Dans la première partie de cet article, nous avons parlé de la violence rendue divertissante, de la théâtralisation de la violence. Mais on accuse parfois les médias de banaliser la violence, de minimiser son impact aux yeux du public et ainsi de la normaliser. Il est donc intéressant d’étudier ce phénomène dans le cadre du thème de Culture Générale 2024 : qu’en est-il en réalité ? La surexposition à la violence dans les médias entraîne-t-elle un ancrage profond de celle-ci dans les moeurs de la société ?

I. Le filtre de l’interface médiatique entraîne une déréalisation de la violence

S’approcher de la violence sans jamais la toucher

Les médias retranscrivent les actes violents par des reportages ou encore des témoignages. Cela participe à éloigner inconsciemment les spectateurs ou auditeurs de l’évènement en lui-même.

En effet, les médias créent un biais par lequel les individus prennent une distance par rapport à un drame. Ils ne le voient que de loin, sans être réellement touché par celui-ci : il leur est donc difficile de se sentir pleinement concernés. C’est en tout cas ce que défend Gunter Anders dans L’Obsolescence de l’homme, où il parle surtout du cas de la télévision.

En effet, selon Anders, l’écran de télé est un point de fuite qui déréalise le monde. Il explique que notre monde se double d’un « monde fantôme » qui a commencé à émerger avec la télévision et la radio, et dont Internet et les réseaux sociaux forment aujourd’hui le parachèvement. Les moyens de communication deviennent ainsi des intermédiaires, voire des « interfaces » entre le monde et le sujet pensant.

Un monde transfiguré par les médias

Plus encore, l’avènement des médias de masse est une révolution bouleversante pour l’humanité. La radio et la télévision font converger production et consommation : cela permet une individualisation de sujets qui, pourtant, adhèrent tous aux mêmes normes. Ainsi, la possession d’une télévision symbolise ce rapport au monde. Anders énonce alors que l’écran est centrifuge : il ouvre le monde de l’irréel.

En effet, le monde reçu par les médias est déjà filtré et remodelé : il peut ainsi se substituer à la réalité. Malgré le sentiment de mieux connaître le monde par les médias, ce dernier devient donc banalisé. Plus précisément, on ne perçoit que des échos brouillés, travestis du monde, celui que montre le journalisme. On ne vit donc plus les choses en première personne. A fortiori, le développement du “direct” ne donne donc que l’illusion d’une équivalence entre l’image et la réalité. Ainsi, le spectateur n’a plus conscience de la brutalité à laquelle on l’expose.

Si les médias ont tendance à amener les auditeurs à minimiser l’impact de la violence, à la considérer comme un phénomène qui ne touche que « l’autre », ils participent pourtant parallèlement à romancer cette violence en la rendant attrayante, car scandaleuse. Les médias narrent la violence : on bascule alors dans un imaginaire fascinant. Si la violence est présentée comme quelque chose d’interdit, les spectateurs dérogent à la règle. Les procédés filmiques utilisés, notamment par les chaînes de télévision, participent en effet à rendre la violence captivante.

La violence racontée devient captivante

Bérénice Mariau, dans Les formes symboliques de l’événement dramatique. Pour une grammaire du fait divers au journal télévisé (Communication et Langages), explique que des cadrages spécifiques sont mis en place par les médias, qui « ont pour objet de signifier au public qu’il visionne quelque chose qu’il ne devrait pas voir […] Le public se trouve alors ni trop près ni trop loin de l’événement » .

Ainsi, la violence reste déréalisée parce qu’elle est perçue comme secrète : son observation est présentée comme «interdite» , ce qui participe à la tenir loin de soi. Comme l’écrivait G. Gabory dans Action (1921),

Les faits divers sont la chronique du cœur humain, le petit écho des passions.

Selon Mariau, les médias créent donc des « images-symptômes », comme la mise en valeur de taches de sang par exemple. Ces images-symptômes témoignent de la violence de l’événement ou de la scène, et renvoient le spectateur ou le lecteur à une symbolique particulière qui forge « l’imaginaire social de la violence ». Elles s’emplissent alors « de ce qui touche le plus les individus », c’est-à-dire « les drames, les joies, les peines ou la simple nostalgie d’un passé perdu, renvoyant à des imaginaires profonds de la vie » . Les « images-symptômes » ont donc une force symbolique, car elles en appellent aux émotions, et forment donc une esthétique de la violence.

De la captivation à l’esthétique de la violence

Ces images sont en effet « les uniques traces restantes du drame » . Elles montrent ainsi qu’on ne peut capter la violence en elle-même, ce qui participe à créer de la distance avec celui qui en entend le témoignage, mais qu’elle laisse tout de même des blessures tangibles. Le langage télévisuel révèle enfin l’esthétique de la violence  : l’expérience de la violence devient excitante.

Si on pourrait donc penser que ces procédés participent à ancrer en l’homme une image horrifiante de la violence, en aidant par conséquent à en prendre pleinement conscience, cette image, en réalité, construit une vision fantasmatique qui jette ainsi un voile sur les impacts réels de la violence. Plus qu’une simple narration de la violence, les médias en opèrent une surexposition : ils la font ainsi rentrer dans les « normes », dans le sens où les individus intériorisent l’idée que la violence exacerbée est un élément à part entière de leur environnement. Cela a alors un impact sur leur comportent.

II. La surexposition à la violence générée par les médias influence les comportements

L’image délivrée par les médias altère les schémas de représentation de la violence

Jean Cluzel, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, établit en 2003 un rapport intitulé « Jeunes, éducation et violence à la télévision » dans lequel il définit la violence comme une « force qui peut agir d’un seul coup ou bien s’exercer par une pression continue » . Or, la télévision illustre bien ces deux types de violence, puisqu’elle

ajoute aux violences du monde qu’on lui reproche déjà de refléter avec trop de complaisance.

Cluzel et ses confrères affirment ainsi que la télévision alimente la violence, la rendant encore plus virulente en désensibilisant les spectateurs. En effet, la diffusion de la violence télévisuelle exacerberait l’agressivité du public, d’autant plus des enfants qui intègrent des schémas de représentation biaisés qui normalisent la violence.

Cependant, un phénomène a priori opposé se produit parallèlement : celui d’une « peur » grandissante. Les spectateurs intériorisent l’image télévisée, confondant alors le récit de la violence avec la réalité. Les médias inculquent donc une représentation de la violence qui agresse les auditeurs : ils se confrontent obligatoirement à la violence, ce qui déclenche de la brutalité et/ou de la peur. On le perçoit d’autant plus que la place prééminente des interfaces médiatiques dans l’environnement des jeunes individus qui se construisent ainsi face à une surexposition à la violence :

La télévision est devenue le précepteur bavard et brouillon de presque tous les enfants. Au sommet du palmarès de la violence se situent, sans concurrence possible, les productions américaines dont notre télévision fait une grande consommation.

Mais il convient, selon Cluzel et ses collègues, de nuancer l’impact des images violentes sur les individus. Certains sociologues affirment en effet qu’il n’y aurait tout d’abord pas de « corrélation entre les émissions violentes et les actes de violence ». Le « spectacle de la violence » permettrait d’apaiser les pulsions : il constitue donc une « vertu cathartique » . Faut-il donc imputer cette croissance de la violence aux médias ?

Les médias restent des « miroirs » (C. Bryon-Portet) de la nature humaine violente

Il est commun d’entendre reprocher aux médias qu’ils déforment les faits divers, de les rendre divertissants en leur faisant ainsi perdre de leur gravité. Cependant, selon C. Bryon-Portet, dans un article publié dans Les Enjeux de l’information et de la Communication en 2007, il convient d’’interroger l’origine de cette « corruption » de la réalité : n’existe-t-elle pas préalablement chez l’homme ?

En effet, selon elle,  « l’homme crée l’outil, et l’utilise ensuite en fonction de ses besoins ou de ses envies, consciemment ou inconsciemment » . Les Hommes construisent donc eux-mêmse la réalité de l’environnement dans lequel ils évoluent. Ainsi, si la violence est sur-représentée dans les médias, c’est qu’elle est omniprésente dans l’esprit et dans l’action humaines. Si l’on montre la violence, c’est donc, certes, parce qu’elle est attractive, mais aussi et surtout parce qu’elle rentre en résonance avec des faits que les individus expérimentent en première personne.

Bryon-Portet affirme ainsi que c’est justement parce que les médias retranscrivent trop fidèlement la réalité que l’on s’obstine à vouloir la refuser. Dès lors, les médias

semblent cristalliser nos phobies, exacerber nos défauts, à la façon d’un miroir grossissant […]. Nos médias ne forgent pas notre culture, mais ils en sont issus et véhiculent nos valeurs.

Par exemple, si les médias de masse réalisent une « saturation d’image » par laquelle les spectateurs sont « bombardés d’images » , celle-ci fait en réalité écho au rythme effréné de notre société. De même, la brutalité de ces images renvoie en fait à la violence qui s’exprime dans notre environnement.

Finalement, Céline Bryon-Portet est donc bien d’avis que les médias dévoilent notre « nature profonde » en tant qu’Hommes, ce qui fait mettre en perspective leur critique virulente et amène, dans le cadre de la violence, à s’interroger sur l’existence initiale de celle-ci en nous-mêmes.

Conclusion

Les médias semblent donc faire obstacle à une réelle prise de conscience sur la force des actes violents en créant une interface qui déréalise les évènements qu’ils relatent aux yeux des spectateurs. Plus précisément, la surexposition de la violence dans les médias conduit le public à s’armer de schémas de représentation qui banalisent  voire sacralisent la violence. Cela a notamment un grand impact sur la façon dont les enfants envisagent la brutalité, omniprésente dans leur environnement d’évolution. Mais certains auteurs défendent l’idée que les médias seraient surtout des « miroirs » traduisant le fait que la violence s’ancre dans la nature humaine.

Si cet article t’a plu, n’hésite pas à aller lire la première partie. Nous espérons qu’il te sera utile pour la dissertation de Culture Générale sur « La violence » , et t’invitons à consulter tous nos autres cours et exemples ici !