Dans cet article, nous allons te parler du monde, au programme de l’épreuve de Lettres et Philosophie 2023, à travers l’étude d’un mouvement intellectuel bien précis : le dilettantisme.
La naissance du dilettantisme
Les dilettantes sont le nom qu’on donne généralement aux jeunes gens riches qui n’ont d’intérêt que pour l’art. Le mot est né en 1734, quand des gentlemen ayant voyagé en Italie décidèrent de fonder une dining society du nom de Dilettanti. Cette société avait pour but de présenter aux autres des objets trouvés lors de leur voyage. Le mouvement dilettante est ainsi, sans nul doute, étroitement lié à la pratique du Grand Tour : pour parfaire leur culture, entre le 16eme et le 18eme siècle, de nombreux jeunes gens issus de bonne famille se lancent dans un tour d’Europe, dans une volonté de découvrir le monde et de parfaire leurs études des humanités.
Mais le sens du mot dilettantisme s’est considérablement élargi. Il désigne d’une manière plus générale la posture intellectuelle des jeunes gens bien nés et désabusés, qui n’aiment pas le monde dans lequel ils vivent. Il semblerait que le dilettantisme soit une énième attitude “fin-de-siècle” de jeunes gens des classes supérieures, tout comme le spleen, la mélancolie, le taedium vitae ou encore le mal du siècle.
Mais l’esprit dilettante va plus loin qu’un simple rejet du monde. En effet, si les dilettantes sont certes désintéressés de la vie réelle, ils trouvent un refuge dans l’art.
Dilettantisme et décadence
Comme dit précédemment, on peut mettre en lien le dilettantisme et la “fin-de-siècle”. En effet, le dilettantisme s’insère dans l’incertitude, dans les périodes où le monde semble devoir mourir et renaître – c’est-à-dire dans les périodes de décadence.
Un des auteurs phares du mouvement dilettante, Walter Pater, s’est d’ailleurs beaucoup intéressé à ce lien entre décadence et dilettantisme. Pour cette raison, les 3 tomes de son projet de trilogie se déroulent chacun dans une période complexe de l’histoire. Il emprunte à l’allemand la notion de Stimmung (le mood) . Selon Walter Pater, il est des périodes de grand changement, où tout est confus. Ce sont les périodes de transition, où le Stimmung se délite et attend d’être recomposé. C’est en un sens ce que font les dilettantes : leur seule activité est de collectionner l’art de tout lieux et de toutes époques. Ils le “recyclent” en lui donnent un sens nouveau.
Dans les périodes de décadence, on s’accroche à des croyances anciennes pour essayer de recréer quelque chose de stable. Le travail du dilettante est pour ainsi dire un travail de bricolage : il assemble des bribes éparses pour composer quelque chose, qui n’est par essence pas vraiment nouveau, mais inédit.
Le dilettante comme spectateur du monde
Un autre auteur, Paul Bourget, émet un avis plus pessimiste sur le dilettantisme. Dans Du dilettantisme (1883) il met également en lumière le lien entre décadence et dilettantisme. Pour lui, la posture dilettante est à mille lieues d’une attitude créatrice, qui serait active : elle est au contraire une contemplation passive du monde.
Il soutient également que la décadence est la période ou l’homme arrête de créer, et cherche simplement à comprendre ce qui a été crée par le passé. En cela, il cesse d’être acteur du monde, et en devient le spectateur. Le mouvement dilettante serait donc la cause d’une certaine décadence du monde.
Dans son autre ouvrage Cosmopolis (1893), il dresse un portait au vitriol des dilettantes., qu’il présente comme étant des apatrides, des bourgeois déracinés n’ayant que faire des traditions. Le dilettante n’est pas dans l’action, car il ne travaille pas, et dilapide le capital de ses ancêtres : en cela, il est totalement passif et amorphe.
Rejet du monde et expérience du moi
On a maintenant bien compris que la principale caractéristique du dilettante est son aspect retiré du monde. Nous allons maintenant voir comment ce retrait du monde entraîne une exploration très poussée de l’égo .
C’est en effet ce qu’on constate dans A rebours, roman phare de Huysmans. Dans ce livre, Jean des Esseintes, le personnage principal, est un jeune duc épuisé par une vie de débauche. Pour se remettre, d’aplomb il décide de se retirer à la campagne dans une résidence isolée de tout. Il tente d’y créer un cadre de vie esthétique et raffiné, en décorant sa maison de moults tapisseries et objets d’art. Passionné de littérature, il se constitue également minutieusement une vaste bibliothèque. Ce faisant, il tente de se créer une nouvelle réalité, pour guérir des troubles liés à son ancien mode de vie.
Mais la nouvelle réalité de Jean des Esseintes a tout d’artificiel, car il méprise la nature, jugée banale et mauvaise, et lui préfère de loin les oeuvres humaines. Il va même jusqu’à intellectualiser son désir charnel, dont les objets ne sont plus des humains, mais bien des tableaux.
Cette idée d’intellectualisation à outrance nous rappelle Un homme libre, le premier tome de la trilogie de Maurice Barrès Culte du moi. Ce livre est un roman d’apprentissage, mais il est surtout une illustration parfaite de la vie dilettante. Durant tout le livre, le personnage principal et son ami se sont retirés dans une demeure de campagne en Alsace. Coupés du monde, ils s’occupent en lisant de la poésie, en utilisant leur imagination et en rendant hommage à leurs auteurs préférés tels qu Baudelaire ou Benjamin Constant. L’essentiel du livre nous montre leurs méditations sur des auteurs, ou bien des séances d’introspection très poussées.
Ces exemples montrent donc l’accent mis par le dilettantisme sur l’exploration du sujet, qui se retire du monde et le rejette pour pouvoir se tourner vers son propre monde intérieur.
Pour résumer
- le dilettantisme naît d’un dégoût du monde et de la société.
- ils préfèrent explorer leur intériorité, leur monde intérieur, plutôt que le monde qui les entoure. Ils se retirent alors dans la contemplation : or, celle-ci n’est-elle pas plus passive qu’active ?
- si les dilettantes font l’expérience du monde, ils ne la font qu’à travers l’art. On peut donc se demander si cette expérience du monde n’a pas quelque chose d’artificiel.