The Line

Le projet The Line est sans aucun doute l’un des projets les plus intrigants et importants de l’histoire. Initié par l’Arabie saoudite, ce projet connaît un développement pour le moins décevant et est au cœur de nombreuses polémiques et controverses. Revenons ensemble sur ce projet fou, ses controverses et son avancée jusqu’à aujourd’hui, en mars 2025.

Qu’est-ce que le projet The Line ?

Comme mentionné précédemment, le projet The Line a été initié par l’Arabie saoudite en janvier 2021, dans le cadre du plan Vision 2030 (plan de développement mis en place par le gouvernement en 2016 pour sortir le pays de sa dépendance aux revenus pétroliers en diversifiant son économie).

The Line est un projet de ville intelligente saoudienne futuriste, conçue de manière à n’avoir ni voitures, ni rues, ni émissions de carbone. La ville est constituée de deux parois en miroirs de 500 m de hauteur en plein désert, s’étendant sur 170 km en longueur et environ 200 m en largeur. C’est donc à l’intérieur de cet espace qu’est censée naître cette cité futuriste d’ici 2030.

Il est prévu que la ville accueille 1,5 million d’habitants, avec notamment des infrastructures innovantes et prometteuses. L’un des exemples les plus marquants : un système ferroviaire à grande vitesse qui permettrait de traverser les 170 km de longueur de cette ville en seulement 20 minutes, atteignant ainsi 512 km/h. Ce qui est plus rapide que tous les trains à grande vitesse existants au moment de l’annonce.

Tu l’as donc compris, The Line est un projet aussi révolutionnaire que colossal. Le coût de construction est estimé entre 100 et 200 milliards de dollars US. Certaines estimations allant jusqu’à 1 000 milliards de dollars, ce qui surpasse de loin le PIB de l’Arabie saoudite.

De nombreuses controverses et polémiques

Bien entendu, un projet aussi important est source de polémiques et de controverses. Le projet n’échappe pas à la règle, voire il la surpasse. Attaquons point par point les polémiques et les controverses.

La crédibilité du projet

En effet, de nombreuses personnes s’interrogent sur la faisabilité d’un tel projet. Les chiffres annoncés sont colossaux et l’idée même de miroirs en plein désert fait douter de nombreux architectes.

Il y a peu, l’architecte et urbaniste Étienne Bou-Abdo déclarait : « Les images 3D présentées ne sont pas des 3D d’architectes au style classique », et les concepteurs du projet « ont plutôt fait appel à des designers de jeux vidéo ».

Pire encore, selon lui, « une grande partie des technologies nécessaires n’existe pas aujourd’hui ». D’autres annonces phares du projet, notamment en matière de transport et d’énergie, reposent sur des technologies inexistantes, même à l’état de prototype. Une situation préoccupante.

D’autres comparent déjà ce projet à celui de Masdar City, une soi-disant ville futuriste écologique lancée à Abou Dabi par l’émir Ahmed al-Jaber en 2007, qui est finalement devenue une ville fantôme depuis 2016, faute d’intérêt des populations et des acteurs commerciaux.

L’impact environnemental

Sujet essentiel dans notre monde actuel, l’impact environnemental d’un tel projet n’est pas anodin. En 2022, un enseignant et chercheur à l’université de Nouvelle-Galles du Sud critiquait le fait que le projet aurait une empreinte carbone d’environ 1,8 gigatonne d’équivalent CO2, en raison de la consommation massive de verre, d’acier et de béton.

Ce n’est pas tout, puisque Melissa Sterry, experte en conception de villes durables, expliquait au journal Metro que The Line risquait d’empêcher les animaux de traverser le désert lors de leurs migrations. De plus, les miroirs sur les côtés de la ville entraîneraient de nombreuses collisions d’oiseaux, touchant aussi bien les espèces endémiques (celles qui ne vivent qu’en Arabie saoudite) que les oiseaux migrateurs.

Greenwashing

Pour un projet qui se voulait novateur dans son fonctionnement et neutre en carbone, son impact environnemental est plus que douteux. D’autant plus que ce projet est vu par de nombreux acteurs écologistes comme « mégalomane » et cochant « toutes les cases du greenwashing à la mode chez les pollueurs ».

Les journalistes soulignent le fait que, si l’Arabie saoudite fait partie des pays les plus pollueurs de la planète, elle a tout de même refusé, par l’intermédiaire de Mohammed Ben Salmane (prince saoudien), de signer l’Accord de Paris sur le climat.

Les droits de l’homme

Nous le savons, l’Arabie saoudite n’a jamais été pionnière en matière de droits de l’homme, et ce n’est pas avec le projet The Line que cela va changer.

En octobre 2022, plusieurs personnes ont été exécutées pour avoir refusé de quitter leur village dans le cadre de ce projet. Parmi elles, Shadli al-Huwaiti a été abattu par les forces de sécurité en avril 2020 dans sa maison d’Al-Khariba, dans la province de Tabuk, zone affectée au projet Neom, après avoir publié des vidéos sur les réseaux sociaux s’opposant au déplacement des locaux.

De surcroît, selon The Wall Street Journal, le chantier, qui accueille plusieurs dizaines de milliers de travailleurs migrants (en majorité des Pakistanais, Bangladais et Philippins), semble se transformer en dystopie en plein désert. Les camps surpeuplés s’apparentent de plus en plus à des bidonvilles, gangrenés par le trafic de drogue et une insécurité croissante. Plusieurs émeutes ont éclaté pour dénoncer les conditions de vie sur place, les salaires dérisoires – pas toujours versés – et la multiplication des accidents mortels.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La moindre des choses que l’on puisse dire, c’est que le chantier a subi de nombreux retards. La principale cause étant le départ de nombreux collaborateurs et investisseurs à la suite des polémiques évoquées précédemment.

C’est pourquoi l’Arabie saoudite a revu ses ambitions à la baisse, et autant dire que les chiffres ont bien changé :

  • En avril 2024, seulement 2,4 km, au lieu des 170 km promis, sont prévus d’être achevés d’ici 2030.
  • Concernant le nombre d’habitants, il faudra se contenter de 300 000 personnes en 2030, soit 1,2 million d’habitants en moins par rapport aux prévisions initiales.
  • En décembre 2024, en raison de coûts plus élevés que prévu et de nombreuses démissions, la société a annoncé le départ de Nadhmi Al-Nasr, directeur général depuis 2018. Des doutes commencent donc à apparaître concernant la capacité du site à accueillir les Jeux olympiques d’hiver de 2029.

Conclusion

Le projet The Line illustre parfaitement l’ambition démesurée de l’Arabie saoudite à travers son plan Vision 2030. Initialement présenté comme une révolution urbaine et écologique, il se heurte à de nombreux obstacles, qu’ils soient technologiques, financiers, environnementaux ou éthiques. Entre doutes sur sa faisabilité, accusations de greenwashing et violations des droits de l’homme, il est aujourd’hui loin de répondre aux promesses annoncées.

Avec un chantier largement retardé, des ambitions revues drastiquement à la baisse et un climat d’incertitude pesant sur son avenir, The Line pourrait bien rejoindre la longue liste des mégaprojets utopiques inachevés. Plus qu’un symbole du futur, il semble devenir celui des limites de l’innovation déconnectée des réalités économiques, sociales et environnementales.