Voir le sujet de culture générale ESC La Rochelle 2018

L’analyse

Introduction :

Le sujet de cette année fait le lien entre le thème abordé l’année précédente, “La Parole”, et le thème de cette année qui est “le corps”, ainsi, les khûbes qui ont bien en tête la définition de langage pouvaient être avantagés. Il est courant d’entendre l’expression “langage du corps”, et celle-ci semble faire sens pour la plupart d’entre nous. Toutefois, si l’on s’en tient à la définition de ce qu’est un langage, celle de Saussure notamment, cette expression semble n’avoir aucun sens. En effet, le langage d’après Saussure renvoit à un système de signes dont le signifiant est déterminé par une convention. Le langage peut également être conçu comme l’expression verbale d’une pensée, c’est-à-dire qu’il passe par la parole. C’est pourquoi, si l’on conçoit le langage comme l’expression verbale d’une pensée et dont le sens de chaque signe est fixé de manière conventionnelle, l’expression de “langage du corps” peut sembler être dénuée de sens puisque l’expression dans ce cas est gestuelle, et non verbale, et que la signification des gestes n’est pas instituée par une conventon. Pourtant, nous nous accordons à dire que le langage des signes est bien un langage : il est une forme un langage corporel qui permet d’exprimer une pensée, et dont les signes ont une signification instituée par une convetion.  Ainsi, nous voyons bien que le problème d’un langage corporel ne réside pas dans le fait que l’expression soit gestuelle. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment l’expression “langage du corps” a un sens lorsque des phénomènes corporels, plus curieux, et où on n’a pas institué le rapport entre le sens et le signe, nous permettent toutefois de remonter du geste au signe : c’est le cas du langage corporel naturel et du langage corporel social.

Problématique : Comment en l’absence de convention préalable un geste peut-il avoir un sens ?

Plan :

1) L’expression “langage du corps” semble être dénuée de sens si l’on s’en tient à la définition stricte du mot langage

2) Toutefois, un langage corporel dont le sens est institué par la nature existe chez les animaux

3) L’expression “langage corporel” fait également sens si l’on se refère à la signification sociale et culturelle des gestes 

Développement :

1) L’expression “langage du corps” pose problème : qu’est-ce qu’un langage ?

a) Le problème de la définition du terme langage

Saussure, définition du langage :

  • C’est un système de signes articulés qui sert à l’expression et à la communication des pensées, propre à une communauté humaine.
  • Or, dans l’expression “langage du corps” on ne délimite pas à la communauté humaine la capacité à pouvoir donner à un geste une signification. Cette expression renvoie à la faculté de gestes corporels, humains ou non humains, à produire un sens, que ce soit de manière volontaire ou involontaire.
  • Le problème c’est que ce langage du corps n’est pas institué par une convention, et qu’il est sujet à être plurivoque, autrement dit à être compris de plusieurs manières. Ainsi, cela nous laisse à penser que cette expression est dénuée de sens.
  • Et enfin, l’expression de la pensée est supposée se produire par le biais de la parole et non du geste. Le propre de la communauté humaine, comparé à celle des animaux, est de penser la faculté de s’exprimer verbalement : ainsi, on suppose qu’un langage est l’expression verbale d’une pensée.

b) L’univocité du langage du signe

  • Seul le langage des signes peut être considéré, de manière certaine, comme un langage : il constitue un système de signes articulés, et institué par une convention, et qui permettent d’exprimer un sens au sein d’une communauté humaine. L’expression gestuelle n’est pas problématique dans ce cas : on voit bien que ce qui peut poser problème c’est l’aspect plurivoque du langage corporel non institué.

Transition : La spécificité du langage des signes réside dans le fait que le geste corporel a un sens déterminé par une convention : celui-ci n’est pas équivoque. Il satisfait pleinement la définition de langage tel que Saussure le définit, bien que l’expression de cette pensée ne soit pas verbale mais gestuelle. Toutefois, il existe des phénomènes où il semble qu’un rapport entre le geste et le sens de ce dernier ce soit institué sans qu’il n’y ait eu de conventions préalablement définies. Si l’absence de convention formelle peut sembler entraîner une équivocité de ce langage, c’est-à-dire que l’on ne peut pas être certains entièrement qu’à chaque signe soit attribué un sens unique, nous ne pouvons toutefois affirmer que l’expression de “langage corporel des animaux” ou “langage corporel social” ne fassent pas sens.

2) Le langage corporel naturel est institué par la nature

A) Longtemps on a dévalué l’idée que le langage corporel des animaux puisse être un langage…

  • Descartes : Le langage est le propre de l’homme, ainsi l’expression de langage corporel des animaux ne fait pas sens puisque les animaux ne détiennent pas de langage. Les animaux ne pensent pas, ils n’ont pas de conscience réfléchie et ne peuvent communiquer entre eux, tout comme deux machines ne peuvent communiquer entre elles.

Toutefois, on constate que les animaux sont capables d’échanger entre eux des informations et d’agir en conséquence, ce qui laisse à penser qu’ils disposent d’un langage corporel bien qu’il ne soit pas institué par une convention, mais par la nature.

B) Le langage des abeilles dont la signification est instituée par la nature

  • Montaigne, Essais, livre II chap. XII : il énumère les passions que certains animaux peuvent exprimer par divers signes. Ainsi, les animaux sont capables de communiquer entre eux leurs passions (colère, tristesse, joie, etc.) et se comprendre, et cela par l’usage de signes corporels puisqu’ils n’ont pas d’organes vocaux.
  • De plus, si l’on s’en tient à la fonction du langage tel que la définit Bergson, dans La Pensée et le Mouvant (1934), les animaux ont besoin d’un langage pour permettre la conservation de la vie. En effet, le langage a d’abord une fonction utilitaire, celle d’organiser l’action sociale (par ordres ou par informations) en vue de la conservation de la vie ;

Transition : Le caractère non conventionnel de ce langage se retrouve également dans le langage humain, ce qui laisse à penser que les hommes également disposent d’un langage corporel qui définit volontairement ou non un sens à leur geste.

3) Le langage corporel social : l’expression volontaire ou involontaire des gestes qui dispose d’un sens

A) Comprendre des choses sur la personne à partir de ses gestes, sans qu’elle en soit consciente

Mauss, Les Techniques du corps

La spécificité du langage corporel des hommes c’est que l’on peut lire des caractéristiques psychiques et psychologiques d’une personne à partir de ses gestes. C’est un langage institué par la société : il traduit quelque chose de social ; il peut être toutefois volontaire : c’est-à-dire, qu’il y aurait une volonté de la part de l’individu de diffuser un sens social, qui lui permet de se valoriser. Exemple : la maîtrise de la fourchette, une règle sociale décrite par Norbert Elias dans la Civilisation des moeurs. 

B) Le langage du corps à travers l’art

La danse par Paul Valery

La Danse est d’après P. Valery le reflet de la  « vie intérieure », qui désigne en psychologie et en philosophie de l’esprit l’activité de la conscience. Le corps dansant n’est pas une simple surface sans profondeur, toute faite de contacts avec l’extérieur. Dans la Danse, le corps n’est pas non plus vide ou creux : il crée sa propre intériorité sensible par ses mouvements ! Ainsi, cette vie est :

« toute construire de sensations de durée et de sensations d’énergie qui se répondent, et forment comme une enceinte de résonances ».

Ainsi, le corps a cette faculté de pouvoir exprimer cette vie intérieure et de la communiquer à autrui, qui peut à travers la danse, dans une forme de communion, saisir le sens de cette gestuelle.