« Babel » est une référence classique de Culture Générale, et constitue ainsi un sujet possible pour l’oral d’HEC qu’il faut donc analyser. Cet article vous fournit donc des références à connaître, ainsi qu’une proposition de plan pour le traiter.
Introduction
« Babel » renvoie bien sûr à l’épisode biblique de la construction de la tour de Babel. Notre réflexion partira donc de ce récit, qu’il est ainsi nécessaire de rappeler.
Cet épisode, qui se trouve dans le livre de la Genèse, se situe peu après le Déluge. Les hommes parlent alors tous la même langue, et décident de s’unir afin de bâtir une tour qui atteindrait le ciel. Dieu intervient alors pour interrompre cette entreprise, et punit les hommes : il les disperse dans divers endroits de la Terre, et créé différentes langues afin qu’ils ne se comprennent plus.
Le terme « Babel » est donc associé à une malédiction divine, mais témoigne surtout de la vanité de l’homme : en effet, en souhaitant bâtir une tour qui atteigne le ciel, ils cherchent à se faire les égaux de Dieu, geste pour lequel celui-ci les punit. Mais cette malédiction ne peut-elle alors pas être considérée comme une chance, là où elle pousse l’Homme vers la modestie ?
I. La malédiction divine permet à l’homme de retourner à sa condition modeste
Le projet de de la tour de Babel partait a priori d’une intention louable : celle de s’unir, en une communeauté des Hommes, autour d’un projet commun. Il constituait donc une belle preuve de solidarité. Dès lors, pourquoi Dieu a-t-il maudit et punit les hommes ?
Dieu condamne en fait ici la désobéissance des hommes. Ils souhaitaient conquérir le ciel : or, ce n’est nullement leur destin. Il condamne leur hybris, c’est-à-dire leur démesure, puisque leur entreprise était vaine car trop ambitieuse. La célèbre représentation de cet épisode biblique par Bruegel illustre cette démesure :
La tour écrase le paysage autour, et l’édifice domine tout l’espace. Les hommes ne sont alors plus que de minuscules personnages face à la grandeur de leur projet démesuré. Le châtiment donné par Dieu a donc un sens moral : il remet l’homme à sa juste place. La multiplication des langues fracture en effet la singularité que ressentait les hommes grâce à l’unité du langage.
Dans ses Pensées, Pascal souligne ainsi la propension des individus à s’éloigner de la juste mesure : les hommes se laissent en effet emporter par l’égoïsme et par une ambition démesurée. Le philosophe met ainsi en évidence la condition faible et limitée de l’homme face à l’immensité de l’univers. Pascal dévoile donc la propension des individus à se croire au centre de tout, et à surestimer leur propre importance. Dans une perspective religieuse, il souligne alors l’importance de la modestie : l’homme n’est rien par rapport à la grandeur de Dieu. Autrement dit, l’Homme n’est pas si singulier : il ne peut pas se mesurer avec la divinité.
La gravure dessinée par Gustave Dorée illustre bien ce propos : on y voit un groupe d’hommes au premier plan, dont l’un tend les bras vers le ciel, anéanti par le châtiment de Dieu qui l’a ainsi remis à sa juste condition d’homme.
Enfin, Aristote, dans l’Ethique à Nicomaque, met en garde contre les comportements démesurés et excessifs. Il qualifie ces types de comportement de «vices de l’excès » . La vertu morale se situe selon lui dans un juste milieu, c’est-à-dire dans la capacité de trouver un équilibre entre les extrêmes. Ainsi, comme l’écrivait Héraclite,
Il faut éteindre la démesure plus encore que l’incendie.
Bien que le châtiment divin consacre donc la perte de l’unité et d’une langue universelle, il peut donc aussi se percevoir comme une chance.
II. Finalement, la diversification des langues et la dispersion des hommes sur la terre crée un heureux désordre
La multiplication des langues signifie en effet également la multiplication des possibles, et donc la possibilité même de développer des cultures.
Ainsi David Crystal, dans La mort du langage (2000), aborde la question de la diversité linguistique et culturelle. L’auteur met alors en évidence la forte corrélation entre la diversité linguistique et la diversité culturelle. Il démontre l’importance de la diversité linguistique pour maintenir la richesse et la variété des cultures humaines. On peut également s’aider de cette citation :
Une langue différente est une vision de la vie différente.
Federico Fellini
Si une langue unique permet donc certes de rapprocher les hommes, elle va aussi de pair avec une pensée unique. On peut donc y percevoir le spectre de l’utopie totalitaire, que Kafka dénonce ainsi :
Au début, il y avait de nombreuses langues, puis comme une punition, Dieu a donné au monde une seule langue. Et puis ils ont cessé de se comprendre.
Kafka
La tour de Babel a d’ailleurs été un emblème de cette utopie totalitaire dans certaines œuvres du XXème siècle : le film Metropolis (1927) de Fritz Lang en est un très bon exemple. Ce film de science-fiction met en scène une cité futuriste, au centre de laquelle se trouve une gigantesque tour, siège du pouvoir. Ceux qui construisent la ville, quant à eux, vivent sous terre : ce sont les ouvriers. On retrouve donc une séparation stricte entre ceux qui ont le pouvoir et qui font les choix, et ceux qui obéissent et exécutent ce qu’on leur dit. Metropolis dépeint donc le leurre d’une ambition humaine démesurée, qui a pour conséquence l’anéantissement de la pensée. Punir les Hommes pour la tour de Babel représente donc une chance de délivrer la pensée.
III. L’heureux désordre suite à Babel comme chance de délivrer la pensée
La multiplication des langues engendre en effet la multiplication de potentielles pensées : cela oblige à chercher de nouveaux sens aux choses et à la vie.
Benjamin Lee Whorf, dans Le langage, la pensée et le réel (Language, Thought and Reality), expose ainsi la théorie de la relativité linguistique, selon laquelle la langue que nous utilisons influence notre perception de la réalité et notre façon de penser. L’auteur suggère que les différences structurelles entre les langues peuvent entraîner des variations dans la façon dont chacun conceptualisent la réalité.
Ainsi, la diversité linguistique conduit à une diversité de points de vue et de schémas de pensée. Cette théorie a de fait contribué à mettre en évidence l’importance du langage dans la formation de la pensée et à souligner l’étroit lien entre la diversité linguistique et la diversité de la pensée.
Au temps de Babel, tout avait un unique sens, que ce soit au sein du langage, ou de l’ambition de conquérir le ciel. La multiplication des langues ouvre alors la voie à d’autres sens, c’est-à-dire à la multiplication des possibles. L’espace de la littérature et de la poésie, notamment, se trouvent élargis par ce décuplement de langues, c’est-à-dire par la création de nouveaux mots. Cette multiplication des langages est donc une source de création pour l’art :
Qui délivre le mot, délivre la pensée.
Victor Hugo
Conclusion
Le châtiment divin qui suit Babel et la démesure humaine qui s’y exprime peut donc être une chance pour l’humanité. La diversification des langues offre la possibilité d’inventer une nouvelle unité, mais aussi de développer des cultures et des pensées complexes.