manque

Dans la lignée de nos articles sur la préparation de l’oral de Culture générale d’HEC, nous te partageons le plan détaillé d’un élève ayant obtenu la note de 20/20 à cette épreuve. Le sujet était « Le manque ». Bonne lecture !

Introduction

Le manque est une situation dans laquelle le sujet est dépourvu d’une chose. C’est donc un état, mais aussi un sentiment. [Définition des termes] Les premières choses dont on peut, en tant que sujet, manquer sont des ressources. On manque d’eau, de nourriture, mais aussi de biens matériels, qui rendraient notre vie vivable (un toit, par exemple), ou plus vivable.

Dès lors, l’objectif pour un individu vivant en société est de subvenir à ses besoins, de combler ses manques et, finalement, de faire en sorte de ne manquer de rien.

[Afin de trouver le nœud problématique du sujet, il faut comprendre ce qu’il implique. Ici, le manque implique de vouloir combler ce manque]

Pourtant, on peut ne manquer d’aucune ressource matérielle, avoir tout pour soi et toujours ressentir en soi un vide. Le manque, plus qu’une situation, serait ainsi un sentiment, voire une émotion, lorsque quelqu’un nous manque. [Définition des termes plus creusée] Dans ce cas encore, le manque engendre de la souffrance et le sujet qui le ressent a pour objectif de le combler.

Ainsi, il semble que le manque serait toujours la source d’une souffrance et d’un désir, celui de combler ce manque par tous les moyens. Il est par ailleurs intéressant de constater que nos sociétés occidentales néolibérales se définissent comme des sociétés dans lesquelles la notion même de manque est chassée. [Il est toujours bon de lier le sujet au contexte contemporain qui est le nôtre] Un seul objectif : ne manquer de rien, avoir tout, jouir de tous les plaisirs, posséder tous les objets que l’on peut posséder. Dans cette course, des manques qui n’en auraient pas été originellement sont créés de toutes pièces. [Nœud du problème] Dans ces sociétés occidentales contemporaines, la seule chose dont il semble acceptable de ne pas manquer serait de manquer de temps.

[On développe ensuite les différentes problématiques] Pourtant, ne pourrait-on pas considérer que le manque est une force nécessaire ? Le désir, ce qui nous pousse à continuer ? Sans ce manque, aurait-on encore un quelconque désir pour la vie ? [Autres problèmes] Considérer le manque comme une force nécessaire pourrait presque nous pousser à cultiver une éthique du manque. Celle-ci pourrait nous apprendre à faire la différence entre un manque nécessaire, souhaitable, et celui qui n’aurait aucune signification pour notre vie.

Finalement, le manque, chassé de nos existences contemporaines tant il est lié à la souffrance, ne pourrait-il pas être revalorisé, afin de constituer une sorte d’éthique du manque ?

Proposition de plan

I – Les formes que prend le manque, toujours lié au désir

1) On manque de quelque chose : les ressources vitales, puis matérielles

Tout d’abord, les premières choses dont on manque sont des ressources vitales : sans elles, pas de vie. En réalité, c’est un manque peu ressenti aujourd’hui en Occident, mais qui est encore réel pour des millions d’hommes et de femmes dans le manque. Le manque le plus primitif est donc celui d’eau, de nourriture. Viennent ensuite des manques matériels secondaires : celui d’un toit, d’habits, de confort.

Dès lors, deux références possibles.

La première est philosophique : la classification des désirs faite par Épicure divise les désirs entre ceux qui sont naturels et nécessaires, naturels et non nécessaires, et non naturels et non nécessaires. Ainsi les premières choses dont on manque, ce sont les ressources qui font l’objet d’un désir naturel et nécessaire. Mais nos existences plus « sophistiquées » nous font ressentir le manque de ressources naturelles et non nécessaires. On peut même en venir à ressentir le manque de choses non naturelles et non nécessaires, mais dans la classification d’Épicure, ces manques seraient à bannir.

La seconde référence est sociologique : la pyramide de Maslow illustre une manière de classifier ce dont on manque. Dans cette classification, les premiers besoins de l’homme sont physiologiques (puis, de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement). Ainsi, les ressources physiologiques sont ce dont l’homme manque en premier.

[TRANSITION] Dans la classification des désirs d’Épicure, on comprend que ce dont on aurait le droit de désirer et donc de manquer ne serait que des besoins matériels. Qu’en est-il des êtres chers dont on vient à manquer ? [Il est important de faire de belles transitions : elles sont le moment où on problématise vraiment le sujet et donc où on montre qu’on s’y confronte]

2) On manque de quelqu’un

En effet, il semble que « le manque » éprouvé par un sujet se porte d’abord sur un autre homme, un être cher. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », affirme Lamartine dans ses Méditations poétiques au sujet de Julie Charles. Quelqu’un nous manque, ou on manque de quelqu’un, si on traduit littéralement l’anglais « I miss you ».

C’est ainsi que Victor Hugo exprime son manque de sa fille Léopoldine, partie avant lui. Il chante le manque qu’il ressent, manque d’une personne chère pour lui, mais aussi des moments passés avec elle. Un poème qui illustre bien ce manque est Demain, dès l’aube… : « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps », affirme Hugo. Comme un dérivé du manque, la nostalgie est le désir de revivre ces moments passés que l’on ne pourra plus jamais revivre.

[TRANSITION] Il est ainsi intéressant de voir à quel point le manque est toujours lié à son cousin, le désir. Le désir de combler ce manque.

3) Le manque est toujours lié à un désir : on désire toujours ce dont on manque

À ce propos, Socrate lui-même affirmait dans Le Banquet de Platon que « ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir ». Manque et désir sont donc intimement liés, puisque lorsque je manque de quelque chose, je le désire forcément. [Un exemple précis n’est pas attendu dans chaque sous-partie à l’oral : nous n’avons que 10 minutes et il vaut mieux bien développer nos exemples plutôt que de les superposer en les analysant de manière superficielle]

[TRANSITION] Cependant, chaque désir satisfait, chaque manque comblé, entraîne la création d’un nouveau manque et donc d’un nouveau désir. L’homme, animal insatisfait et constamment désirant, ne saurait donc fixer son manque. Une des conséquences de ce comportement est la souffrance qui découle constamment de ce manque.

II – Le manque est toujours lié à une souffrance et est donc perpétuellement chassé de nos vies

1) Souffrance liée au manque

En effet, cette souffrance, fruit systématique du manque, est parfaitement décrite par Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation. Ce dernier compare la vie à un pendule oscillant entre la souffrance (la souffrance liée au désir, lui-même lié au manque) et l’ennui (advenant lorsque le manque est comblé et que le sujet n’a plus rien à désirer).

« La vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite. »

Ainsi, le sujet qui chasse cet ennui de sa vie crée un nouveau manque et replonge donc constamment dans la souffrance.

[TRANSITION] Ainsi, le sujet manque constamment de quelque chose et cherche toujours à chasser ce manque qui ne lui procure rien d’autre que de la souffrance.

2) Des sociétés contemporaines où le manque est perpétuellement chassé

[Pour se démarquer, il faut être un peu ambitieux : utiliser un sujet de CG pour réfléchir sur notre situation contemporaine est un bon moyen de le faire]

Si les hommes n’ont pas attendu de vivre dans des sociétés occidentales contemporaines consuméristes pour chasser leurs manques, ces sociétés atteignent l’apogée de la chasse au manque.

Ainsi, la société d’abondance de Galbraith (The Affluent Society) est une société dans laquelle l’objectif des sujets est de ne manquer de rien. Cela est permis par un système consumériste satisfaisant tous les désirs possibles et imaginables, et une société capitaliste en recréant aussitôt.

Dès lors, dans de telles sociétés, le manque est un instrument de discrimination. La société se divise en classes sociales suivant ce que l’on a et ce que l’on n’a pas (dont on manque).

[TRANSITION] Pourtant, ceux qui ne manquent de rien ne semblent parfois pas plus enviables. Ne faudrait-il pas réévaluer les objets de notre manque ? [C’est le moment de se démarquer pour que le jury nous retienne : le but est de lui apporter une piste de réflexion à laquelle il n’avait pas forcément pensé afin qu’un réel débat puisse s’ouvrir avec lui durant l’échange]

3) Pourtant, ceux qui ne « manquent de rien » ont-ils vraiment tout pour eux ?

Dans la Palme d’or Triangle of Sadness de Ruben Östlund, les hyper-riches présents sur le bateau ne manquent a priori de rien. Ils ont assez d’argent pour passer de beaux moments, l’équipage est à leur merci. Pourtant, ils manquent d’éthique, de compassion envers le personnel du bateau qu’ils déshumanisent. Par exemple : la scène où ils les font tous plonger dans la piscine alors qu’aucun d’eux n’est consentant. Sont-ils enviables ?

[TRANSITION] Ne vaut-il pas manquer de ressources « externes » (des biens, de l’argent) que de manquer de ressources « internes » (valeurs, compassion, éthique) ? Dès lors, notre hiérarchie du manque serait à repenser et nous pourrions donc penser que certains manques pourraient être à rechercher, à cultiver.

III – Ne pourrait-on pas revaloriser le manque, qui ne serait pas une carence, mais une source de plaisir ?

1) Le plaisir lié au manque

Il faudrait arrêter cette course effrénée au manque afin de savourer le fait de manquer. Dans Julie ou La Nouvelle Héloïse, Rousseau souligne que le manque vaut mieux que la satisfaction du désir lié au manque. Pour lui, le bonheur lié au désir et donc au manque est supérieur au bonheur lié à la satisfaction de ce manque :

« Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. »

Par ailleurs, on peut penser que le manque serait une force pour nous dépasser, nous pousser à accomplir de nouvelles choses. Ulysse rentrant à Ithaque est prêt à surmonter de nombreuses épreuves par nostalgie (un type de manque). Il puise donc dans ce manque une force. On retrouve une idée similaire dans le conatus de Spinoza.

[TRANSITION] Si le manque est vertueux, quelle place pourrait-on lui donner dans nos existences contemporaines ?

2) Redonner une place au manque dans nos existences contemporaines, développer une sorte d’éthique du manque

Ainsi, on arrive à l’idée qu’il faudrait apprécier manquer de certaines choses. Il faudrait apprendre à ne pas vouloir tout avoir tout le temps. Cela est en effet incompatible avec les ressources disponibles sur la planète, comme le souligne Hans Jonas dans Le Principe responsabilité. Si « nous n’avons pas le droit d’hypothéquer l’existence par notre simple laisser aller », c’est parce que ce dernier nous pousse à nous inventer des manques, mettant encore en danger la survie de notre planète.

Afin de préserver l’espèce humaine, l’homme a la responsabilité de limiter ses désirs et donc d’accepter de manquer de certaines choses, qui en réalité ne lui sont pas tant utiles que cela.

Dès lors, il faudrait proposer une nouvelle hiérarchie du manque, où les besoins physiologiques resteraient les choses dont il ne faudrait pas manquer, mais qu’avant de vouloir ne pas manquer d’objets superficiels, il faudrait apprendre à ne pas manquer de vertu.

Les questions posées par le jury

Pouvez-vous développer davantage la référence à Épicure ? Sa hiérarchie est-elle absolue ou relative ?

À première vue, sa hiérarchie n’est pas subjective (chacun doit chasser les désirs non naturels et non nécessaires). Mais quand on y regarde de plus près, Épicure explique qu’on peut satisfaire des besoins non nécessaires si on ne tombe pas dans la dépendance. Par exemple, on peut boire une bonne bouteille de vin sans pour autant en être dépendant ensuite et ne plus pouvoir s’en passer. L’important est de rester maître de ses envies et ne pas céder à ses désirs.

Précisez votre référence à La Nouvelle Héloïse.

Un épisode du podcast de Major-Prépa y a été consacré.

Pourquoi avoir relevé que dans nos sociétés capitalistes contemporaines la seule chose dont il est positif de manquer, c’est de manquer de temps ?

C’était une idée que j’avais eue pendant la préparation. L’idée qu’on nous dit qu’il faut tout avoir/manquer de rien, et que pourtant, il serait presque à la mode de manquer de temps, d’avoir un emploi du temps de ministre. Je leur ai expliqué que je n’avais pas tellement d’explication à cela. Ce qui a permis d’ouvrir un réel dialogue avec le jury.

Voyez-vous autre chose qu’il serait positif de manquer ?

J’ai répondu que je n’avais pas tellement d’idée, si ce n’est qu’il serait positif de manquer de choses négatives. C’est-à-dire manquer de pauvreté, manquer de malheur, etc. Ils n’étaient pas très convaincus, mais ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas d’idée précise non plus.

Conclusion

À l’oral comme à l’écrit, l’important est de se confronter au sujet et de l’analyser pleinement. Le plan doit être limpide. Il faut l’annoncer de manière grossière. La pire chose serait que le jury ne sache pas ce qu’est notre plan.

Par ailleurs, il faut se mettre dans l’embarras, faire émerger de réels problèmes, de réelles limites. À la fin de la première partie, on doit vraiment être dans l’embarras et se dire que notre réponse au sujet est incomplète et qu’elle n’est pas suffisante. Il faut qu’il y ait une vraie limite. D’où l’importance des transitions.

De plus, il est central de bien détailler les connaissances, en prenant des exemples précis, en utilisant des citations (surtout à l’écrit). Il n’est pas nécessaire de connaître parfaitement le philosophe dont on parle. Il faut simplement réussir à revenir à ce que l’on sait et utiliser des formules langagières qui font mine qu’on le connaît super bien (« à première vue il dit ça, mais quand on creuse un peu et qu’on regarde toute son œuvre, il dit ça »).

Enfin, et cela est spécifique à l’oral, il faut créer un réel dialogue avec le jury (pour qu’il découvre de nouvelles facettes du sujet grâce à nous, des axes d’analyse auxquels il n’aurait pas pensé). Et il est toujours bon de diversifier les connaissances : philo, littérature (autant que la philo, car un des deux jurys en est le spécialiste), mais aussi sociologie, art, cinéma.