Le surréalisme est un mouvement artistique du début du XXè siècle, initié et théorisé par André Breton dans son Manifeste du surréalisme (1924).Tout comme chez Apollinaire, qui évoque le premier ce terme dans les Mamelles de Tirésias, la notion de monde est cruciale pour les surréalistes : nous t’expliquons ici pourquoi, et te donnons quelques exemples de poèmes et tableaux surréalistes que tu pourras utiliser dans tes dissertations.

LE SURRÉALISME, OU LA CRÉATION COMME TRANSFIGURATION ET ENCHANTEMENT DU MONDE

Crée dans le but de renouveler le rapport de l’artiste à la création, le surréalisme se veut être une révolution artistique, qui entend s’émanciper des critères artistiques romantiques et bourgeois. Ses écrivains utilisent l’écriture automatique pour retranscrire leur flux de conscience.

C’est dire que le surréalisme s’intéresse particulièrement au dévoilement du monde de la conscience, qu’il aspire à dessiner, sans en passer par la médiation mécanique d’un style trop rigide, qui travaille les mots encore et encore dans un souci de perfection. Breton décrit même le surréalisme comme un “automatisme psychique” dans son Manifeste.

Mais ce mouvement convoque également les thèmes de l’amour et de l’érotisme. Ses poètes (Breton, Eluard, Desnos) comme ses peintres (Ernst, Dali, Magritte) centrent particulièrement leurs oeuvres sur des femmes qui les inspirent – et qui sont elles-mêmes souvent artistes. Elles se font alors vectrices du monde des rêves propres au surréalisme : transfigurant le monde aux yeux des poètes, elles forment le passage entre le sensible et l’imaginaire, et sont représentées comme détentrices de capacités surnaturelles.

Ainsi, l’écriture automatique, la volonté de subversion artistique, politique et morale ainsi que la vision divinisatrice des femmes donne aux oeuvres surréalistes une grande propension à décrire un monde métamorphosé. Si l’écriture automatique vise à atteindre une forme singulière de connaissance du monde, l’exploration du langage qu’elle implique, l’usage du fantastique, du symbolique et de l’allégorique font des oeuvres surréalistes de véritables reconfiguration du monde. Voici donc quelques oeuvres, littéraires et picturales, que vous pourrez utiliser dans vos dissertations de Culture Générale

EXEMPLES D'OEUVRES SURRÉALISTES UTILES POUR LA NOTION "LE MONDE"

La métamorphose du monde : "Tournesol" (Breton, 1923)

Chef de file du surréalisme, Breton (1896-1966) reflète, dans ses poèmes comme dans ses essais, la métamorphose du monde à laquelle ce mouvement aspire

Dans “Tournesol” , publié dans le recueil Clair de terre (1923), le poète suit ainsi une “voyageuse qui traverse les Halles à la tombée de l’été” (v.1), dont le passage décrit par le poète lui offre “[s]on rêve ce flacon de sels” qu’elle porte “dans le sac à main” (v.4), c’est-à-dire un matériau d’inspiration poétique. 

En suivant cette femme qui marche dans Paris, Breton opère donc le passage entre le monde sensible (Paris et ses lieux : “les Halles” , v.1 ; “le Pont-au-Change” et la “Rue Git-le-Coeur” , v.13-14, “la statue d’Etienne Marcel” (v.28)) et l’onirique.

La passante observée par Breton se fait en effet vectrice d’un nouveau monde, celui des rêves, de l’invraisemblable et de l’imagination : la nature s’invite en pleine ville (“Une ferme prospérait en plein Paris”, v.19), les éléments se mélangent pour donner des images en synesthésie (“Les lampions prenaient feu lentement dans les marroniers“, v.12), et le poème ouvre au sentiment cosmique (“[l]es fenêtres donnaient sur la voie lactée” , v.20).

Somme toute, dans “Tournesol”, le monde se métamorphose au passage d’une femme qui inspire au poète une “puissance sensorielle” (v.26) toute nouvelle.

 

La femme comme miroir du cosmos : "Le terre est bleue comme une orange" (Eluard, 1929)

Dans ce célèbre poème, paru dans le recueil L’Amour la Poésie, Eluard (1895-1952) célèbre Gala. Elle fut sa compagne de 1917 à 1929, et est une des muses voire la muse la plus importante des artistes surréalistes, poètes comme peintres. 

Ici, Gala se fait miroir du monde : le bleu est celui de ses yeux, l’orange celui de sa chevelure, le tout composant un blason dissimulé derrière la métaphore du monde. La femme-monde se pare de tous les atouts cosmiques (“l’aube (…) autour du cou” et le “ collier de fenêtres” , v.11-12), c’est-à-dire d’une lumière céleste : seule celle-ci semble pouvoir être à la hauteur de sa beauté.

La cosmologisation de la muse par le poète vise donc à faire de ce blason une célébration toute particulière : elle dit l’éclat de Gala en l’assimilant à un corps céleste. Ainsi, ce n’est qu’en assimilant celle qu’il aime au monde, voire à l’univers entier, qu’Eluard rend raison de sa passion : “Tu as toutes les joies solaires / Tout le soleil sur la terre / Sur les chemins de ta beauté” . 

 

 Le dévoilement du monde intérieur : Gala Eluard (Ernst, 1924)

Ernst (1891-1976) fut un des pionniers du surréalisme pictural, ainsi que du mouvement Dada. Gala qui était sa maîtresse lors de son mariage avec Eluard, est ici représentée en peinture.

Max Ernst | Gala Éluard | The Metropolitan Museum of ArtSon visage semble déchiré par le papier peint, dévoilant alors un monde intérieur. Ernst rejoint ainsi le projet surréaliste d’exploration des tréfonds de la conscience : s’il s’exprime à l’écrit par l’écriture automatique, le processus pictural doit employer d’autres moyens.

C’est donc traduire l’activité d’écrire par une image : le tableau illustre donc les diverses manières qu’a l’art de représenter le monde, et à plus forte raison un monde caché. 

 

Le déracinement du monde : Mal du pays (Magritte, 1940)

Si l’on retient du peintre belge Magritte (1898-1967) les célèbres tableaux Le Fils de l’Homme (1964), La Trahison des images (ou “Ceci n’est pas une pipe” , 1924), Les Amants (1928) ou encore Le Faux Miroir (1928), ce dernier étant par ailleurs particulièrement intéressant sur “Le monde” , concentrons-nous ici sur cette oeuvre bien moins connue, Mal du pays

Rene Magritte. Mal du pays

Exilé de Belgique en 1940 après l’arrivée des Allemands, Magritte éprouve une grande nostalgie. Vous pouvez donc relier cette oeuvre au concept de monde chez Homère, qui thématise la nostalgie comme rapport au monde orienté vers un point central qu’il s’agit de rejoindre coûte que coûte.

Mal du pays permet également de croiser une oeuvre picturale avec la pensée platonicienne : l’homme regardant l’horizon, doté d’ailes, rappelle la chute des âmes dans le monde sensible narrée par Socrate dans le Phèdre. La terre ici-bas est étrangère, et il faut rejoindre un ailleurs, un autre monde, dont l’homme dépeint ici, vêtu de noir, semble pourtant faire le deuil. De même, chez Platon, il faut mourir au corps pour quitter le monde : ainsi peut-être le seul remède pour le nostalgique est la mort, comme l’évoque Jankélévitch avec l’exemple de l’aventure mortelle.

Microcosme, macrocosme et morcellement du monde : Galatée aux sphères (Dali, 1952)

Ici encore, l’artiste surréaliste représente Gala ; mais il s’agit désormais de Dali, avec qui elle se mariera en en 1958.

Galatea des sphèresDali joue ici avec le prénom de Gala pour faire une référence au mythe de Galatée, dans lequel Pygmalion tombe amoureux de sa propre statut en ivoire. C’est ici user du monde moderne pour rappeler l’ancien ; mais c’est également centrer le monde de l’artiste autour de la muse, dont émane alors divers autres mondes, qui ne sont autres que les inspirations de l’artiste. Galatée aux sphères rappelle donc la place centrale occupée par les muses du surréalisme, qui sont au centre du monde de l’artiste et créatrices de monde en tant qu’inspiratrices.

Enfin, ce tableau est emblématique de ce qu’on appelle le mysticisme nucléaire de Dali. L’on désigne ainsi sa période artistique des années suivant les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki : Dali devient en effet fasciné par la physique subatomique, qu’il cherche alors à représenter. Ici, les sphères représentent donc le monde microscopique, celui des particules : il s’agit donc du microcosme, au sens littéral du terme. Dali découpe ici le réel pour en présenter les éléments : rappelons qu’a-tomon, en grec, est ce qui est in-sécable ; les particules sont somme toute ce qui divise le monde et le constitue, et ce sont bien ces éléments que Dali veut restituer.

S’ensuit ainsi le morcellement de la figure de Gala(tée), comme si la source d’inspiration de l’artiste ne pouvait constituer une totalité, mais devait se défracter en plusieurs mondes pour traduire les différentes significations de l’oeuvre. Cette dernière crée donc un nouveau monde dans lequel les éléments se composent et se décomposent selon leurs propres lois : le monde n’est alors plus phusis, nature, qui suivrait les lois de la physique, mais oeuvre de l’art avec ses règles indépendantes.