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L’analyse du sujet sur la violence : “Y a-t-il une violence rationnelle ?”

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Préambule : l’importance d’analyser tous les termes pour respecter la spécificité du libellé

Cette année, comme pour son dernier cru, l’épreuve de Culture Générale d’ECRICOME proposait un sujet question, et par là, quatre termes cruciaux. S’il fallait donc évidemment analyser, définir et commenter la notion de “violence” tout au long de votre développement, trois autres termes devaient également retenir votre attention : “rationnelle” , mais aussi “une”, et “y a-t-il” .

Premier piège : remplacer d’emblée le sujet par une question normative

Le premier écueil possible pour ce sujet était donc de tomber dans le piège d’une absence d’analyse précise de son libellé. Celui-ci n’était pas “La violence peut-elle être rationnelle ?” , ni “La violence doit-elle être rationnelle” , mais bien “Y a-t-il une violence rationnelle ?“, c’est-à-dire : existe-t-il ne serait-ce qu’une forme de violence que l’on puisse qualifier de rationnelle ? Autrement dit, le libellé, dans sa première lecture, ne posait pas explicitement de question morale ou normative : même si ce questionnement pouvait évidemment apparaître dans votre développement, il ne s’agissait pas du libellé, et les questions morales devaient apparaître après l’analyse du sujet, et justifiées par celle-ci.

En première instance – et c’est par exemple ce qu’une accroche pouvait illustrer -, il s’agissait donc de se demander si l’on peut qualifier une forme de violence de rationnelle, sans se demander, avant l’analyse et la problématisation proprement dite voire avant le développement, si cette rationalité était un impératif ou non.

En combinant ainsi deux des quatre termes importants du sujet, le candidat était néanmoins sans doute confronté à un premier étonnement méthodologique. Pourquoi se demander, en dissertation, s’il existe une violence rationnelle ? C’est comme si le jury vous appelait à donner un exemple : n’est-ce pas là le risque d’une dissertation tiroir, qui se contenterait de décrire des exemples de violences rationnelles ?

Deuxième piège : être pris de court par un libellé en apparence descriptif

C’est là le deuxième écueil qu’il fallait éviter absolument : oublier la forme dialectique et interrogative de la dissertation en proposant une liste d’exemples. Loin d’appeler à la description, ce sujet – comme tous les autres ! – appelait à la problématisation.

Pour construire celle-ci, c’est-à-dire pour analyser le sujet, il fallait donc non seulement respecter la spécificité du sujet, mais se demander en quoi il pose problème. Autrement dit, il fallait s’étonner : si donc vous avez été destabilisé, ne vous inquiétez pas, c’est bon signe ! Voyons désormais comment cette surprise, couplée à l’analyse des quatre termes, pouvaient mener à une problématisation.

Proposition d’analyse : définitions, problématiques et plan possibles

Analyse des termes

Une violence

La première chose à faire, c’est évidemment d’analyser, de définir et de faire varier les acceptions de la notion au programme. Si les définitions génériques et générales varient quelque peu, les éléments généraux permettant de définir la notion de violence sont ceux-ci : il s’agit d’une force, appliquée à un objet ou à tout être (individuel ou collectif) par contrainte. Mais il ne suffisait évidemment pas de rappeler cette seule définition : il fallait bien sûr l’articuler aux 3 autres termes du sujet, à commencer par son déterminant – “une“.

L’introduction devait en effet noter cette indétermination : l’on parle ici d’une violence, c’est-à-dire ni de la violence en général, ni au contraire d’une violence nommée, c’est-à-dire spécifiée. Puisque la spécification d’une forme de violence ou d’une catégorie de violence (politique, morale, psychologique, physique, naturelle) n’était pas présente, elle posait problème : elle devait donc être effectuée, ou son absence justifiée.

Autrement dit, il fallait en premier lieu interroger la présence de ce déterminant pour se demander s’il était possible de parler de violence rationnelle, c’est-à-dire de penser une forme de rationalité dans et par la force et la contrainte (et donc peut-être de justification), et si oui, laquelle : ainsi, l’accroche pouvait constituer en un exemple de violence rationnelle.

Mais puisque le sujet était “Y a-t-il une violence rationnelle“, et non pas “La violence peut-elle être rationnelle“, l’enjeu qu’il fallait absolument repérer également – et qui fera donc la différence entre les copies dès l’introduction – était celui-ci : si l’on peut être tenté de qualifier certaines violence de rationnelles, c’est-à-dire si l’on peut parler de violence violence, ce type de violence existe-t-elle vraiment ? Y a-t-il vraiment de la rationalité ?

Y a-t-il

Terme le plus étonnant du libellé : comme nous l’avons dit, il pouvait mener à la tentation de faire une dissertation descriptive, ce qui s’apparenterait néanmoins à un exposé, et non à un argumentaire. L’une des difficultés du sujet était donc de problématiser ce “y a-t-il”.

Se demander s’il y a quelque chose, c’est se demander si cette chose existe : la première question est donc de savoir s’il existe ne serait-ce qu’une violence rationnelle. Mais cela ne suffisait pas : il fallait en effet se demander de quoi l’on parle lorsque l’on dit qu’une violence rationnelle existe.

Autrement dit, c’est le geste même de qualifier un geste de violence ou un évènement violent qu’il fallait interroger : dire qu’il existe une violence rationnelle, n’est-ce pas ne pas respecter la définition de la violence, qui est peut-être, par essence, pulsionnelle (la violence physique), inconsciente (la violence systémique), voire involontaire (la violence de la nature) ? Peut-on postuler qu’il existe ne serait-ce qu’une violence rationnelle sans nier d’emblée soit la définition de la violence, soit celle de la rationalité ?

Vous l’aurez compris : il n’y avait pas d’analyse possible du sujet sans analyse précise de ses termes, et confrontation de ceux-ci entre eux pour déceler leurs contradictions. C’est là tout l’art de l’analyse d’un sujet : se demander en quoi il pose problème, en montrant, cette année, ce que parler de “rationalité” de la violence implique. Il fallait donc évidemment se demander ce qu’est au juste la rationalité, terme crucial du sujet, pour analyser et problématiser celui-ci dans toute son ampleur.

Rationnelle

Comme pour toute analyse des termes du sujet, le plus efficace et d’abord de se demander non pas ce qu’est un terme, mais ce qu’il n’est pas. Or, le rationnel s’oppose au passionnel et au pulsionnel : si ceux-ci s’opposent à la volonté et à la projection dans le temps, le domaine de la raison, lui, planifie, calcule et se projette dans l’avenir pour prendre des décisions réfléchie, c’est-à-dire dont on a considéré les conséquences.

De plus, ce qui est rationnel, contrairement encore à ce qui est passionnel ou pulsionnel, est volontaire, car pensé en avance : ainsi, la raison est cette faculté par laquelle un sujet se donne des fins, ainsi que les moyens pour atteindre ces fins. Ainsi, dire d’une action qu’elle est rationnelle, c’est dire qu’elle a été pensée, prévue et considérée longuement par un sujet, qui a décidé, en calculant les avantages et les inconvénients, que cette action était celle qu’il fallait mener à bien, c’est-à-dire l’objectif à poursuivre. Une violence rationnelle est donc une violence volontaire et calculée, qui est pensée comme fin (c’est-à-dire prise pour but), ou à la rigueur comme moyen pour une fin extérieure (par exemple, le pouvoir, ou plus précisément, la domination).

Pour autant, et c’est là que le problème émerge, il faut noter le rationnel n’est pas le raisonnable. En nuançant ces deux termes par cette distinction classique, vous vous donniez les moyens de ne pas immédiatement axer votre devoir sur une problématique uniquement morale, ce défaut étant courant lorsque l’on traite de la violence : le sujet était bien “Y a-t-il une violence rationnelle” , et non “Y a-t-il une violence raisonnable”. La différence, c’est que lorsque l’on se demande s’il existe une violence rationnelle, l’on se demande si la violence peut être posée comme fin (ou comme moyen) de manière réfléchie, et si l’on peut prévoir d’y parvenir pour elle-même : mais ce n’est pas encore se demander si un tel geste, qui consiste in fine à choisir la violence, est moralement acceptable, justifiable, ou même compréhensible.

Le rationnel peut en effet se définir d’une seconde manière : il est ce que la raison (c’est-à-dire la faculté de penser) peut comprendre, c’est-à-dire ce qu’elle peut subsumer sous des lois qui rendent compte des motifs d’une action ou d’un phénomène. Le sujet interrogeait donc également l’existence de formes de violence qu’on peut expliquer – ce qui n’est pas la même chose que justifier !

Dès lors, une “violence rationnelle” est donc une forme de violence (un acte, un évènement) qui est calculée, planifiée et visée (pour elle-même ou comme moyen), et/ou un acte ou un évènement violent dont on peut connaître voire comprendre les causes.

Problématisation

Forts de vos analyses des termes, vous voilà donc capables de produire une problématisation. Celle-ci pouvait s’entamer par un exemple illustrant le sujet, c’est-à-dire un exemple de violence planifiée, calculée, pensée comme fin ou comme moyen : les meilleurs exemples étaient politiques, puisqu’il s’agit du domaine qui par son institutionnalisation, permet le calcul sur le long terme pour atteindre des fins. Ainsi, vous pouviez prendre pour exemple une politique violente et durable, par exemple le système de planification soviétique établi en 1928.

Après votre exemple d’accord, vous deviez d’abord aller dans le sens du sujet, pour justifier qu’il se pose : l’on peut effectivement postuler qu’il existe au moins une forme de violence rationnelle, puisque si la violence est une contrainte, cette force peut être prévue par l’agent, et choisie, lorsque ses objectifs l’exigent et qu’il juge utile, pour telle ou telle raison, de faire preuve de  violence. Ainsi, la première définition du rationnel que nous avons donnée – qui implique finalement l’acteur de la violence – servirait à montrer que la violence rationnelle existe effectivement, là où elle est au service d’une finalité.

Mais à cela, vous deviez opposer une objection, en vous plaçant désormais du côté de celui ou ceux qui subissent la violence. Autrement dit, il faut ici exploiter conjointement notre première et notre deuxième définition de la violence : si le rationnel est ce que la raison produit, mais également ce que l’on peut expliquer, il est évident que celui qui subit la violence ne peut mettre en accord sa raison avec celle de celui qui la produit, car il lui impose, et par là, ne respecte peut-être pas sa raison à lui, c’est-à-dire sa capacité de choisir.

Enfin,  s’il faut chercher “une” violence rationnelle, c’est dire qu’il faut éliminer la piste selon laquelle toute violence serait pulsionnelle ou passionnelle, alors cela signifierait que la violence peut être recherchée pour elle-même sans que ce geste soit passionnel ou pulsionnel. Or, si la raison désigne cette faculté permettant de se projeter sur le long terme, et donc de faire société, pourquoi et comment pourrait-elle être cherchée pour elle-même ?

Une problématique possible pourrait donc se résumer ainsi : est-il seulement possible de penser l’existence d’une rationalité de la violence, c’est-à-dire d’une forme de violence calculée, planifiée et compréhensible, alors même que la rationalité, marque de notre humanité, exige de prendre des décisions et de se projeter sur le long terme en s’opposant donc a priori à la priorité donnée à la violence ?

Axes directeurs possibles

Plusieurs plans sont possibles pour ce sujet : notre exemple n’est donc ni exhaustif, ni le seul que l’on pouvait soumettre. Si donc vous n’avez pas fait ce plan, pas de panique ! L’important est que vous ayiez bien analysé et problématisé le sujet, et que la méthodologie dialectique ait été appliquée : si c’est le cas, il n’y a aucune raison que votre plan ne fonctionne pas.

L’on peut d’ores et déjà dégager de notre problématique deux premiers axes directeurs, qui correspondent, vous l’avez compris, à un I et un II.

  • Une première partie (I) pouvait illustrer le sujet, ou plutôt, l’étonnement face à celui-ci : parler d’une violence rationnelle, n’est-ce pas contredire l’aspect pulsionnel, passionnel et égoïste de la violence (A), ainsi que son caractère incompréhensible (B) ? La tentative de rationaliser la violence n’est-elle alors pas vaine (C) ?

La première sous partie laissait la place à des exemples de psychanalyse (la notion d’agressivité chez Freud, la rivalité chez Girard), ou à des violences s’expliquant par les passions (Sade, l’état de nature chez Hobbes), pour montrer que la violence est d’abord non pas rationnelle (prévue, calculé), mais pulsionnelle (non réfléchie, voire inconsciente), ou passionnelle (issue du désir, et non du projet).

Cela permettait, en deuxième sous-partie, d’insister sur l’aspect parfois involontaire de la violence : l’exemple de la violence naturelle (Kant sur le sublime de la nature, et exemples concrets : tsunamis, tremblements de terre) permettait ainsi de montrer que la violence, entendue comme déchaînement, est en réalité involontaire, et par là, fondamentalement irrationnelle.

La 3e sous partie pouvait ainsi réunir les exemples de violences humaine et naturelle pour montrer que la rationalisation de la violence, c’est-à-dire la tentative de la comprendre en en cherchant les causes, s’oppose à la définition de la violence comme force : l’on pouvait alors convoquer Bataille, ou l’agressivité chez Freud si ce n’est pas fait en A. Vous pouvez aussi ici convoquer une référence artistique pour montrer que seul l’art permet de dire la violence, tant celle-ci échappe à la raison.

En guise de transition, l’on doit alors, comme d’habitude se poser une objection. Si l’on ne peut véritablement rendre raison de la violence, est-ce à dire qu’elle est fondamentalement irrationnelle, car pulsionnelle et involontaire ? Ré-introduire le problème du déterminant du sujet, qui parle d'”une” violence : n’y a-t-il pas certaines formes de violence qui elles, sont non seulement rationnelles, car pensées pour elles-mêmes, comme le montrent les exemples de planifications historiques destructrices (URSS, Shoah) ?

  • Une deuxième partie pouvait alors montrer que si à l’échelle individuelle ou naturelle, la violence est certes d’abord passionnelle car centrée sur et issue des penchants égoïstes de l’individu, il existe bel et bien une forme de violence rationnelle, car utilisée comme moyen au sein d’une organisation pensée et volontaire (A). Plus encore, la violence atteint son paroxysme justement lorsqu’elle est issue de la rationalité (B) : elle devient alors non seulement rationnelle, mais légitime, car légitimée par ceux qui la pratiquent (C).

Ainsi, l’on peut d’abord proposer l’exemple de la violence politique, ou plus précisément de la violence comme outil politique : la référence majeure ici est Machiavel, mais il est également possible de convoquer la violence du droit et de la justice dans le Léviathan de Hobbes, qui remplace la violence des passions à l’état de nature par la violence de la rationalité du droit, qui pour appliquer ses lois, contraint les citoyens (chap. 13 et 15 du Léviathan).

Une deuxième partie met alors en avant la rationalité à l’oeuvre dans la poursuite de la violence pour elle-même, et non plus comme simple moyen : en convoquant Arendt et son exemple d’Eichmann à Jérusalem, il était possible de montrer que la violence génocidaire n’est pas issue d’une forme d’irrationnalité ressemblant à la folie, mais au contraire, planifiée et calculée (alors même qu’Eichamnn, selon Arendt, était “incapable de penser” ). La violence est alors executée par des moyens techniques qui eux-mêmes dépassent l’Homme et sa raison : ils deviennent, pour Arendt, “l’ultime ratio, c’est-à-dire que la violence acquiert sa propre rationalité.

Par là, l’on peut comprendre que la violence la plus insidieuse, et donc la plus puissante peut-être, advient (“il y a” véritablement de la violence) justement lorsqu’elle est rationnelle, parce qu’elle devient légitime, comme le remarque Weber. Cette idée permet alors de faire une transition vers le III, en distinguant désormais le rationnel du raisonnable (d’où l’intérêt de le faire durant l’analyse des termes) : s’il y a certes une violence rationnelle, est-elle jamais raisonnable ?

  • Une dernière partie pouvait ainsi introduire la nuance entre le domaine de l’être, des faits (la violence rationnelle et rationalisée) et le domaine du devoir, de la morale (la violence raisonnable ou raisonnée) : vous pourriez montrer qu’il n’existe jamais de violence tout à fait issue de la raison, c’est-à-dire rationnelle et raisonnable (A), la rationalité atteignant son paroxysme en se faisant à la fois outil de connaissance et de planification, et outil de moralité, la non violence étant donc davantage raisonnable, et par là raisonnée, que la violence (B). Chez l’Homme cohabitent donc une part de rationalité et une part de violence, une part de rationnel et de passionnel, mais les deux ne peuvent jamais réellement se rencontrer : il y a une violence d’une part, et du rationnel d’autre part (C).

Le (A) peut se défendre soit avec Arendt, si elle n’a pas été utilisée, soit avec Platon, pour ouvrir ensuite sur des références sur la non violence (E. Weil, Ghandi) introduisant l’importance du dialogue face à la raison (rappelez vous qu’en grec, le terme pour la raison, logos, signifie aussi le discours).

En dernière instance, ce dialogue entre violence et raison est d’abord intérieur, si bien que l’acteur de la violence n’est lui-même jamais vraiment un. La référence classique issue de l’Anthropologie de Kant sur l’insociable sociabilité, ainsi qu’une référence cinématographique par exemple, vous permettait alors de nuancer le B en exhibant cette cohabitation nécessaire de la raison et les passions au sein de l’individu et du collectif.

Cela permet ainsi de clore la dissertation en synthétisant tous ses enjeux : s’il existe certes une voire plusieurs violences rationnelles, la violence n’est jamais en elle-même raisonnable, et elle n’existe par là jamais complètement comme rationnelle, parce qu’elle est toujours intrinsèquement liée aux passions humaines.