NB : L’article ci-dessous est basé sur le classement ELO des écoles de commerce réalisé par Lionel Magnis, professeur de mathématiques en ECG au lycée Gaston Berger. Pour les lecteurs curieux, la méthode mathématique pour établir ce classement est détaillée ici. Pour toute question/critique/commentaire, écrire à lionel.magnis[@]ac-lille.fr (retirer les crochets)

Il y a quelques semaines, le 12 juillet à 14h00, pour être exact, les étudiants des classes préparatoires qui souhaitaient intégrer une Grande École de management découvraient les résultats d’affectation SIGEM. Pour ces derniers, cela représente l’aboutissement de deux ou trois années de travail acharné, et la réponse définitive à une question pour le moins obsédante : vais-je intégrer une école et, si oui, laquelle ?

Pour ce faire, les candidats de prépa inscrits aux concours BCE et ECRICOME ont dû réaliser ce qu’on nomme la procédure SIGEM. Elle consiste à hiérarchiser les écoles pour lesquelles, à l’issue des oraux, ils figuraient en liste principale, soit en liste d’attente. L’algorithme mouline par la suite ces données, et affecte les admis selon leurs préférences… dans la mesure du possible. Évidemment, sont prioritaires ceux qui ont obtenu les meilleurs classements pour chaque école considérée.

De cette procédure découle un tableau, les désistements croisés, qui récapitule ainsi l’ensemble des préférences des étudiants.

Principe du classement SIGEM

Le classement SIGEM est une construction officieuse, qui émane de médias comme Major Prépa, et qui se fonde sur ces données. En compilant les désistements croisés, que nous venons de mentionner, on parvient à établir une hiérarchie entre les écoles. Cette hiérarchie ne dit donc rien du niveau de l’école contrairement à ce que tentent de faire, avec plus ou moins de sérieux et de pertinence, les classements traditionnels des écoles (Financial Times, Le Figaro, Challenges, etc.). Pour autant, ce classement est sans conteste celui de référence pour les étudiants de prépa, celui auquel ils se réfèrent en priorité (on comprends dès lors sa dimension autoreproductrice par essence)

En 2024, le classement SIGEM était le suivant :

Classement SIGEM 2024 définitif

Les limites du classement SIGEM

Pour autant, ce classement SIGEM tel qu’établi aujourd’hui présente certaines limites. On ne parle pas ici de sa légitimité ou de son bien-fondé, mais uniquement de l’écart entre ce qu’il présente et l’attractivité réelle des différentes écoles. Voici quelques exemples :

  • Le classement SIGEM invisibilise les écarts relatifs entre les écoles : HEC (1er) et l’ESSEC (2e) se suivent dans le classement, tout comme Audencia (7e) et NEOMA (8e). Pourtant, le premier duel est sans appel (358 à 1 pour HEC), tandis que le second est nettement à l’avantage d’Audencia, mais tout de même plus disputé (307 à 193 pour Audencia). Or, ceci n’est absolument pas lisible dans le classement.
  • À partir de certaines écoles, les duels deux à deux sont trop peu significatifs (quelques étudiants à peine) et il devient donc difficile d’établir une hiérarchie. Par exemple, en 2024, IMT-BS gagne son duel face MBS et contre Rennes SB… mais a perdu contre ICN et BSB, chaque fois à quelques étudiants près. Dans ces conditions, chaque média a classé ces écoles selon sa sensibilité statistique, forcément subjective.
  • Les duels ne se jouent pas uniquement entre deux écoles adjacentes au classement, contrairement à ce que pourrait laisser penser le classement SIGEM. Par exemple, si emlyon parvenait à perdre son duel face à l’ESSEC non pas 268 à 0, mais “seulement” 100 à 168, ce serait une sacrée performance et une hausse incontestable de son attractivité ! Pour autant, cela ne changerait rien à son classement SIGEM, et elle resterait sagement derrière l’EDHEC. Cet exemple est saugrenu, certes, mais en revanche cela a de l’impact à partir du top 5 ou 10, où certaines écoles prennent des candidats sur des duels a priori hors de portée pour elles. C’est le cas par exemple d’IMT-BS, comme nous l’avons vu dans le point ci-dessus. L’école parvient à gagner son duel face à Rennes SB (12e) et MBS (13e), sans que cela soit réellement valorisé dans le SIGEM traditionnel.

Intérêts du score Elo pour expliciter le SIGEM

Le système Elo est utilisé depuis les années 1960, et permet d’évaluer le niveau relatif de joueurs dans le cas d’un jeu à somme nulle. En gros, lorsque A et B s’affrontent, si A gagne, B perd, et réciproquement (à la rigueur, ils peuvent faire match nul).

Si le classement Elo est surtout iconique aux échecs, le système Elo ou certaines de ses variantes sont désormais utilisés dans les jeux en ligne comme League of Legend, et même… sur les applications de rencontre (oui, cela fait un peu froid dans le dos). Pour en savoir plus sur le classement Elo, vous pouvez regarder l’excellente vidéo du youtubeur ScienceEtonnante.

Mais comment faire le lien avec le classement SIGEM ? C’est très simple : chaque fois qu’un étudiant choisit une école A plutôt qu’une école B, on peut considérer que A gagne un match contre B. Ainsi cette année, HEC a joué 1 250 matchs contre divers adversaires : ESSEC, ESCP, EDHEC, etc. Elle a gagné 1249 matchs et n’en a perdu qu’un, face à l’ESSEC.

En analysant le choix de tous les étudiants, on se retrouve dans le cas de figure d’un tournoi entre une vingtaine d’écoles qui ont joué plus de 7 000 matchs.

Ainsi, ce classement surpasse les limites précédemment évoquées et donne une vue plus précise de l’attractivité intrinsèque de chaque école.

Le classement Elo du SIGEM 2024

Classement SIGEM-ELO 2017-2024

rang 2024 École 2024 2023 2022 2021 2019 2018 2017
1 HEC 1502 1500 1496 1491 1485 1481 1480
2 ESSEC BS 1285 1292 1298 1309 1311 1315 1316
3 ESCP BS 1145 1139 1139 1138 1140 1144 1148
4 EDHEC BS 894 889 886 863 827 806 807
5 emlyon bs 813 807 803 825 873 899 897
6 SKEMA BS 677 659 657 621 544 506 475
7 AUDENCIA 595 592 614 614 663 667 653
8 NEOMA BS 580 580 563 540 527 508 489
9 Grenoble EM 491 507 524 567 610 626 644
10 KEDGE BS 461 463 455 451 415 422 427
11 TBS Education 425 422 435 439 475 507 553
12 Rennes SB 342 353 355 363 372 370 381
13 MBS 319 331 342 330 320 330 327
14 IMT-BS 317 316 302 311 330 339 347
15 ICN BS 308 309 304 292 246 248 251
15 BSB 308 326 323 325 312 307 290
17 EXCELIA BS 277 265 253 254 256 246 232
18 EM Normandie 238 239 235 235 228 210 193
19 EM Strasbourg 235 231 246 269 281 291 307
20 INSEEC 203 197 194 201 207 212 218
21 ESC Clermont 187 182 174 166 162 148 133
22 ISC Paris 184 189 187 178 187 195 197
23 SCBS 131 129 129 128 133 130 141
24 Brest BS 104 103 105 109 116 117 119

Analyse du classement

Sans surprise, ce classement est très proche dans sa hiérarchie du classement SIGEM traditionnel. On peut relever une différence notable : IMT-BS surpasse ses concurrentes ICN et BSB, que nous avons classées à égalité avec l’école d’Évry cette année. Cela s’explique par ses bonnes performances face à des écoles nettement mieux classées, probable conséquence de sa forte attractivité auprès des boursiers. À titre d’exemple, IMT-BS a gagné son duel face à Rennes SB, pourtant deux places au dessus d’elle (11 étudiants à 10) ainsi que face à MBS (10 à 7). Ce qui n’est pas ou peu pris en compte dans le SIGEM traditionnel est fortement bonifié dans le SIGEM-Elo.

Par ailleurs, ce classement met en exergue les écarts relatifs entre les écoles ainsi que les dynamiques en cours, que nous allons commenter ci-après (ndlr : en 2020, il n’y a pas eu de désistements croisés SIGEM en raison de la crise Covid).

Les Parisiennes seules au monde

HEC, ESSEC, ESCP, ce fameux trio indéboulonnable, dépasse de presque 300 points ses poursuivantes. C’est plutôt intuitif, tant les duels entre les Parisiennes et les non Parisiennes sont inexistants (si l’on met de côté Saint-Cyr, l’ENS et l’ENSAE, un(e) seul(e) étudiant(e) a décidé cette année de ne pas rentrer le top 3 pour intégrer une autre école, en l’occurrence l’EDHEC).

Fait intéressant en revanche, le resserrement de l’écart ESCP/ESSEC (ESCP a pris 20 étudiants à l’ESSEC cette année !) est relativement visible, bien qu’encore timide.

Enfin, la symétrie entre le duel emlyon/EDHEC de 2017 et EDHEC/emlyon de 2024 illustre bien le basculement total de ce duel, qui n’en a longtemps pas été un, jusqu’à ce que les choses basculent, en 2020.

Le top 10 en ébullition

Beaucoup de choses ont changé dans le top 10 ces dernières années : la percée de SKEMA, désormais nettement devant, contraste avec la perte de vitesse de GEM ou de TBS Education sur les sept dernières années. Néanmoins, si l’on se focalise sur un temps plus court, on constate que les duels GEM/KEDGE/ TBS Education se resserrent, et que le duel NEOMA/Audencia s’est légèrement distendu après une année au coude à coude en 2023.

Un top 15+ relativement stable

Les courbes se croisent beaucoup moins au cours du temps sur ce dernier tableau. On peut néanmoins distinguer quelques écoles gagnantes : ICN BS, Excelia ou encore ESC Clermont ont connu une croissance régulière, tandis qu’EM Strasbourg a plutôt décroché.

Limites du classement SIGEM-Elo

Sans trop rentrer dans les détails techniques, la système Elo choisi pour bâtir ce modèle comporte des paramètres qui ont été fixés arbitrairement. Ces paramètres influent, entre autres, sur le nombre de points gagnés ou perdus par les deux écoles à l’issue de chaque “match” d’admis. On aurait donc pu avoir des scores finaux légèrement différents avec d’autres paramètres.

Par ailleurs, et cela est vrai pour le SIGEM “classique” comme pour le SIGEM-Elo, les désistements croisés sur lesquels nous nous basons ne sont que des données partielles. Si un étudiant est admis ou sur liste d’attente pour trois écoles (A, B,C) et qu’il choisit d’abord A, puis B, puis C, les désistements croisés indiquent que A a gagné un duel contre B et un autre contre C. En revanche, il n’est pas indiqué que B a gagné contre C. Nous allons nous rapprocher de l’association SIGEM prochainement afin de voir s’il est possible de faire mouliner le système Elo à partir de données plus complètes.