Dans La raison dans l’histoire, Hegel considère la violence comme légitime, et même nécessaire à l’Histoire : selon lui, elle est ce qui amène le changement comme le progrès. Retour sur une thèse utile pour l’épreuve de Culture Générale 2024.
La dialectique du maitre et de l’esclave comme moteur de l’Histoire
Pour Hegel, l’histoire est une Histoire universelle de la totalité, en tant qu’elle exprime l’Esprit. Elle donc a un sens. Or, qui dit sens dit mouvement, et donc moteur : il faut donc savoir quel est ce moteur. Le moteur de l’Histoire est la lutte violente de la dialectique du maitre et de l’esclave.
Cette dialectique consiste en une lutte à mort entre deux individus qui vise à assouvir leur besoin de reconnaissance. Elle s’opère jusqu’à ce que l’un des deux se résigne à accepter d’être l’esclave de l’autre. Ainsi, durant cette lutte, la raison ruse et raccorde toutes les passions individuelles à la raison universelle : c’est elle qui conduit l’Histoire vers la liberté.
Autrement dit, les luttes, qu’elles aient lieu entre des individus ou des civilisations, servent donc à faire avancer l’Histoire vers sa fin ultime. Ainsi, par exemple, lorsque Brutus assassine César, il pense qu’il est mû par une passion et un intérêt individuels ; mais en réalité, il donne, par cet acte, naissance à la République. La violence opère donc un travail, qui correspond à l’Histoire. Hegel qualifie ce travail de négatif.
La violence comme travail du négatif dans l’Histoire
En effet, pour Hegel, tout ce qui s’apparente à du désordre (les guerres, les conflits) n’est en réalité que le travail du négatif dans l’Histoire. Le désordre et la violence ne sont ainsi que des moindres maux, au service d’un bien rationnel : ils sont donc justifiés. C’est donc au nom de l’avenir que l’on peut racheter le passé.
Ainsi, sans douleur ni violence, il n’y aurait pas de développement et d’avancée de l’Histoire. La mort, les guerres, les luttes entre individus ou entre les nations sont en effet des manifestations de l’Esprit universel, qui produit l’histoire : la violence est donc ce qui bâtit l’Histoire universelle.
Le rôle constructif de la violence dans l’Histoire universelle
La liberté universelle est en effet le fruit d’une lutte : elle n’est reconnue et obtenue qu’au bout d’un combat entre celui qui se voit nier sa liberté d’une part, et celui qui la nie d’autre part. La violence est donc nécessaire dans l’Histoire universelle, car c’est par elle que l’Esprit s’accomplit.
L’Histoire avance donc par la violence et le conflit, comme Hegel l’écrit dans La raison dans l’histoire :
L’histoire nous apparait comme l’autel où ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des États et la vertu des individus.
Pour atteindre le stade supérieur de l’Histoire, c’est-à-dire pour passer à une autre civilisation dominante, il faut nécessairement massacrer l’ancien pouvoir : c’est la loi d’évolution de l’Histoire. Ainsi, l’humanité tout entière n’est que ruine et souffrance ; mais c’est la condition nécessaire pour aller vers le progrès. Celui qui accomplit ce travail négatif par excellence est le “Grand Homme” .
Le Grand Homme est celui qui sait utiliser la violence
La figure du Grand homme est primordiale chez Hegel : il s’agit à la fois du héraut et du héros du futur, parce qu’il saisit le sens de l’Histoire. Le Grand Homme, dans et par lequel l’Esprit se matérialise dans le monde, sait en effet quelle direction prendre pour inaugurer une nouvelle étape de l’Histoire en refondant l’État. Il est donc porteur d’une violence dans l’Histoire, d’une force : en tant qu’il saisit l’Esprit absolu, il produit le germe du futur.
Hegel donne deux exemples importants de Grands Hommes dans l’Histoire : Jules César, mais surtout Napoléon. Il écrit ainsi de ce dernier qu’il « [a] vu l’Esprit du monde à cheval » : parce qu’il était un Grand Homme, Napoléon fut l’un de ceux qui rendit l’Esprit universel effectif à même le mouvement de l’Histoire, par la violence de ses actes qui donnèrent lieu à des bouleversements qui changèrent le cours de l’Histoire.
Ainsi, l’action du Grand homme passe par l’exercice de la violence, pour pouvoir réaliser de grands bouleversements. Hegel justifie ainsi la tyrannie, là où elle stabiliserait le politique : la violence du tyran, contrairement à celle du despote, est à ses yeux nécessaire au maintien de l’unité politique, ainsi qu’à la défense de l’État.
Conclusion
Pour Hegel, la violence est nécessaire à l’évolution de l’Histoire universelle, et s’accomplit par le Grand Homme, dont Napoléon est un exemple. Le chaos apparent au sein de l’Histoire, sous forme de luttes apparentes à celle de la dialectique du maître et de l’esclave, est ce qui permet le dépassement (Aufhebung) d’un stade à un autre, plus évolué, et qui permet donc de se rapprocher des plans de l’Esprit universel, qui guide l’histoire. Tout comme la dialectique de l’esprit le fait passer de l’en soi au pour soi, puis à l’en soi pour soi, la dialectique au sein de l’Histoire, par le travail du négatif que la violence y opère, permet à l’Histoire d’avancer.