’interprétation populaire qui a été faite des travaux de Freud qui est anti-féministe et non ses écrits en soi.

Cela lui permet d’avancer que la psychanalyse freudienne ne donne pas d’ordres ou de conseils (à l’inverse de ceux qui l’interprètent mal) : “psychoanalysis is not a recommendation for a patriarchal society, but an analysis of one.” Au contraire, la psychanalyse ne formule que des analyses et des descriptions selon Mitchell.

Ainsi, elle postule que la psychanalyse peut s’avérer être un outil très utile au féminisme : en effet, les travaux de Freud prennent moins part aux systèmes d’oppression qu’ils ne les décrivent et analysent afin d’identifier leur fonctionnement et l’origine des constructions sociales.

Elle va plus loin et explique que selon elle, il est impossible de prendre en compte les théories des sociologues ou des politologues qui parlent des femmes (tels que Wilhelm Reich ou R. D. Laing [1]) sans comprendre dans quel contexte social ces travaux sont écrits. Juliet Mitchell est convaincue que la psychanalyse est la clé pour mieux aborder de tels travaux.

Toute sa méthodologie, qu’elle définit dans l’introduction de son ouvrage, repose donc sur le fait de redéfinir et de recontextualiser les écrits de Freud qui ont bien souvent été, je cite Mitchell, « extrapolés par les féministes ».

Dès lors, elle reprend des concepts freudiens tels que celui de « phallus » pour expliquer que Freud ne fait pas référence à l’organe anatomique mais au concept plus métaphorique de « pouvoir et domination masculine ». Du fait de constructions sociales qui ont perduré, ce concept serait ancré dans notre « inconscient ».

Somme toute, Juliet Mitchell allie la psychanalyse au marxisme : si le marxisme permet d’expliquer la situation matérielle et économique des femmes, la psychanalyse, elle, peut permettre de comprendre tout ce qui est immatériel, tout ce qui fait que, psychologiquement, les femmes peuvent se sentir inférieures, et les hommes supérieurs : “Where Marxist theory explains the historical and economic situation, psychoanalysis, in conjunction with the notions of ideology already gained by dialectical materialism, is the way into understanding ideology and sexuality.”

Notes

[1] Wilhelm Reich était en faveur d’une libération de la femme. Il a notamment écrit sur la sexualité féminine et a postulé que les normes sociales patriarcales restreignaient la sexualité féminine. Similairement, R. D. Laing soutenait que la sexualité des femmes était influencée par les normes et les attentes sociales. Il a notamment affirmé que les femmes étaient conditionnées par la société à adopter des rôles spécifiques et à réprimer leurs désirs sexuels.

Analyse de Psychoanalysis and Feminism (1974)

Une influence à la fois marxiste et féministe

Le travail mené par Juliet Mitchell n’est, en fait, pas vraiment révolutionnaire, et surtout, si elle met d’abord en avant l’influence que le marxisme a sur son travail, il faut aussi prendre en compte l’influence qu’ont les féministes marxistes (plutôt que le marxisme en général) sur ses écrits.

Sa publication s’inscrit en réalité à la suite des revendications d’un mouvement bien précis. En effet, le lien entre psychanalyse et politique avait déjà commencé à être établi par un petit groupe marxiste parisien de l’époque, nommément Psychanalyse et Politique, qui faisait partie du Mouvement de la Libération des Femmes. D’ailleurs, Mitchell cite le manifeste de ce groupe dans son travail, montrant qu’elle hérite de leur pensée.

Vers une meilleure définition du phallocentrisme

Un aspect important de l’ouvrage Psychoanalysis and Feminism est sa redéfinition de certains concepts freudiens, ce qui permet d’éclaircir leur signification, et surtout, leurs implications. Par exemple, en replaçant le concept de « phallus » dans son contexte, Mitchell avance des arguments qui permettent de mieux définir, comprendre et, in fine, contrer le phallocentrisme.

Elle écrit notamment : “psychoanalysis is about the material reality of ideas both within, and of, man’s history; thus in ‘penis-envy’ we are talking not about an anatomical organ, but about the ideas of it that people hold and live by within the general culture, the order of human society.” De telles citations placent la théoricienne comme visionnaire en ce qui concerne le concept de phallocentrisme.

Quelques arguments toutefois archaïques

Bien que Juliet Mitchell ait fait énormément avancer la pensée féministe, notamment en ce qui concerne la compréhension des constructions sociales, la théoricienne a parfois recours à des arguments archaïques. Il faut donc prendre un peu de recul critique lorsqu’on lit ses travaux. Par exemple, elle soutient que les travaux de Freud ont permis de mieux comprendre l’hystérie alors qu’on sait aujourd’hui que l’hystérie n’est pas une maladie et était utilisé pour opprimer les femmes :

The material is still inadequate, some of the analytical questions are still unformed, but it seems clear that the psychological behaviour patterns of women, the connection of, say, hysteria and femininity, the different role of romantic love in the lives of the two sexes, women’s undue share of ‘intuition’ and men’s of ‘rationality’, can all find at least a partial explanation within a development of the work of psychoanalysis.”

On peut donc conclure que, bien qu’elle ne prenne peut-être pas assez de recul concernant les écrits de Freud, Juliet Mitchell a permis à la pensée féministe d’avancer tout en utilisant la psychanalyse comme un outil pouvant soutenir sa cause, et non comme un ennemi.

Voilà, tu connais dorénavant tout sur Juliet Mitchell ! Si tu veux en apprendre plus sur la psychanalyse, n’hésite pas à aller lire nos articles sur le sujet tels que celui-ci !