Le concours Ecricome 2020 touche à sa fin, et l’épreuve de culture générale a lieu le dernier jour. Tu peux trouver dans cet article une analyse du sujet de l’épreuve de culture générale Ecricome 2020.
Cette année, les concours sont très particuliers, car les préparationnaires ne passent que les écrits et car les révisions ont duré trois mois. Mais les épreuves des concours restent les mêmes que les années précédentes !
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Tu peux également retrouver les informations sur le concours Ecricome dans la rubrique concours Inside.
Analyse du sujet
Il semble paradoxal, au premier abord, de considérer le désir comme un facteur de division. En effet, loin d’être séparateur, le désir apparaît d’abord au contraire comme ce qui unifie et réunit les individus à plusieurs niveaux : le moi, l’individu considéré isolément, acquiert son identité par la cohérence de son système de désirs ; les individus sont réunis par les sentiments affectifs qui les lient l’un à l’autre (comme l’amour ou l’amitié) ; et la société dans son ensemble est rendue possible par une extension de ces affects à un groupe social plus élargi (solidarité, altruisme). L’organisation de notre projet de vie en fonction d’un désir dominant, la perpétuation de l’espèce par la reproduction ou la collaboration entre individus pour atteindre des objectifs collectifs sont autant de phénomènes fondamentaux de la vie humaine qui apparaissent comme résultats de la puissance fédératrice du désir.
Cette dimension positive du désir ne doit cependant pas occulter les autres aspects du désir, qui le révèlent comme facteur de division, voire comme facteur de conflit. En effet, les désirs ont pour caractéristique d’être multiples, et cette multiplicité est une menace en ce qu’elle est susceptible de déboucher sur le conflit des parties dont les désirs sont différents. Ainsi, l’apparence d’unité qui recouvre mon identité peut dissimuler une pluralité conflictuelle de désirs en moi ; le rapport du moi à l’autre est souvent dominé par des affects négatifs qui le font percevoir comme un ennemi plus que comme un ami ou un collaborateur ; enfin, une société pacifiée est un résultat durement acquis plus qu’un point de départ, et l’on peut toujours craindre qu’elle régresse à un état hobbesien de guerre de tous contre tous dû à l’opposition des désirs entre les innombrables individus qui la composent.
Nous développerons donc notre réflexion en posant la question suivante : La multiplicité séparée de nos désirs induit-elle nécessairement, pour moi, un rapport conflictuel à moi-même et aux autres ?
PARTIE 1 : Le désir constitue un facteur de conflit
Dans cette première partie, nous montrons que le caractère pluriel des désirs aboutit à la division interne des êtres et à un rapport conflictuel entre les parties ainsi divisées.
1° Le divorce entre moi et moi-même
Nous possédons une pluralité de désirs de natures différentes, et susceptibles d’entrer en conflit les uns avec les autres, parce que nous sommes ontologiquement des êtres brisés, composés de deux parties de natures différentes, à savoir l’âme et le corps.
Thomas d’Aquin montre en effet que, sur la base du dualisme âme-corps, nous sommes habités par deux sortes de désirs radicalement distincts : les désirs générés par le complexe âme-corps et les désirs générés par l’âme seule. Les désirs spirituels étant supérieurs aux désirs corporels, nous devons nous efforcer de les privilégier, d’où une scission interne au moi entre l’esprit et la chair, qui se mue en un rapport agonistique.
THOMAS D’AQUIN – Désire-t-on les choses spirituelles comme on désire les choses terrestres ?
2° Mes désirs contre ceux de l’autre
La conflictualité induite par le désir se manifeste également au niveau inter-individuel : s’il est vrai que tous les êtres humains se ressemblent en ce qu’ils possèdent la faculté universelle du désir, ces désirs génèrent du conflit soit parce qu’ils divergent dans leur contenu particulier, soit parce qu’ils portent sur des ressources limitées. Laisser libre cours à nos désirs spontanés est donc un facteur de conflit inter-individuel et d’immoralité.
L’exemple de l’immoralisme sadien montre en effet que le désir laissé libre aboutit au mépris de la morale, donc à la guerre entre moi et l’autre jusqu’aux conséquences les plus extrêmes.
SADE – Le désir contre la morale
3° La guerre sociale
Cette conflictualité inter-individuelle s’étend à la totalité de la société : le fait que nos désirs portent sur les mêmes objets nous fait entrer dans une concurrence universelle pour la possession de ces objets, d’où une lutte universelle générée par le désir.
Girard montre en effet que le désir est en quelque sorte contagieux : le phénomène du désir mimétique consiste en ce que nous valorisons ce que nos pairs valorisent, et fait que nous les considérons ensuite comme des rivaux dans la lutte pour la satisfaction de ces désirs. Ces derniers sont ainsi à la source d’un conflit social généralisé.
Transition de la partie I à la partie II : Cette première partie nous pousse ainsi à conclure que le désir n’est pas un facteur d’union mais au contraire un facteur de division et de conflit, entre moi et moi-même, entre moi et l’autre, et dans la société en général. Pourtant, nous ne sommes pas uniquement des êtres brisés ou des êtres en conflit : l’unification de notre moi et la concorde dans les relations avec autrui existent bel et bien. Faut-il donc penser qu’une certaine prise en charge du désir permet de désamorcer son potentiel de division ?
PARTIE II : Le désir réprimé permet une vie unifiée
1° Le triage rationnel des désirs
S’il est vrai que le moi abrite une pluralité conflictuelle de désirs, celle-ci peut-être surmontée par un triage efficace et rationnel des désirs. Nous pouvons faire l’inventaire de nos désirs et ne conserver que ceux que nous percevons comme moralement acceptables, ou ceux que nous concevons comme destinés à mener à plus de plaisir que de douleur.
Par cette sélection, nous nous construisons une identité et un projet de vie rationnellement unifiés. Telle est la logique de la philosophie épicurienne du désir.
2° La répression des désirs immoraux
De la même manière, le moi n’est pas condamné à la division conflictuelle dans nos relations avec l’autre : s’il est vrai que, laissés à eux-mêmes dans leur développement naturel, les désirs nous opposent parfois violemment à l’autre, un processus de prise en charge répressive de ces désirs antisociaux permet de les reléguer dans une partie reculée de notre psychisme, l’inconscient.
C’est la manière dont Freud explique que la moralité et les relations inter-individuelles pacifiées malgré la présence originelle, en nous, de désirs antisociaux.
FREUD – Société et répression du désir
3° L’encadrement social du désir en vue de l’unité sociale
La répression du désir en vue de l’unité sociale n’est pas seulement le résultat d’un contrôle psychique ; elle est également le résultat d’un contrôle social. Nous mettons certains dispositifs sociaux en place pour réduire le potentiel de nuisibilité social du désir.
Ainsi, Durkheim montre que, en établissant une hiérarchie des fonctions sociales, en attribuant à chacun la fonction adéquate et la rémunération correspondante, la société fixe la quantité de bien-être à laquelle les individus peuvent prétendre. Ceux-ci ne sont donc plus exposés à développer des désirs illimités nuisibles à la concorde sociale.
DURKHEIM – Le désir encadré par la société
Transition de la partie II à la partir III : Cette deuxième partie nous invite ainsi à conclure que l’effet séparateur du désir peut être endigué moyennant la mise en place de dispositifs de répression (triage rationnel, répression psychique et contrôle social). Cette solution, toutefois n n’est qu’un pis-aller qui ne réunit et unifie les êtres qu’en les mutilant : pour vivre sans division, il faudrait d’abord s’amputer d’une partie de ses désirs naturels. Peut-on envisager une prise en charge du désir qui puisse annuler ses effets séparateurs et antisociaux sans pour autant le dénaturer ?
PARTIE III : Le désir bien orienté permet une vie unifiée
1° Ne pas discriminer ses désirs
On peut d’abord constater que résoudre le conflit des désirs interne au moi par le triage et la répression est une fausse solution. En effet, les dispositifs répressifs ont tendance à faire resurgir sous une forme plus problématique encore les désirs séparateurs qu’ils étaient censés combattre.
Ainsi, Sextus Empiricus montre que l’art de la maîtrise du désir préconisé par les philosophes antiques (comme Epicure) génère des troubles dus à l’insatisfaction.
SEXTUS EMPIRICUS – Il n’y a pas d’art du désir
2° Désir et amitié dans les bonnes conditions
Le rejet des processus de répression n’empêche cependant pas nécessairement les relations pacifiées à l’autre. En effet, cette liberté laissée au désir, si elle est réalisée dans des bonnes conditions, débouche non pas sur le conflit, mais sur l’harmonie sociale.
Mais quelles sont ces conditions ? Selon Rabelais, un élitisme poussé (consistant à sélectionner les individus les mieux dotés par la nature et les mieux éduqués) et une grande richesse matérielle permet de créer des relations inter-individuelles pacifiées sans passer par la répression des désirs : les conditions internes (les qualités humaines des individus) et externes (la richesse) feront que le désir même laissé à lui-même ne générera que des effets socialement positifs, fédérateurs.
3° Libération du désir pour tous et concorde sociale
La solution rabelaisienne est élitiste et ne peut être appliqué qu’à une micro-société. Mais nous pourrions réfléchir à la question de savoir si elle ne peut finalement pas être appliquée à une société dans son intégralité.
Selon Marcuse, c’est bien le cas : le haut développement technique de la société industrielle contemporaine permet d’abandonner les dispositifs de répression psychiques anciens, qui n’étaient justifiés que par la pénurie des ressources et le conflit qu’auraient par conséquent engendré des désirs portant sur des ressources rares et laissés à eux-mêmes. L’abondance matérielle d’aujourd’hui, correctement organisée, permettrait la libération du désir de tous sans déboucher sur le conflit pour des ressources rares. Il est donc désormais possible d’unifier les individus sans les amputer de leurs désirs. Nos désirs ne constituent plus un facteur de division.