armes à feux États Unis

Il est pertinent étudier la culture des armes à feu aux États-Unis sous le prisme de la violence en vue de la dissertation de Culture Générale du concours 2024. Du point de vue européen, la relation que les Américains entretiennent avec l’utilisation des armes à feu est perçue comme une « exception culturelle » (D. Combeau), qu’il est parfois difficile de comprendre.

En effet, aux États-Unis, la possession et donc l’usage des armes est bien moins restreint que dans d’autres pays, notamment pour assurer la sécurité des individus. Ceci caractérise une conciliance singulière vis-à-vis de l’expression de la violence au sein de l’espace social. On peut alors se demander comment cette forme de « droit à la violence » peut se situer aux fondements d’une société démocratique pacifiée.

La violence aux origines de la culture américaine : étude du lien intrinsèque entre armes à feu et « américanité » (D. Combeau)

Selon D. Combeau, dans Les Américains et leurs armes : droit inaliénable ou maladie du corps social ? (Revue française d’études américaines, 2002), on évoque souvent, à l’étranger, la « permissivité » de la législation américaine.

Or, à ses yeux, la question relève d’un véritable « débat idéologique » , notamment autour de la place laissée à la violence dans la société. Il souligne ainsi que ce débat

oppose deux visions irréductibles de la vie en société, et peut-être même de la nature humaine.

Les origines historiques d’une violence considérée comme nécessaire

Les États-Unis admettent une particularité culturelle en ce qui concerne les armes à feux. Le port de ces dernières par les citoyens fait partie intégrante du sentiment d’appartenance à la nation et cela participe même à assurer aux individus qu’ils sont en pleine possession de leurs droits. C’est le spectre de la violence qui garantit l’ordre et la liberté.

Selon un article du journal Le Point, les armes font ainsi « partie intégrante de l’imaginaire collectif ». L’Histoire américaine et sa « mémoire populaire » caractérisent l’engagement des citoyens armés comme un pilier de la construction du pays. On comprend donc que la capacité à répondre par la force et la violence s’enracine dans les fondements de la société américaine. Selon D. Combeau encore, beaucoup d’Américains considèrent même que

c’est grâce à la possession privée d’armes, encouragée dans les colonies, que celles-ci ont pu se libérer du joug de la Couronne.

La défense violente par les armes aurait donc permis l’indépendance.

Mais pour mieux comprendre le rapport des Américains aux armes, il nous manque encore une pièce maîtresse : le deuxième amendement de la Constitution américaine. Celui-ci mentionne en effet notamment ceci :

The right of the people to keep and bear arms shall not be infringed.

Mais les interprétations de ces affirmations divergent. Les pourfendeurs du port d’armes choisissent ainsi une interprétation particulière de ces phrases : « porter une arme, c’est être américain. » Selon eux, (D. Combeau), on peut définir trois objectifs à l’armement : protéger ses biens et sa famille, barrer la route à un gouvernement tyrannique et aider à défense l’État en cas d’agression extérieure.

Le symbole de la puissance individuelle alimenté par la culture

On peut également se référer, selon D. Combeau, au mythe de la conquête de l’ouest entretenu par les productions hollywoodiennes notamment et par lequel il est véhiculé l’idée que les citoyens « honnêtes » sont en droit de porter une arme : l’expression de law-abiding citizens revient ainsi comme un leitmotiv.

Ceci est complété par l’image du « self-reliant man » (en français : l’Homme capable de dépendre de lui-même) qui peut « faire face par ses propres moyens à toutes les nécessités de l’existence » et donc de se défendre seul (« to take the law into one’s own hands »).

En outre, d’après D. Combeau, on associe souvent là-bas la législation autour des armes à feu au contrôle exercé par l’État-providence sur les citoyens : or, on accuse l’État-providence de « causer les maux de la société ». Ainsi, toujours selon D. Combeau,

Instrument de libération, de réussite et de socialisation, symbole de la responsabilité individuelle, l’arme à feu est donc présentée par ses défenseurs comme une composante incontournable de l’identité américaine, tant sur le plan historique qu’idéologique, et très probablement perçue comme telle par nombre de propriétaires.

Pour résumer, pour être libre et Américain, il faut avoir une arme. Mais cela ne va pas sans faire débat.

Un débat qui persiste : les armes sont-elles une conséquence ou l’origine de la violence ?

Ainsi, même si la Cour suprême des États-Unis a essayé de trancher la question à plusieurs reprises (US v. Cruikshank en 1876 par exemple), le débat est plus que jamais d’actualité dans le pays aujourd’hui, notamment car il reste une question essentielle qui agite les débats contemporains autour du sujet des armes : sont-elles à l’origine de la violence ou bien l’exercice de leur pouvoir de dissuasion permet-il de prévenir la violence ?

En d’autres termes, et d’après l’article de Le Point cité précédemment, le débat se résume ainsi :

Pour les uns, s’il y a autant de morts, c’est à cause des armes ; pour les autres, il faut justement plus d’armes pour éviter ces morts.

Ces visions divergentes divisent l’échiquier politique et plus largement la société, créant un blocage dans la résolution de cette problématique.

Une « conception différente de la liberté » (André Kaspi) : une forme d’équilibre de la terreur, ou une cause de déséquilibres individuels ?

Œuvrer individuellement contre la violence collective : une mission proprement américaine

Dans Des Américains et des armes à feu. Violence et démocratie aux Etats-Unis, D. Combeau explique que le port d’armes à feu est en un sens constitutif du « contrat social » qui a été passé aux États-Unis, c’est-à-dire de la relation des individus à l’État et à la société. Nous t’invitons à consulter impérativement nos articles sur les modalités du contrat social chez Hobbes et Rousseau pour les sujets sur la violence, qui permettent également de comprendre le nôtre.

Commentant l’oeuvre de Combeau, Yann Philippe déclare ceci :

Le droit aux armes serait ainsi indissociable aux États-Unis de la constitution et du fonctionnement de la démocratie.

Pour beaucoup de citoyens américains, la possession d’armes est en effet un « droit inaliénable » visant à les protéger. Pour eux, le maintien de l’ordre, et donc la répression de la violence, ne peut s’assurer que par la menace des armes. La philosophie politique de bon nombre d’Américains repose ainsi sur l’idée que les citoyens agissent ainsi individuellement pour contenir la violence et que cela est pour eux une responsabilité.

À en croire Yann Phillipe, cette conception s’inscrit dans l’opposition entre deux discours majoritaires. L’un fait des armes « les outils et les symboles de la liberté et de l’égalité des citoyens », comme expliqué précédemment ; l’autre met en avant une approche collective qui valorise la pacification du pays.

A fortiori, pour l’historien André Kaspi et selon cette interview donnée à France Culture, il n’y a qu’une conclusion possible qui puisse nous éclairer sur cette particularité étasunienne : selon lui, « nous n’avons pas la même conception de la liberté » que les Américains.

Les préconceptions européennes traduisent-elle la réalité de la violence aux États-Unis ?

C’est pour cela qu’on entend souvent dire que la violence est omniprésente dans la société américaine, comme un mal enraciné si profondément qu’il ne peut être expié. Or, d’après A. Kaspi,

Lorsqu’une tuerie de masse se produit, ou deux comme récemment, on imagine que la société est à feu à sang. Mais c’est faux : la société américaine est une société brutale, certes, mais relativement tranquille, et les tueries restent quelque chose de tout à fait exceptionnel.

A. Kaspi tient donc à nuancer le discours des médias européens, en mentionnant qu’un tiers des habitants seulement possède des armes à feu. Mais cela n’explique en rien le désir de violence qui peut animer certains porteurs d’armes.

Le désir de violence : les armes pour se sentir exister

Si A. Kaspi soutient l’idée que la culture des armes s’inscrit en partie dans une optique de protection de l’ordre civique, d’autres auteurs sont en effet beaucoup moins positifs, et expliquent que la société américaine s’individualise tout autant que ceux qui la composent cèdent à la folie en ce qui concerne la violence.

Ainsi, Teresa Cristina Carreteiro et Eugène Enriquez soulignent, dans la Nouvelle revue de Psychosocologie (2006), que les Américains cherchent à se donner l’illusion de puissance pour échapper à leur condition par la possession d’armes :

Les armes sont, à l’évidence, pour tout le monde, un symbole viril de la force et de la violence. Mais dans la société américaine (et sans doute dans d’autres sociétés actuellement), elles ont acquis un nouveau statut : celui de fétiche.

Elles mentionnent aussi le processus d’individualisation qu’a décrit Tocqueville, et qui pousse les membres de la société à vouloir se protéger eux-mêmes au détriment de toute solidarité, et contre l’État oppressif. Elles font ainsi référence à la « société du spectacle » décrite par Debord en 1994, au sein de laquelle plus aucune valeur collective n’a d’importance, les individus se comportant comme des enfants dont les désirs doivent être immédiatement satisfaits. Autrement dit, les Américains aiment leurs armes, et vivent par leur possession.

Ces explications leurs permettent alors d’en venir à la description de ceux qui commettent des tueries :

Le possible tueur prend forme : un individu dans la solitude, croyant à sa liberté, voulant assouvir immédiatement sa jouissance, sûr de ses droits, n’aimant que rarement un petit nombre de ses semblables, ayant peur d’eux et les jalousant du fait de son impuissance réelle.

La violence fantasmée : le passage du songe à l’acte par les armes

Dans cette optique, A. Kaspi décrit bien l’imaginaire existant autour des tueries :

Quand ils commettent leur crime, ils arrivent déguisés, en blouson noir ou tout en noir ; c’était le cas déjà à Columbine en 1999. Et à chaque fois, ils se mettent dans la position de ce qu’ils voient dans les jeux vidéos : ils font dans la réalité ce que d’autres font sur des écrans de télé.

A. Kaspi nous offre alors un éclairage sur d’autres raisons culturelles expliquant les actes de barbarie aux États-Unis, et qui ne sont pas propres à cette société en particulier. Il décrit notamment l’influence des jeux comme « Call Of Duty » , qui ne font pas l’effet de catharsis recherché initialement, mais alimentent au contraire l’idée selon laquelle on peut se comporter dans le vrai monde comme on le ferait dans un jeu, et ce, sans conséquences.

Enfin, Kaspi note l’émergence d’un phénomène du « pourquoi pas moi », accentué par la médiatisation des tueries, et qui entraine la volonté des tueurs de céder à leurs pulsions de mort, puisque d’autres citoyens l’ont fait avant eux.

Conclusion

La question des armes à feu relève d’une conception singulière de l’identité américaine, et plus largement de la notion de liberté. Par la conscience que chacun peut exercer la violence pour se défendre, un grand nombre de citoyens considèrent ainsi pouvoir la prévenir.

Mais d’un autre côté, la symbolique autour des armes semblent offrir à certains individus une illusion de puissance dans l’exercice de la violence, ce qui entretient la violence endémique présente aux États-Unis. Pour finir, nous te conseillons deux films sur le sujet :

  • Elephant, Gus Van Sant, 2003
  • Bowling for Columbine, Michael Moore, 2002.

Si cet article t’as plu, n’hésite pas à consulter toutes nos ressources de Culture Générale sur “La violence” .