Frida Kahlo (1907-1954) était une peintre mexicaine, dont tu connais très probablement certaines grandes oeuvres comme La Colonne Brisée (1944), Le Cerf blessé (1946), ou encore Sans espoir (1945). Un point commun réunit une majorité de ces tableaux : meutrie par la maladie, à laquelle elle succombe jeune, Kahlo utilise la peinture pour représenter la violence intérieure.
L’expérience de la violence régit en effet l’inspiration artistique de Kahlo, notamment les violences de la maladie et de la naissance. Nous te proposons donc d’analyser quelques uns de ses tableaux, qui pourront te servir d’exemples pour tes dissertations de Culture Générale.
I. La violence comme source d’inspiration chez Frida Kahlo
A. La violence de la maladie : de l’expérience intérieure à l’expression artistique
La vie entière de Frida Kahlo est rythmée par la souffrance maladie. Dès ses 6 ans, on lui diagnostique une poliomélyte, qui consiste en une paralysie progressive des jambes et à un arrêt de la croissance ; à ses 19 ans, elle est victime d’un accident de la route alors qu’elle prenait le bus, accident qui la mène à un long séjour à l’hopital, ainsi qu’à de nombreuses opérations chirurgicales, qui seront récurrentes toute sa vie. Enfin, en 1953, soit un an avant sa mort, la gangrène l’oblige à subir une amputation de la jambe.
Mais c’est à partir de l’accident de bus que Kahlo décide de se tourner vers la peinture, dont elle déclare qu’elle sert moins à apaiser la douleur qu’à trouver une raison de vivre :
Je ne suis pas morte et j’ai une raison de vivre. Cette raison, c’est la peinture.
Autrement dit, l’expérience de la violence subie par son corps mène Kahlo à vouloir peindre : mais elle se focalisera également sur les thèmes de la naissance et de la généalogie, pour dire, par l’image, la violence de la transmission.
B. L’expérience de la naissance et la généalogie : la violence de la transmission
Frida Khalo consacre en effet une partie de ses tableaux à la représentation de la naissance, expérience également douloureuse pour elle : victime de plusieurs fausses couches, elle transmet la violence de ce traumatisme, du deuil et de la perte dans L’hôpital Henry Ford, que vous pouvez voir plus bas.
II. Exemples et éléments d’analyse
A. La violence de la maladie
La Colonne brisée (1944)
On remarque ici la métaphore de la colonne, qui se double de l’analogie avec la colonne vertébrale : en représentant ses fissures, Kahlo signifie la cassure de tout ce qui la composait, la colonne rappelant celles des temples anciens, qui soutiennent ainsi des siècles d’Histoire. De même, cette colonne brisée continue de soutenir, mais difficilement, le corps de la femme : il s’agit donc de savoir si cette violence aura raison de son histoire, et permettra de maintenir le temple.
Les divers clous parsemés sur son corps rappelle évidemment l’image classique de la crucifixion du Christ : en subissant la maladie, c’est donc le sacrifice qui s’est imposé à Kahlo. La multiplicité des clous signale l’étendue de sa douleur, qui touche l’ensemble de son corps : la violence est ainsi totale, et exerce d’autant plus sa domination sur elle qu’elle ne semble plus pouvoir se mouvoir.
Kahlo a en effet choisi de ne pas représenter de mouvement : elle se tient debout, immobile, fixant le spectateur, comme pour signifier par le regard qu’elle ne peut se mouvoir. Les larmes ajoutent évidemment au désespoir, et permettent ainsi de penser le pouvoir qu’a l’art de retranscrire la violence en appelant à l’empathie du spectateur.
Le Cerf blessé (1946)
Ce tableau est aisément comparable au précédent : l’on retrouve le même motif des flèches signifiant la blessure omniprésente. Mais si Kahlo se représente ici, cette fois, sous la forme d’un animal, c’est pour se comparer à une proie : la question est donc de savoir qui cherche à la chasser, c’est-à-dire à lui faire violence.
Pourtant, Kahlo est seule : le cadre est par ailleurs idyllique, la forêt représentant la tranquilité, ainsi que la mer turquoise, la beauté et la liberté. Mais elle tourne le dos à cette mer, et semble se diriger vers l’intérieur de la forêt : le mouvement signifie donc ici, paradoxalement, l’enfermement et le piège, qui contraste avec le saut que semble effectuer le cerf.
Enfin, il faut interroger la représentation de cet animal mi-humain : pourquoi avoir peint son visage ? L’on peut penser que Kahlo cherchait à signifier qu’il s’agissait d’elle : ce tableau est donc un auto-portrait revisité, par lequel on la reconnaît à moitié. Finalement, c’est comme si les blessures elles-mêmes, qui signifient sa douleur, disaient son identité, mieux qu’une représentation de son corps.
B. La violence de la grossesse et de la naissance
L’hopital Henry Ford (1932)
Comme nous l’avons dit, ce tableau vise à exposer la violence des fausses couches subies par Kahlo. Elle reprend ici le célèbre tableau “La naissance du monde”, mais choisit au contraire de représenter ses jambes closes : elle signifie ainsi le contraire de la fécondité, c’est-à-dire l’impossibilité de donner vie, dont la violence est accentuée par la mare de sang en dessous.
A cette représentation de la violence et de son expérience précise de la fausse couche s’ajoute celle de sa vulnérabilité : d’abord, elle est nue ; ensuite, elle est à l’extérieur, aux yeux du monde. Cette mise à nu est donc très littérale, tout comme l’évènement auquel elle se réfère, puisque le nom de l’hôpital est inscrit sur le lit. On comprend donc très facilement que le tableau est auto-biographique.
Pourtant, Kahlo repense ici la fécondité : la naissance n’est plus seulement biologique, mais artistique. En représentant des cordaux ombilicaux qui signifient plusieurs objets, dont un pelvis (qui est sûrement une allusion aux brisures de son squelette) et bien sîr, un foetus, Kahlo donne à penser la fécondité de l’art par son pouvoir représentatif, qui à défaut d’effacer la violence des évènements, permet de la décrire en la peignant.
C. Quel espoir face à la violence du monde ?
Racines (1943)
Dans ce tableau, une femme (ressemblant ici encore à Kahlo) étend des vignes, dont les racines sont dans son corps, vers un sol pourtant aride. Ce tableau dit ainsi son désir de fécondité, c’est-à-dire d’engendrement de nouveau, la fécondité étant doublement explicitée par la vigne (symbole de prospérité) et par son opposition à la sécheresse du sol. Ce tableau représente donc une forme d’espoir face à la violence de la stérilité, et appelle également à penser la création, qu’elle soit artistique ou biologique.
Sans espoir (1945)
Pourtant, ce dernier tableau, dont le titre est très explicite, interroge la résilience face à la violence. Ainsi Kahlo déclarait elle-même ceci, dans son Journal :
On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité.
Les derniers tableaux de Kahlo étaient en effet considérés comme surréalistes, le surréalisme se caractérisant notamment par la représentation de mondes imaginaires : or, Kahlo, comme le montre sa citation, entendait certes peindre par le symbole et l’analogie, mais toujours dans le but de dire ce qu’elle vivait, et la violence qu’elle vivait concrètement, réellement, et non pas oniriquement.
En sachant cela, et le fait que ce tableau date d’une période où la peintre fut hospitalisée et sous-nourrie, et donc encore particulièrement souffrante, l’on comprend qu’il s’agit de représenter l’acte de succomber à la violence : à nouveau en larmes, l’image de Kahlo engendre par la bouche une multitude d’entités monstrueuses, comme pour signifier que rien de positif ne peut désormais surgir de et dans son existence. Le lit rappelle ainsi celui de l’hôpital, l’échelle représentant son enfermement et la violence d’une condition physique et émotionnelle qui l’aliène. Ce tableau est donc la marque du désespoir, et d’une fécondité meutrie.