Selon la psychologue Vanessa Lalo dans une interview donnée pour France Culture, « c’est devenu systématique dans les médias, on explique les tueries par les jeux vidéos » ; aux États-Unis, Donald Trump a par exemple dit vouloir « stopper la glorification de la violence dans notre société. Cela inclut les jeux vidéos dégueulasses qui sont devenus la norme » .
La violence des jeux vidéo est un argument qui est notamment mis en avant pour expliquer le passage à l’acte du tueur suite aux mass shootings. Ainsi, on comprend que certains considèrent que les jeux vidéos exacerbent la violence des joueurs. Ils seraient un danger et encourageraient les gens à reproduire cette violence dans la réalité, n’ayant pas conscience de son impact effectif. Nous allons donc étudier les jeux vidéo sous l’angle de la violence virtuelle et de ses répercussions réelles. C’est un thème de CG très intéressant en vue des concours 2024, qui approchent à grand pas !
Isolement et perte de la conscience d’autrui
D’après Michel Nachez et Patrick Schmoll, dans « Violence et sociabilité dans les jeux en ligne », Sociétés, les jeux en ligne sont omniprésents dans les relations interpersonnelles chez les plus jeunes. Ils en constituent un vecteur d’importance croissante. En 2003, peu d’études avaient encore fait part des risques d’isolement et de désocialisation avec l’environnement proche engendrés par l’utilisation très fréquente des jeux vidéo. Toutefois, on peut dire que les joueurs les plus « accro » vivent en un sens dans un monde artificiel, déconnecté de la réalité.
Alors, les joueurs peuvent se trouver aliénés, réduits à des personnages interchangeables, dépourvus de ce qui fait leur nature humaine : leur personnalité. Cela fait écho au domaine d’études sociologiques des « Hikikomori » au Japon, qui sont des gens qui passent plus de six mois enfermés dans leur chambre, sans jamais sortir. C’est un phénomène psychosocial assez répandu dans le pays, surtout chez les hommes. Je vous invite à aller en lire davantage.
Nachez et Schmoll soulignent un risque de déphasage par rapport aux relations réelles. Les joueurs peuvent développer l’impression que les relations dans le monde réel sont inutile, d’autant plus avec l’émergence des bots (personnages guidés par intelligence artificielle), qui obéissent au doigt et à l’œil à l’utilisateur, et constituent un interlocuteur disponible en permanence.
C’est pour cela que l’OMS a déjà évoqué le concept de « gaming disorder ». Étudions ces conséquences sur la perception et l’expression de la violence chez les joueurs de jeux vidéos.
L’agressivité déréalisée et normalisée par les jeux vidéo
Comportements virtuels violents et normalisation des affects agressifs
La violence comme matrice des rapports sociaux en ligne
À en croire Michel Nachez et Patrick Schmoll dans « Violence et sociabilité dans les jeux en ligne » (Sociétés, 2003), certains jeux vidéo offrent une surexposition à la violence. Les altercations physiques violentes représentent une grande majorité des contacts avec les autres avatars :
L’agression y est, via des jeux tels que Quake, Duke Nukem, Hexen, ou Counter-Strike, la forme de la confrontation à l’autre la plus fréquemment mise en scène, avec un luxe de détails infographiques, qui dans le découpage des corps à coup de laser ou de hache médiévale, ou l’explosion à coup de mortier des adversaires dont les tripes vont se scotcher aux murs environnants, le réduisent la plupart du temps à un objet de satisfaction des pulsions les moins élaborées.
Une surexposition à la violence, vectrice d’agressivité
À la fin de cette citation, Nachez et Schmoll mettent en avant la conséquence de cette exposition à la violence : les joueurs expriment leurs pulsions brutales (on peut voir ici une référence à la psychanalyse de Freud [mettre le lien]) et celles-ci emplissent leur être pour leur procurer un sentiment d’accomplissement. Selon l’article « Violence, crimes et jeux vidéo violets : le point sur la question » paru dans L’information Psychiatrique en 2015, jouer à deux jeux vidéo violents est susceptible de rendre plus fortes et fréquentes les pensées agressives, ou « affects agressifs ».
L’effet des jeux vidéos serait particulièrement important chez les enfants et les adolescents. Certains experts évoquent même des risques de schizophrénie :
Ces résultats étaient en accord avec une étude contemporaine qui concluait que les individus percevaient le monde de manière plus négative ou hostile, et qu’ils étaient désensibilisés à la violence en plus d’être moins empathiques.
Méta-analyse de Anderson et Bushman, 2001.
Cela permet d’en venir au rapport qu’entretiennent les joueurs de jeux vidéo violents avec la brutalité du monde réel.
Une dédramatisation de la violence rendue inoffensive
La finesse de la frontière entre le jeu et la réalité
Cette frontière est d’autant plus fine avec les technologies 4D et de réalité virtuelle qui existent maintenant. Ces éléments dévoilent en effet une dimension spatio-temporelle brouillée dans l’esprit du joueur. Ce dernier est soumis à une confusion et peut ne plus différencier la partie de jeu de sa journée dans la vie réelle. Selon Nachez et Schmoll, le joueur peut donc prendre son monde réel pour un terrain de jeu et y appliquer les mêmes mécanismes d’attaque et de défense que ceux qu’il utilise dans le jeu en ligne.
Dès lors, c’est la question de la déréalisation de la violence qui est au cœur des débats. Selon l’article de L’information Psychiatrique, les joueurs sont plus enclins à répéter les comportements fictionnels dans la vie réelle, du fait de la « désinhibition » de la violence induite par les jeux en ligne ainsi que la promulgation de la violence.
À long terme, certains experts parlent de possibles changements des croyances, des valeurs, de l’attitude face au monde et face à la violence en particulier, laquelle ils ne remarquent plus. La violence ne les choque plus.
Comment expliquer cette dernière acception ?
Si l’on a déjà pris connaissance des études en rapport avec le spectacle de la violence sur grand et petit écrans (voir article – L’image de la violence populaire dans les médias), les jeux vidéos participent à alimenter cette exposition à la violence, comme expliqué précédemment.
À cette démonstration de violence vient s’ajouter un paradoxe, celui du plaisir, de la satisfaction ressenties à tuer l’avatar de l’autre tandis que lorsque d’autres heurtent notre avatar, on ne ressent rien. Ce paradoxe n’engage pas de prise de conscience des dommages de la violence physique. Il y a une rupture avec les jeux d’affrontement dans le monde réel (comme le sport par exemple) car en ligne on ne sent plus les limites physiques du corps qui sont dépassées lors du combat réel. Dans le sport, « plaies et bosses sanctionnent l’erreur et marquent le rapport différencié à l’autre. »
Ainsi, les deux éléments cités précédemment se combinent et empêchent le joueur de prendre la mesure de l’impact réel de la violence. Cette dernière est dédramatisée, déréalisée et introduite dans la norme. Nachez et Schmoll utilisent une comparaison intéressante : tout comme le pilote d’avion de chasse ne voit pas l’humain qui constitue sa cible. Il vise seulement un point clignotant sur son tableau de bord tout comme le joueur en ligne agit « hors sol » :
Dans les jeux vidéo, éclater à coup de mortier ou de barre à mine le personnage d’un adversaire, qui peut être indifféremment un programme géré par l’ordinateur ou « l’avatar » d’un joueur réel, procure généralement un sentiment de plaisir non dissimulé, alors qu’a contrario, la mort de son propre personnage n’est pas vécue physiquement comme telle : on ne meurt pas réellement et on n’a même pas mal.
Finalement, Nachez et Schmoll parlent d’une « pratique asceptisée » de la violence dont le danger est qu’elle soit reproduite en vrai.
Les jeux vidéo comme miroir des pratiques de guerre contemporaines
Nachez et Schmoll décrivent enfin les jeux vidéo d’affrontement comme le « paradigme de la guerre moderne ». Ils font référence au wargame de la Guerre du Golfe que CNN avait retranscrit en direct. La violence n’y avait pas été exposée directement, les médias n’avaient pas insisté sur les traces physiques de celles-ci, mais avaient plutôt présenté un grand échiquier sur lequel des petits soldats sans identité s’affrontaient pour gagner le pouvoir.
Mais les jeux vidéo sont-ils toujours propices à exacerber la violence ? Les avis divergent sur la question.
Les jeux vidéos, inhibiteurs des pulsions violentes
Un phénomène cathartique
Les jeux vidéos permettent de s’échapper du monde réel, ce que les premières parties de l’article décrivent comme la raison de la déréalisation de la violence qui peut cependant également, selon certains experts, constituer un moyen de calmer les pulsions des joueurs en les exécutant virtuellement. Ainsi, les jeux permettraient de prévenir les comportements violents dans le réel. Les jeux vidéos permettraient une meilleure adaptation au monde par le processus de la catharsis (purgation en grec).
Aristote explique, au sujet de la catharsis, que, lorsque l’on se grâce à une fonction, le cerveau a conscience que c’en est une. Toutefois, même s’il y a ce subconscient, une partie de l’esprit adhère suffisamment pour oublier momentanément que c’est une fiction. Ce phénomène s’appelle la « suspension volontaire d’incrédulité », qui fait que l’homme éprouve des passions, des émotions face aux scènes vues.
Dans le cadre d’un tel divertissement, les affects sont éprouvés à distance, et non comme dans la vraie vie où cela nous paralyse, nous empêche de réfléchir. Au contraire, les émotions à distance nettoient l’âme, la purgent et peuvent donc aider à rétablir l’équilibre intérieur. Cet équilibre évite les accès de violence.
Ainsi, les jeux vidéo constitueraient une forme d’utilisation des mondes possibles, fictifs pour expérimenter des choses inimaginables dans le monde réel (ici les actes violents).
Le divertissement comme rempart à la haine
Selon une étude australienne de Durkin & Aisbett réalisée en 1999, la compétition et les affrontements dans les jeux en ligne sont une source de plaisir et de motivation pour les joueurs. Les parties de jeu sont prétexte à des échanges nombreux, des rires et « peu d’agressions ouvertes, verbales ou physiques, entre joueurs » (Nachez et Schmoll). Ainsi, la « signification » des combats dans les jeux se modifie et n’induit pas nécessairement de haine. Selon Vanessa Lalo, les études récentes parlent surtout d’une « agressivité latente » en lien avec les jeux qui n’est pas de la violence à proprement parlé et ne se répercute pas dans la vie réelle.
Conclusion
Nous avons étudié les jeux vidéos comme origine de l’exacerbation des comportements violents et de l’expression des pulsions brutales. Ils conduisent à une normalisation voire à une déréalisation de la violence du monde réel et sont symptomatiques de notre temps.
Pourtant, certains experts leurs reconnaissent des vertus apaisantes, cathartiques et expliquent que les jeux vidéo rendent la plupart des joueurs heureux de partager leur expérience avec autrui. J’espère que cet article te sera utile dans le cadre de tes révisions pour les concours 2024.
N’hésite pas à aller consulter tous nos articles de culture générale relatifs au thème de CG 2024 – la violence.