Protagoras

Voici une brève présentation des idéaux de Protagoras, un des sophistes les plus influents de l’Antiquité, ainsi qu’un éclairage sur leurs comparaisons avec ceux de Socrate, Platon et Aristote, tous trois ayant contribué à l’appellation « d’âge d’or » pour parler de la Philosophie antique.

Que nous dit le Protagoras de Platon ?

Si très peu d’éléments sont connus de la vie de Protagoras, un écrit éponyme fut laissé par Platon, intitulé Protagoras. Dans ce texte, le philosophe nous fait part de son avis sur l’opposition fondamentale entre le sophisme et la philosophie, qui diffèrent fondamentalement dans leurs approches de la vérité. Il y fait également part du point de vue de son adversaire idéologique, Protagoras.

Les sophistes tels que Protagoras considéraient que la vérité était relative, en fonction des perceptions individuelles et des contextes culturels. Selon eux, il n’existe pas de vérité objective universelle, mais plutôt une multiplicité de vérités qui varient d’un individu à l’autre et d’une société à l’autre. En revanche, la philosophie cherche à découvrir des principes universels et la vérité objective, indépendante des opinions subjectives.

Ne dit-on pas que « le sage sait qu’il ne sait point » ?

Protagoras est connu pour sa théorie du relativisme. Selon lui, « l’homme est la mesure de toute chose ». Cela signifie que toutes les idées se valent, car les pensées et les idées sont relatives, c’est-à-dire qu’elles émergent toujours dans un contexte donné et ne sont pas absolues.

Ces croyances découlent en effet de notre immersion dans des pratiques culturelles et il nous est donc impossible de porter des jugements, que ce soit à propos de notre voisin, des autres régions du monde ou des mœurs du passé, car l’on possède les valeurs de nos habitudes, et non un recul impartial pour juger celles des autres. Le relativisme reconnaît donc la pluralité des conceptions et renonce à chercher le sens ultime de la vérité, qui n’appartiendra pas à ce monde.

Plus qu’une attaque, une remise en cause de la philosophie

À chacun sa vérité alors ? Certes. Mais dans une moindre mesure. Le discours qui fait consensus dans une société est toujours celui qui sera perçu comme le plus vrai. La vérité, selon Protagoras, c’est l’utilité : il faut assumer d’être guidé par des choses qui n’ont de sens que pour nous, qu’à notre échelle. En quoi théoriser un monde intelligible platonicien nous aide au quotidien, même s’il existe réellement ? « Des dieux, je ne sais ni s’ils sont ni s’ils ne sont pas » (fragment rapporté par Sextus Empiricus).

Par son agnosticisme, le sophiste peut sembler, à nos critères, plus « rationnel » que Platon. Si l’on considère la raison comme la capacité de reconnaître les limites de notre savoir et de s’adapter à la diversité des perceptions humaines, alors le relativisme dont fait preuve Protagoras peut sembler paradoxalement plus en phase avec une rationalité pragmatique et réaliste. En revanche, la pensée platonicienne, centrée sur la quête de la vérité absolue, peut être perçue comme dogmatique et idéaliste.

Le dialogue comme seul exutoire

Pour autant, la rhétorique et l’art de convaincre étaient des outils essentiels pour les sophistes. Ils se concentrent plus sur la forme de l’argumentation que sur le fond, et souvent en manipulant les croyances des individus pour persuader leur auditoire, soi-disant grands « défenseurs d’opinions » alors qu’ils ne croyaient pas eux-mêmes.

Cela se distinguait de la philosophie, où l’accent était mis sur la recherche de la vérité par la réflexion, la dialectique et l’examen critique des idées. Socrate, par exemple, utilisait le dialogue pour pousser ses interlocuteurs à examiner leurs croyances et à arriver à des conclusions basées sur la raison plutôt que sur la simple conviction ou la manipulation rhétorique.

La remise en cause de cette critique : l’approche scientifique de la philosophie

Platon, pour sa part, rejetait les sophistes et leur relativisme. Pour lui, les sophistes se contentent de donner l’apparence de la vérité sans jamais la chercher réellement. Il croyait en l’existence de vérités éternelles et immuables, qu’il découvrait à travers la théorie des Idées. Et c’est cette recherche de vérité qui a poussé la recherche scientifique. On théorise d’abord sur l’existence d’un concept avant que l’on puisse réellement le trouver. Se tromper sur des notions abstraites ou faire des erreurs expérimentales faisait partie intégrante du processus de découverte.

À cette même période, les philosophes étaient pour la plupart également mathématiciens et on sait que la logique, notamment celle des théories scientifiques, est objective. Aristote, quant à lui, adoptait alors une approche systématique et empirique de la connaissance, en mettant l’accent sur l’observation et l’analyse des phénomènes.

Rappelons aussi qu’en dépit de ceux qui invoquent à qui veut l’entendre, il existerait une opposition fondamentale entre les Lettres et les Sciences, la Philosophie est et restera toujours la mère des mathématiques, car elle constitue l’approche la plus ancienne et la plus logique de l’analyse des phénomènes observables.

Philosophes et sophistes, les deux faces d’une même pièce ?

Durant l’âge d’or, les philosophes, dans leur quête de vérité, ont parfois manqué de raisonnabilité en croyant aveuglément à certaines idées afin de faire évoluer leurs réflexions. Les sophistes, dans leur quête d’utilitarisme, ont quant à eux plus cherché à persuader les foules qu’à les convaincre, au risque de manipuler les perceptions et de fausser les résultats d’une société qu’ils voulaient pourtant, in fine, plus pragmatique. Les deux camps ont leurs torts et, pourtant, ils ne sont pas si différents.

Tous deux ont cherché à comprendre l’homme, à structurer sa pensée et à orienter ses choix, chacun à leur manière. Là où les sophistes ont mis en lumière la force du langage, l’importance du contexte et de la forme, les philosophes ont cherché la force de la raison, la portée du concret, du fond. Le Logos, signifiant langage et raison, nous rappelle que les deux disciplines n’en forment qu’une seule, que l’une sans l’autre serait incomplète.

Sans les sophistes, la philosophie risquerait l’abstraction pure, coupée de la réalité et persuadée d’être à tort affranchie des biais humains. Sans les philosophes, le sophisme sombrerait dans des joutes verbales infinies et sans réels buts, personne ne croyant réellement en ce qu’il défend. C’est de cette tension que naît la richesse de la pensée antique et peut-être, encore aujourd’hui, celle de toute pensée humaine.