Pour réaliser cette introduction, nous nous sommes en partie appuyés sur l’Éditorial de Nathalie Chouchan qui se trouve dans les Cahiers philosophiques (n°149/2e trimestre 2017) aux éditions Vrin. La philosophe présente de manière succincte les différentes sous-problématiques qui composent le thème de la mémoire et qui seront abordées par plusieurs philosophes dans ce fascicule.  

L’avantage d’un tel ouvrage est qu’il aborde l’ensemble des sous-thèmes incontournables sur la question de la mémoire, et propose de comprendre ces questions au travers d’articles de recherche rédigés par des philosophes contemporains. Dans une volonté de synthèse, certains passages de cette introduction peuvent être difficiles d’accès voire peu compréhensibles en eux-mêmes, c’est pourquoi je vous propose un exposé à visée pédagogique de ces différentes sous problématiques.

Nous réaliserons des articles plus détaillés sur chacune de ces problématiques au cours de l’année, donc ne vous inquiétez pas si c’est très synthétique pour le moment.

La mémoire est-elle le propre de l’homme ?

ARISTOTE dans Métaphysique A,1 affirme que les êtres vivants qui disposent de la capacité à éprouver spontanément des sensations “accompagnée de mémoire” sont naturellement supérieurs aux autres animaux. Il justifie une telle hiérarchie par le fait que de tels êtres sont “plus intelligents et plus aptes à apprendre que ceux qui sont incapable de se souvenir.” Ainsi, la capacité mémorielle n’est pas le propre de l’homme, d’autres animaux partagent cette faculté et ainsi font partie des vivants “supérieurs”.

Cette capacité n’est toutefois pas seulement propre aux vivants. Si l’on considère que la capacité mémorielle est la faculté de mémoriser des informations alors nous pourrions affirmer qu’il existe une mémoire naturelle, propre aux vivants, et une mémoire artificielle comme celle des ordinateurs par exemple.

Existe-t-il une différence entre mémoire naturelle et mémoire artificielle ?

En effet, la capacité à mémoriser des informations est une composante essentielle des machines informatiques : elles disposent de technologies qui leur permettent de conserver une même information et d’en donner l’accès dans le temps. Cette forme de mémoire pourrait être qualifiée d’informatique car son procédé est a priori similaire à celui du vivant.

Pourtant, on ne peut pas réduire la mémoire naturelle à cette seule capacité de mémorisation d’information sur le long terme : celle-ci est bien plus complexe.

Le fonctionnement de la mémoire machinique est simple : on conçoit des matériaux qui permettent à des machines de recevoir et de conserver des informations pouvant être récupérées avec certitude.

Celui de la mémoire humaine est plus complexe : il ne s’agit pas simplement de récupérer des données conservées dans des matériaux adaptés. Celle-ci est composée d’une multitude de mémoires qui se combinent de différentes manières. Ces mémoires sont de différentes natures, et nous pouvons en distinguer cinq :

  • la mémoire immédiate : il s’agit de la mémoire à très court terme, celle dont parle Aristote
  • la mémoire événementielle : il s’agit de la mémoire d’un événement que l’on remet dans son contexte historique
  • la mémoire autobiographique : il s’agit de la mémoire individuelle des événements que l’on traverse au cours de sa vie
  • la mémoire sémantique : il s’agit de la mémoire du langage, des concepts, des idées, etc.
  • la mémoire procédurale : il s’agit de la mémoire des gestes (respirer, marcher, nager, etc.) qui est inscrite dans notre corps

La mémoire est-elle indissociable de l’identité ?

  • Dans le Chapitre 27 du livre II de l’Essai sur l’entendement humain, de John Locke se trouve un texte classique sur l’identité personnelle. Extrait : “L’identité d’une personne s’étend aussi loin que la conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou toute pensée passée ;(…) Le moi qui a exécuté cette action est le même que celui qui, à présent, réfléchit sur elle.”
    • La thèse de Locke est la suivante : l’identité personnelle d’un sujet repose sur les souvenirs qu’il possède d’actes réalisés par le passé, et de la conscience qu’il a de les avoir réalisés. Ainsi, la mémoire comme capacité à avoir conscience d’actions passées fonde l’identité personnelle chez Locke. Autrement dit, il n’y a pas d’identité personnelle sans mémoire, en tant qu’elle est définie comme la simple capacité à avoir conscience d’actions réalisées par le passé.
    • Pour résumer, nous nous souvenons d’actes passés et nous en avons conscience : ainsi, la mémoire est un sous-compartiment de la conscience.

  • Cette thèse est remise en cause par Leibniz notamment, qui dans son ouvrage Nouveaux essais sur l’entendement humain donne une autre définition de la conscience et par conséquent, offre une vision plus complexe de la notion de mémoire.
    • Pour lui, la mémoire n’est pas seulement une conservation de souvenirs individuels d’actes passés dont nous avons conscience : elle prend en compte des choses dont nous n’avons pas conscience et dans lesquels se forment nos souvenirs. Ces choses sont les cadres culturels, sociaux et intersubjectifs où le sujet évolue et forme ses souvenirs.
    • Il y a des petites perceptions dont nous n’avons pas conscience et qui pourtant font partie de la mémoire : nous les avons oubliées, mais elles s’inscrivent dans notre mémoire.

C’est du fait maison les petits dessins, ne me remerciez pas pour les qualités graphiques de celui-ci.

Ces trois problématiques concernent uniquement la première partie du programme que nous allons traiter sur Major-Prépa, à savoir “Fonctionnement et dysfonctionnement de la mémoire” : les autres sous-problématiques arriveront dans de prochains articles !

  N’hésitez pas à lire nos autres analyses ICI 😉