C’est après avoir été déchu de ses fonctions au gouvernement de Florence suite à l’arrivée des Médicis au pouvoir en 1512 que Machiavel écrit son ouvrage le plus célèbre : Le Prince. Il adresse son ouvrage à Laurent de Médicis, espérant ainsi obtenir sa faveur et retrouver ses fonctions.
Il s’agit d’un guide au prince nouveau afin d’obtenir le pouvoir, mais surtout de le conserver à l’aide de l’image que le prince renvoie à ses sujets.
Présentation et rapport avec le thème au programme « l’image »
Né en 1469 à Florence en Italie, Machiavel est nommé en 1498 secrétaire de la seconde chancellerie de la République de Florence. C’est l’équivalent du ministre des affaires étrangères. Machiavel voyage ainsi dans de nombreux pays, en France, en Allemagne, où il rencontre et observe les différentes monarchies.
Parallèlement, il s’intéresse vivement à la politique antique, et à la république de Rome, dont il admire profondément le gouvernement pour sa durabilité et sa stabilité. Il y consacre un ouvrage : le Discours sur la première décade de Tite-Live.
Fort de son expérience au sein de la république florentine et de sa lecture des textes antiques, Machiavel connaît de nombreuses monarchies, et dispense sa connaissance dans l’ouvrage Le Prince. Il écrit ainsi un manuel qui insiste sur l’image que le Prince doit entretenir à l’égard de ses sujets, qu’il divise en deux catégories : le peuple et les grands.
Cette oeuvre peut donc être mobilisée pour les sujets qui concernent les liens entre l’image et la réalité comme rapport d’apparence, de mensonge, de dissimulation.
L’mage du Prince : simuler et dissimuler pour conserver le pouvoir
Un unique prince pour des sujets en confrontation
Dans le chapitre neuf du Prince, Machiavel affirme que tout prince, dans tous les États est amené à gouverner deux groupes sociaux distincts :
Dans tous les pays, en effet, on trouve deux dispositions d’esprit opposées : d’une part, le peuple […] ; les grands de l’autre.
Ces deux groupes ne cohabitent pas pacifiquement au sein de l’État, mais se confrontent : ils sont antagonistes. Machiavel affirme qainsi ue chacun possède des « humeurs » (humori) bien différentes, c’est-à-dire des désirs opposés. Le désir du peuple est négatif, ils souhaitent ne pas être « ni commandé ni opprimé par les grands ». À l’inverse, « les grands désirent commander et opprimer le peuple ». Ils désirent activement exercer leur puissance sur le peuple (chapitre IX).
La question est alors de savoir comment un unique prince pourrait plaire, et donc gouverner deux groupes sociaux aux désirs opposés, dont l’un désire à tout prix opprimer l’autre ?
Des exigences hors d’atteinte
Si le prince devait plaire à ses sujets pour se maintenir au pouvoir, il devrait posséder un ensemble de qualités considérables pour satisfaire tous ces désirs antagonistes : généreux, fidèle, religieux, libéral, clément.
Or, Machiavel comme l’affirme au chapitre XV, « il serait très beau, sans doute, et chacun en conviendra, que toutes les bonnes qualités que je viens d’énoncer se trouvassent réunies dans un prince » , mais, « ce cela n’est guère possible » , car « la condition humaine ne le comporte point ». Comment être réellement bon dans un monde où une partie des sujets souhaitent dominer et opprimer ? Comment être vertueux lorsque le constat anthropologique s’y oppose ?
Il est impossible qu’un homme, et a fortiori un prince qui est entouré d’ennemis intérieurs et extérieurs qui cherchent à lui prendre son pouvoir, possède et exerce toutes ces qualités pourtant attendues d’un homme au tel pouvoir. En effet, si le prince possédait toutes les qualités attendue d’un bon prince, celles-ci lui porteraient préjudice dans la conservation de l’État : « elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence » (chapitre XVIII).
Le prince doit-il par conséquent régner par la terreur tout en refusant de plaire, de séduire ses sujets par des qualités qu’il ne peut posséder sans se nuire et nuire à la pérennité de l’État ?
L’image comme apparence du bien et du bon
Toute l’activité et la réussite de prince repose alors dans le fait de « posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler » écrit Machiavel au chapitre XVIII. En quoi consiste cette simulation et dissimulation ?
Il s’agit non pas de posséder les qualités attendues du prince, d’être véritablement bon, généreux, loyal, etc. ; mais de paraître les avoir, de donner l’image d’un prince vertueux :
Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités énoncées ci-dessus, il n’est pas bien nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir.
Chapitre XVIII
Le travail du prince ne consiste donc pas à s’exercer à être bon, mais à le paraître. Il est même préférable de ne pas être bon et de ne posséder que l’apparence du bon, l’image. L’image est ainsi ce qui sauve l’homme de la perte de son État, car celui qui veut « se montrer homme de bien ne peut manquer de périr au milieu de tant de méchants » (chapitre XV).
Ce n’est pas tant l’impossibilité du prince à posséder de telles qualités que la réalité anthropologique des hommes qui oblige à ne posséder que l’image de la vertu :
On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même.
Chapitre XVIII
Mais si l’image est associée à la tromperie, au mensonge en ce qu’elle dissimule la nature profonde du prince, elle n’est pourtant ni morale, ni immorale pour Machiavel.
L’image comme outil de séduction politique
Il faut en effet comprendre que l’image est pensée comme un outil qui permet de se maintenir au pouvoir. Elle est en quelque sorte similaire à la rhétorique comme moyen de parvenir à ses fins, c’est-à-dire à la conservation du pouvoir par la séduction des sujets. En ce sens, elle n’est pas immorale, mais amorale : autrement dit, pour Machiavel, il n’est ni bien, ni mal de l’exploiter.
Cette image est ainsi un outil communément admis en politique, et indispensable. Si elle n’a pas besoin de chercher à se légitimer, c’est parce les hommes, naturellement, s’arrêtent aux apparences. Il n’est donc pas immoral d’utiliser l’image, puisque cela correspond simplement à la nature humaine :
Les hommes sont si aveugles, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper.
Chapitre XVIII
L’image ne cherche par ailleurs jamais seulement à tromper autrui : il s’agit d’apparaître pour l’autre, mais jamais pour soi-même. Le réel n’est jamais loin, ni oublié, en soi-même.
À retenir
- Machiavel écrit le Prince afin d’indiquer ce que doit être l’attitude des monarques en vue de conserver le pouvoir, c’est-à-dire l’image (entendue comme apparence) qu’ils doivent soutenir auprès de leurs sujets.
- Les sujets du prince ont des désirs hétéroclites et antagonistes qui obligent le prince à ne posséder que l’image de la vertu. Il n’est ainsi pas souhaitable d’être véritablement bon face à des hommes méchants, mais il est nécessaire de le paraître.
- Bien que l’image trompe, dissimule, elle n’est pas condamnable moralement. Elle n’est qu’un outil de séduction politique efficace face à des sujets qui s’arrêtent aux apparences : son utilisation n’est ni morale, ni immorale, mais amorale.