Les sujets d’oraux de Culture Générale d’HEC sont très divers : ils peuvent être donnés sous forme de citation, d’un verbe ou même d’une expression. Le candidat est donc appelé à dénicher le ou les thèmes principaux suggérés derrière l’intitulé. Or, le thème du temps, qui doit être utilisé dans le sujet “L’éloge de la vitesse” , est rarement étudié en prépa.
Il est donc intéressant de se pencher sur cette notion là, ce que nous vous proposons de faire à travers un sujet analysé et corrigé en détail. Il ne s’agit bien sûr pas d’une correction parfaite, mais simplement d’un exemple pour traiter ce sujet.
Introduction
Accroche
Dans le chapitre 11 du roman Nana, Zola décrit une course hippique, véritable valorisation de la vitesse, de laquelle la jument, qui porte le même nom que l’héroïne éponyme du livre, sort triomphante. Ce chapitre symbolise ainsi la consécration de Nana, le nom de la jeune femme étant scandé par la foule. La jument constitue ainsi une véritable analogie de l’héroïne, lancée dans une course vers le faste, la richesse et la reconnaissance sociale. Or, cette course marque également le moment de sa longue déchéance vers la dépravation et la mort.
Ce chapitre montre donc que l’éloge de la vitesse est un éloge paradoxal : en souhaitant que tout aille plus vite pour atteindre nos désirs rapidement, nous sommes entrainés dans une course, mais en conséquence, notre temps sur terre passe plus vite, et cette course est alors une course vers la destruction et la mort.
Définition des termes du sujet
Ainsi, l’Homme est fasciné par la vitesse, et s’applique à en faire l’éloge, c’est-à-dire tenir un discours laudatif pour célébrer ses vertu. La vitesse, quant à elle, signifie étymologiquement « agilité » (vistece en latin) et renvoie au fait de parcourir beaucoup d’espace en peu de temps ou de réaliser une action rapidement ; c’est donc une comparaison entre deux mouvements. La vitesse est en réalité une invention de l’Homme : elle apparaît au XVIIIe siècle avec le machinisme.
Enjeux du sujet
Ainsi, alors que dans notre société actuelle, la vitesse est mise à l’honneur car elle a permis de faciliter la vie de l’Homme, il apparait évident qu’aujourd’hui, ce sont plutôt le corps qui courent après la vitesse, c’est-à-dire que l’Homme est en réalité asservi à la vitesse.
Proposition de plan
1) Depuis l’invention de la vitesse, l’Homme est fascinée par elle, et s’attache à en faire l’éloge
a. La vitesse est une création de l’Homme, qui lui a permis de contrôler son environnement
L’invention de la vitesse a eu lieu avec l’entrée dans la modernité, dès le XVIIIe siècle, et s’est accélérée avec la Révolution industrielle du XIXe : la machine à vapeur, la locomotive, l’électricité, sont autant d’inventions qui ont permis d’introduire la notion de vitesse.
En effet, la vitesse n’a pas toujours existé : jusqu’au XVIIIe siècle, l’humanité était rivée à la vitesse fixe des éléments naturels, notamment par des moyens de déplacements réduits (à pied, à cheval…). Il était donc impossible de gagner en vitesse, car le corps naturel présentait une limite indépassable.
Or, avec l’introduction du machinisme au XVIIIe siècle, l’Homme a trouvé un moyen de stocker de l’énergie naturelle avec des moteurs, qui permettent de créer une vitesse qui n’existe pas dans la nature. Ainsi, en inventant la vitesse, l’homme a une plus grande emprise sur son environnement.
Un exemple qui traduit cette révolution est la manière dont on perçoit l’espace. On ne mesure en effet plus les distances avec le temps, mais avec l’espace : on disait, autrefois, que Paris-Marseille correspondait à vingt-cinq jours à cheval, tandis qu’aujourd’hui, on dit plutôt 660 kilomètres. Cela montre donc qu’il s’est opérée une véritable appropriation de l’espace par l’Homme, grâce à la vitesse, elle-même permise par le progrès technique.
Jules Lagneau, dans ses Célèbres leçons et fragments (chapitre « Cours sur la perception » ) disait ainsi que
L’étendue est la marque de ma puissance. Le temps [est celle] de mon impuissance.
Cela explique donc pourquoi la vitesse, instrument qui permet à l’Homme d’avoir une prise sur l’espace, a augmenté de manière concomitante sa puissance : elle peut rétrécir l’espace grâce à la vitesse.
Cette idée peut notamment être illustrée à travers l’ouvrage de Jules Verne, Le tour du monde en 80 jours. En effet, grâce à la vitesse, Phileas Fogg domestique le monde, le met à la portée de l’Homme, et réduit la spatialité de la Terre par la technique. Monsieur Stuart dit ainsi à Fogg :
Il faut avouer, (…) que vous avez trouvé là une plaisante manière de dire que la Terre a diminué ! Ainsi parce qu’on en fait maintenant le tour en trois mois…
Ainsi, la vitesse a été introduite par l’homme, et lui a permis de contrôler l’espace.
b. Dès lors, l’homme s’est attaché à lui vouer un culte
Faire l’éloge de la vitesse, c’est alors faire l’éloge des prouesses techniques humaines. Et de fait, la vitesse est valorisée, perçue positivement, à tel point qu’elle est transformée en divertissement, car elle fascine l’Homme : courses hippiques, automobiles, le sport…
Avec les innovations introduites au cours des révolutions industrielles, les sociétés contemporaines se sont appuyées sur la doctrine positiviste d’Auguste Comte, vouant un culte à la connaissance scientifique. Ainsi, l’Homme s’est détourné du sacré et fait la louange de la vitesse. En effet, autrefois le temps était organisé autour du clocher, des fêtes religieuses et des saisons (temps de moissons, semences, etc.) : le temps était scandé par le sacré (avec par exemple l’appel à la prière : muezzine, son du clocher…). Mais avec l’entrée dans la modernité, l’homme se détache du religieux et s’attache plutôt à vanter la technique, et donc à faire l’éloge de la vitesse.
Par exemple, Valéry Larbaud, dans Les poésies de A.O.Bababooth, écrit une « Ode », dans laquelle il loue le train de manière lyrique, car il lui permet d’accéder à des endroits qu’il n’aurait jamais pu atteindre sans lui, et donc de lui faire découvrir le monde :
Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,
Ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée,
Ô train de luxe !
Cette volonté de l’homme de gagner en vitesse peut notamment être illustrée par le capitalisme, système économique prônant la vitesse et dans lequel on valorise la production et la consommation de masse, par exemple avec la fast fashion, le tourisme de masse, ou encore l’organisation scientifique du travail. Cela mène à l’ère de l’instantanéité et de l’hyper-connectivité, marquée par une abolition de la distance : un simple clic sur Internet permet une mise en réseau du monde. Les Hommes cherchent ainsi à accélérer la diffusion d’information (ex : réseaux 5G) et à désenclaver les vides numériques, ce qui témoigne bien de ce culte voué à la vitesse.
Ainsi donc, l’homme fait l’éloge de la vitesse depuis sa création, car elle lui permet d’avoir une emprise sur l’espace et d’assouvir ses désirs.
2) Mais cet éloge est paradoxal : il prive l’Homme de l’indolence
a. En s’évertuant à faire l’éloge de la vitesse, l’homme est entrainé dans une course infernale sans fin, et devient incapable de voir la nature et son environnement
En effet, avec l’introduction de la vitesse, l’homme s’est lancé dans une véritable course vers l’accélération. C’est notamment ce que déplore Hartmut Rosa, dans L’accélération :
Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer.
En d’autres termes, l’Homme a introduit la notion de vitesse pour gagner du temps ; mais paradoxalement, cela lui a enlevé du temps libre. S’il est certes capable de réaliser des actions plus vite, les activités possibles ont augmenté, ce qui a accéléré le rythme de vie des individus, donnant alors l’impression à chacun de manquer constamment de temps. Ainsi, l’éloge de la vitesse a aspiré les individus dans une spirale d’accélération.
En conséquence, l’Homme ne prend plus le temps pour ralentir et perd, de fait, la capacité à observer la nature. Par exemple, Henry David Thoreau, dans Walden ou la vie dans les bois, critique l’idéologie du progrès. Pour lui, l’Homme devrait réinventer son rapport au temps et refuser de voir sa vie réglée par le rythme insoutenable du capitalisme. C’est entre autres pour cela qu’il décide de tourner le dos à la civilisation et de partir vivre seul dans les bois : pour retrouver cette harmonie perdue avec la nature, et par là, la plénitude de son être.
b. L’éloge de la vitesse est donc un éloge destructeur : il se fait au détriment de la nature, mais aussi de l’homme, qui devient alors au service de la vitesse
Avec l’introduction de la vitesse, le temps de l’homme est désormais dicté par les machines. Alors que le progrès technique avait originellement pour but de servir la vie de l’Homme, l’accélération induite par l’éloge de la vitesse a mené à une révolution, et c’est désormais l’Homme qui court derrière les machines, qui vont de plus en vite, et dont la cadence est inhumaine.
Cela est notamment visible dans le travail à la chaine de l’OST, introduite pat le fordisme et le taylorisme. Dans Expérience de la vie d’usine, Simone Weil dénonce ainsi la condition ouvrière de son temps : l’ouvrier est au service de la machine qu’il utilise, puisqu’il n’est pas celui qui produit, mais seulement un assistant à la machine qui réalise l’opération. Ainsi,
Les machines ne sont pas à lui ; il sert l’une ou l’autre selon qu’il en reçoit l’ordre. Il les sert, il ne s’en sert pas.
C’est notamment ce que met en scène Charlie Chaplin, dans la comédie Les Temps modernes. Il forge une critique de la condition ouvrière et du monde industrialisé de son époque. A travers une satire du travail à la chaine, il dénonce les gains d’efficacité imposés par les progrès techniques, qui astreignent les ouvriers dans un travail déshumanisant. Ainsi, l’éloge de la vitesse est un éloge dévastateur, car il détruit progressivement l’humain.
Arendt illustre cette idée en critiquant la société de consommation. Elle écrit dans la Condition de l’homme moderne que
Nous usons tout, nous consommons tout, nous ne laissons plus d’œuvres ni de monuments derrière nous, mais en revanche, nous nous consommons nous-mêmes irrémédiablement.
En effet, en consommant puis en jetant toujours plus, on perd la valeur réelle des objets. La volonté de l’homme d’atteindre le progrès a entrainé la perte d’importance de la sauvegarde d’autres ressources (que ce soit la nature ou même l’Homme lui-même), ainsi qu’à une disparition du lien qui pouvait exister entre les générations par le leg.
De fait, l’éloge de la vitesse se fait au détriment de l’Homme, car ce n’est plus une vitesse au service de l’Homme, mais l’Homme qui devient au service de la vitesse par son aliénation progressive à la technique. L’Homme perd donc sa force d’action et sa liberté : autrement dit, l’éloge de la vitesse, finalement, l’a enfermé dans l’immobilisme.
3) Finalement, le véritable éloge de la vitesse devrait plutôt être celui que la vitesse fait à l’Hommb
a. La vitesse sert à faciliter la vie de l’Homme, et permet à l’Homme de s’humaniser et de s’élever en se libérant du temps de l’urgence
En effet, l’introduction de la vitesse par l’Homme était à l’origine vouée à faciliter la vie humaine, pour réaliser des tâches fastidieuses de manière plus rapide, en vue de se dégager une marge de temps qu’il pouvait alors consacrer à ses plaisirs ou à l’étude.
Si l’on reprend le courant scholastique, seuls les clercs avaient le temps de s’abandonner à la skholè, c’est-à-dire « le temps libre et libéré des urgences du monde qui rend possible un rapport libre et libérés à ces urgences, et au monde » (Pierre Bourdieu, Métaphysiques pascaliennes). Cette oisiveté permettait à ces clercs de se consacrer à l’étude de textes religieux, car ils étaient libérés des contraintes matérielles, tâches qu’ils déléguaient aux autres catégories de la société.
Bien avant ce courant de pensée, Sénèque, déjà, dans L’éloge de l’oisiveté, faisait l’éloge de celle-ci (otium) comme activité de l’esprit. Il évoquait alors la nécessité de se détacher d’une activité physique trop intense et chronophage pour se vouer à un exil de la pensée visant à se déprendre des affaires et passions de la vie quotidienne. Dès lors, cultiver son oisiveté permet de se retirer, pour trouver dans la contemplation et la méditation une forme de bonheur.
Ainsi, l’homme devrait mettre à son service la vitesse pour se libérer du temps à consacrer à son élévation.
b. L’éloge auquel l’Homme devrait se consacrer serait, dès lors, celui de l’indolence
En effet, nombreux sont les philosophes qui, à rebours de l’éloge que la société fait à la vitesse, prônent plutôt un éloge de l’indolence. C’est notamment ce que défend Paul Lafargue, dans La droit à la paresse. En effet, pour lui, le travail est « la cause de toute la dégénérescence intellectuelle », et une « dégradation de l’homme libre ». De fait, le travail ne devrait seulement être qu’“un condiment de plaisir à la paresse” , et n’occuper que 3h par jour. Le reste du temps, nous pourrions le consacrer à “fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit”, c’est-à-dire que la paresse devrait être la norme.
C’est à ce titre que Bertrand Russell critique lui aussi le travail dans l’Éloge de l’oisiveté. Pour lui,
le fait de croire que le travail est une vertu est la cause de grands maux dans le monde moderne, et (…) la voie du bonheur et de la prospérité passe par une diminution méthodique du travail.
Face à une valorisation du travail, qui est un phénomène historique et culturel, il prône la diminution du temps travaillé, souhaitable et rendu possible justement par les progrès techniques. Il réalise alors un éloge de l’indolence, poussant l’Homme à effectuer un retour vers la lenteur, pour prendre le temps de se consacrer à l’étude et à son élévation, afin de lui rendre sa liberté.
Conclusion
Pour conclure, l’invention de la vitesse a enfermé l’Homme dans un éloge paradoxal qui s’est révélé destructeur. De fait, le véritable éloge de la vitesse ne devrait pas être celui que l’humain, asservi à l’accélération, ferait à la vitesse, mais à l’inverse, un éloge de l’Homme qui utilise la vitesse de sorte à s’élever.