L’épreuve de culture générale HEC est une épreuve phare et redoutée du concours BCE. Cette année, le thème général portait sur la violence. Dans cet article, retrouve l’analyse de Major Prépa du sujet de culture générale HEC emlyon pour la BCE 2024.
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Tu peux retrouver le sujet de culture générale HEC/emlyon ici. Le corrigé, quant à lui, est disponible juste ici.
L’analyse du sujet de culture générale HEC emlyon 2024
Le sujet de Culture Générale HEC/emlyon de cette année était quelque peu déstabilisant : « Sois sage, Ô ma violence » . Contrairement aux dernières années, il s’agissait ainsi d’une citation, mais modifiée : l’expression originale vient en effet d’un vers de Baudelaire, qui ouvre le poème « Receuillement » des Fleurs du Mal par « Sois sage, Ô ma douleur / Et tiens-toi plus tranquille ».
« Ma douleur » a donc été remplacée ici par « ma violence », ce que les candidats qui connaissaient le poème ont remarqué. Mais il faut d’emblée vous rassurer sur ce point : il n’était absolument pas nécessaire de savoir d’où venait cette citation pour réussir votre dissertation, le jury n’attendant probablement pas de vous de faire nécessairement le lien. Si la connaissance de l’expression de Baudelaire pouvait certes être fort utile pour proposer une partie de développement, elle n’était absolument pas nécessaire, et vous pouviez tout à fait vous en passer tant que vous procédiez à une analyse rigoureuse du sujet.
L’analyse des termes du sujet : une pluralité d’exigences
« Sois sage »
Ce qui étonne en premier, c’est cet impératif de sagesse adressé à la violence, qui semble un peu vague, car métaphorique. Pour penser véritablement ce sujet, il fallait ainsi impérativement respecter l’exigence de conceptualisation en analysant rigoureusement ce langage poétique pour se demander ceci : que dit-on lorsqu’on exige de « notre » violence qu’elle soit « sage » ?
Il s’agit ici de vouloir dompter la violence : « sois sage » revient à dire « tiens-toi plus tranquille » (suite du poème de Baudelaire, mais vous pouviez tout à fait le déduire de vous-mêmes en essayant de définir le mot “être sage”). C’est donc un impératif de stabilité, qui s’oppose à la brutalité de la violence, mais aussi à sa permanence : il s’agit d’interrompre son mouvement continu.
Cela présuppose donc :
- que la violence ne soit pas sage, et qu’elle soit donc désobéissante. Cela se comprend : la violence, par définition, est une contrainte, et n’obéit donc pas aux exigences de ceux auxquelles elle s’applique ;
- Mais cela présuppose également que la violence se présente non pas comme une simple force, c’est-à-dire comme un rapport qui s’exprime à un instant donné, mais également comme un mouvement continu auquel il s’agit de mettre un terme.
Il fallait donc également se demander de quelle manière ce « sois sage » appelle-t-il à faire cesser la violence : s’agit-il d’une lutte (et donc d’une contre-violence), ou d’un simple rappel à l’ordre ? C’est en se tournant vers la deuxième partie de la citation que l’on peut alors approfondir cette analyse.
« Ô ma violence »
La question qui se pose est en effet la suivante : pourquoi vouloir dompter la violence, et comment le faire ? Mais avant d’y répondre, il faut absolument se demander comment la violence est-elle considérée ici : en effet, l’on parle non pas de la violence, ou d’une violence, mais de “ma violence” . Qu’est-ce que cela peut-il bien signifier ?
C’est ici un point très intéressant du sujet, et tout à fait crucial : la personne qui prononce l’impératif s’adresse à sa propre violence, c’est-à-dire à ce qui semble être une forme de violence intérieure, et donc de la douleur. L’on retrouve donc automatiquement, par l’analyse, l’expression même de Baudelaire.
Mais ce “ma violence” peut également signifier un deuxième aspect : celui d’une violence familière, voire amicale, ou en tout cas connue et à laquelle l’on s’adresse avec tendresse. Ainsi, ce “Ô”, qui a sans doute beaucoup étonné les candidats, est un marqueur de l’expression lyrique, mais surtout, du respect et de la déférence : il y a donc une tension au sein-même de la deuxième partie de la citation, puisque l’on s’adresse à une violence qui est à la fois familière, et donc potentiellement déjà domptée, mais aussi respectée, et qui est donc peut-être également source d’obéissance.
Problématisation
L’on comprend donc qu’il s’agit ici de faire face à une violence familière : or, ne faut-il pas justement prendre connaissance de la violence pour réussir à lutter contre elle ?
Mais le risque est alors le suivant : en me familiarisant avec la violence, ne risque-je pas d’être happée par sa force, et d’être alors non seulement impuissant face à elle, mais inconscient de sa présence et incapable de prononcer un “sois sage”, en ne restant qu’au “Ô ma violence” ?
Ce double questionnement peut être réuni une seule problématique : la violence doit-elle m’être familière pour que je puisse la dompter ?
Proposition de plan
L’avantage d’un tel sujet est qu’il vous laisse une liberté interprétative un peu plus grande : mais lorsque vous avez votre problématique, vous devez vous y tenir, et le plan doit être fait en fonction d’elle. Si vous pouviez donc tout à fait proposer diverses interprétations du sujet au cours de votre développement, l’organisation de ce dernier devait rester rigoureuse, et donc logique.
Si donc notre proposition d’axes directeurs n’est ni exhaustive, ni la seule possible, elle doit tout de même vous permettre de comprendre comment l’on peut proposer une réflexion organisée et dialectique à partir d’un sujet citation poétique.
- La première partie pouvait, comme d’habitude, illustrer le sujet : pour ce faire, l’on devait à la fois montrer pourquoi l’on pourrait chercher à ce que la violence “soi[t] sage”, mais aussi comment s’y prendre pour cela.
Ici, il fallait ainsi insister sur l’idée que la violence, en tant que contrainte, pousse à l’obéissance, par exemple avec Rousseau (A). C’est une telle contrainte à nous rendre “sages” que l’on doit alors subvertir en la conscientisant pour renverser notre rapport d’obéissance à la violence et l’appeler à la “sagesse”, prononcer ce “sois sage”, comme le fait Platon (B). Un moyen pour cela est donc chercher à rendre raison de la violence, au sens grec de la raison au service de la sagesse, ce qui est littéralement la philosophie (sophia étant la sagesse en grec) : l’on pouvait ainsi faire appel aux auteurs appelant à faire de la violence un objet de la philosophie, comme E. Weil (C).
La transition doit alors jouer avec le sujet pour remarquer qu’en s’appropriant la violence, en en faisant “ma violence” par la raison, je peux certes la dompter, mais je suis davantage celui qui “sage” que ne l’est la violence : qui plus est, ce geste même de conscientisation ne va pas de soi, puisqu’il n’est pas évident de savoir qui prononce l’impératif lorsque la violence est insidieuse, et qu’on ne perçoit même plus qu’elle a été incorporée et qu’elle s’est muée en “ma violence”.
- Une deuxième partie pouvait ainsi faire remarquer que pour dompter la violence afin de la rendre “sage”, il faut être soi-même sage au préalable : la possibilité-même de prononcer l’injonction “sois sage, ô ma violence” ne semble donc être donnée qu’à celui qui est extérieur à la violence, et qui ne parle donc pas de “sa” violence, mais d’une violence toujours réifiée et objectivée en vue de l’analyser et de la connaître par procuration.
L’on pouvait ainsi convoquer d’abord les auteurs de la non violence, Gandhi par exemple, pour remarquer que dire à la violence “sois sage” exige non pas d’en faire “ma violence”, mais au contraire de la penser de l’extérieur comme un objet qu’il ne faut pas s’approprier (A). Dès lors, c’est bien la sécurité, l’impossibilité de ressentir la douleur, et non l’expérience directe de la violence, qui semble pouvoir permettre à la sagesse de méditer sur la violence, ce qui est l’idée de Kant sur la violence du sublime (B). Ainsi, le “Ô ma violence” devient ironique : il s’agit de faire de la violence un objet pour renverser notre rapport avec elle, et donc d’abolir le geste propre à la violence consistant à faire de nous “son” objet, comme Benjamin le montre en dénonçant la fétichisation de la marchandise, c’est-à-dire la réification – où il appelle justement à s’inspirer de l’esthétique baudelarienne pour se ré-approprier l’objet d’art… (C).
Votre transition est alors toute trouvée : observer la violence de l’extérieur en refusant qu’elle ne devienne jamais “ma” violence, n’est-ce pas toujours un obstacle à une véritable lutte contre la violence ? Ne reste-t-on alors pas dans cette tour d’ivoire des philosophes qui refusent de penser la violence, ou celle de la bourgeoisie à l’abri de toute menace, en créant même peut-être une nouvelle forme de violence qui sépare ceux qui la vivent de ceux qui peuvent se permettre de simplement l’observer ?
- Autrement dit, votre troisième partie peut repenser la possibilité de dompter la violence de l’intérieur en pensant une incorporation de la violence par le sujet qui lui permette à la fois de la penser et de la comprendre, et de se l’approprier. Bref, il faut ici penser une violence faite sienne qui n’annihile pas le sujet, mais reste pensable et consciente.
L’on peut ainsi commencer par remarquer avec Hegel que le mouvement même de la conscience est celui de la violence (A) ; or, avec Kant, l’on montre que nous sommes faits aussi bien de passion que de raison, et donc aussi bien de violence que de sagesse (B). Dès lors, finalement, c’est la passion qu’il faut utiliser pour appeler la violence à la sagesse, par exemple par l’art, comme le fait justement Baudelaire, mais aussi, par exemple, Kahlo, qui expie “sa” violence par la peinture, ou encore Aristote par la catharsis, la purgation par la violence des personnages d’une pièce de théâtre représentant ainsi une violence non incorporée, qu’on ne fait pas “sienne”, mais qui appelle elle-même, quand même, à la sagesse, tant elle parle aux passions (C).
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