Si la violence morale est souvent sous-estimée vis-à-vis de la violence physique, l’œuvre de Kafka redonne toute son importance à celle-ci, ainsi qu’à la violence psychologique, notions que tu pourras utiliser dans ta dissertation de Culture générale sur le thème de la violence.

Dans cet article, on va surtout s’appuyer sur deux des œuvres de Kafka : La Métamorphose (1915), qui est un incontournable, ainsi que La Lettre au père (1919).

Résumé des œuvres

La Métamorphose

La Métamorphose est un récit fictif dans lequel Gregor Samsa, un jeune commercial, se réveille un matin transformé en un répugnant cloporte, tout en ayant gardé toute sa conscience humaine. Sa famille est alors effrayée et pleine de dégoût pour son apparence physique, et le maintient caché dans sa chambre, où il vit reclus comme un véritable insecte.

Cette longue déshumanisation se termine par la mort de Samsa, blessé tant moralement que physiquement par le rejet de ses proches. Si tu veux un résumé et une analyse plus détaillés de La Métamorphose, je te renvoie à cet article.

Lettre au père

Il s’agit d’une lettre que Kafka destine à son père, mais qui ne lui fût jamais remise. Il y fait un véritable procès : l’auteur analyse les relations conflictuelles qu’il entretient avec son père, ainsi que son éducation stricte et traditionnelle.

Durant toute sa vie, sous l’emprise paternelle, il n’a jamais cessé d’éprouver un mélange d’admiration et de haine envers son progéniteur, qui l’a poussé à une constante recherche de son approbation, en vain. Comment ces deux oeuvres peuvent-ils t’être utiles pour tes dissertations sur “La violence” ?

La violence morale comme atteinte à la dignité humaine chez Kafka

Un défi envers l’intégrité d’une personne

La violence morale est une violence qui nuit à l’intégrité morale, à l’honneur et à la considération sociale d’un individu. Or, dans La Métamorphose, Gregor Samsa est totalement déshumanisé par son entourage, qui, saisi d’horreur et de dégoût, le fuit et le cloisonne dans sa chambre. S’il conserve une conscience propre, sa famille lui retire totalement sa valeur d’être humain, en ne se référant qu’à sa transformation physique, faisant ainsi fi de toute considération morale à son égard.

C’est ici le propre des violences psychologiques, qui s’appuient souvent sur des caractéristiques différenciatrices, comme la condition de la personne (handicap, sexe, origine sociale), l’identité culturelle (ethnie, couleur, religion), ou encore les idées et actes d’une personne. Ainsi, son entourage est porté par une vision et un mécanisme d’exclusion qui va jusqu’à la déshumanisation complète de Samsa.

“La bête” : le procédé déshumanisant de la violence morale chez Kafka

Sans même chercher à comprendre leur fils ou leur frère, ils le dépossèdent d’abord en vidant notamment peu à peu sa chambre. Puis ils en viennent à l’appeler « das Tier », c’est-à-dire « la bête », et l’abandonnent à une vie isolée, reclus dans la saleté et la pénombre de sa chambre.

Cette répugnance vis-à-vis de ce cloporte qui fut autrefois leur fils, est révélateur d’un véritable mécanisme de négation de l’humain en l’autre. Il se conclut par un enfermement, puis l’extermination de l’altérité, montrant que la violence morale, chez Kafka, s’exprime par la présence d’une hiérarchie entre les êtres.

Une violence morale sous-jacente et représentative d’une hiérarchie

En effet, dans sa Lettre au père, Kafka montre à quel point il est terrifié par celui-ci. La violence morale se fonde ainsi sur une structure hiérarchique, qui sert à l’individu dominant de justification pour user de cette violence.

La Lettre au père de Kafka comme symbole de la dénonciation de la hiérarchie

Ainsi, dans cet ouvrage, alors même que Kafka critique l’éducation trop stricte et autoritaire de son père, il ne cesse de se rabaisser et de répéter à quel point il est inférieur à cette figure paternelle, qu’il décrit toute puissante. On voit donc bien que Kafka est tellement effrayé et traumatisé par la violence morale de son père qu’il n’arrive plus à être totalement cohérent : il va même jusqu’à s’attribuer l’entière responsabilité de l’état de leur relation.

On peut ainsi considérer que le père de Kafka a exercé une violence morale envers son fils, Kafka ayant perçu cette relation comme un acharnement exclusif envers lui, puisqu’il raconte que son père se comportait et s’exprimait différemment avec les autres. Il tire de cette expérience un profond sentiment d’injustice et d’incompréhension. Par exemple, son père n’appliquait pas les ordres qu’il donnait lui-même à son fils :

Il s’ensuivit que le monde se trouva partagé en trois parties : l’une, celle où je vivais en esclave, soumis à des lois qui n’avaient été inventées que pour moi et auxquelles par-dessus le marché je ne pouvais jamais satisfaire entièrement, sans savoir pourquoi ; une autre, qui m’était infiniment lointaine, dans laquelle tu vivais, occupé à gouverner, à donner des ordres, et à t’irriter parce qu’ils n’étaient pas suivis ; une troisième, enfin, où le reste des gens vivait heureux, exempt d’ordres et d’obéissance.

Mais si Kafka différencie ces “trois parties” du monde, c’est notamment parce que la violence morale est d’abord invisible, sous-jacente, ce qui s’explique en partie par le sentiment d’infériorité et d’illégitimité éprouvé par l’individu soumis.

L’invisibilité de la violence morale

Kafka reconnait en effet la faiblesse dont il était doué lorsqu’il était enfant, face à ce père tout-puissant qui n’accepte pas la remise en question de son autorité :

Avec cette voix basse, enrouée et effrayante, qui exprime la colère et la condamnation totale et qui me fait moins trembler aujourd’hui que dans mon enfance, parce que le sentiment de culpabilité́ exclusif ressenti par l’enfant est remplacé́ en partie par une certaine connaissance de notre détresse à tous deux.

Mais cette violence morale est d’autant plus pernicieuse qu’elle a de multiples conséquences. Ainsi, Kafka a tiré de cette expérience de domination paternelle une piètre opinion de lui-même, qui se révèle dans toutes ses œuvres : dans La Métamorphose, Kafka s’identifie au cloporte, véritable parasite de la famille, un être inutile qui n’est pas voulu.

Un autre exemple des conséquences de cette violence morale est visible dans la Lettre, lorsque Kafka dit avoir perdu l’usage même de sa voix par traumatisme et peur de son père :

L’impossibilité́ d’avoir des relations pacifiques avec toi eut encore une autre conséquence, bien naturelle en vérité : je perdis l’usage de la parole (…). Très tôt, cependant, tu m’as interdit de prendre la parole : « Pas de réplique ! », cette menace et la main levée qui la soulignait m’ont de tout temps accompagné (…). Je pris une manière de parler saccadée et bégayante, mais ce fut encore trop pour ton goût et je finis par me taire, d’abord par défi peut- être, puis parce que je ne pouvais plus ni penser ni parler en ta présence. Et comme tu étais mon véritable éducateur, les effets s’en sont fait sentir partout dans ma vie.

On comprend donc que le propre de cette violence morale est de se transmettre à travers le temps, c’est à dire de subsister tout en adoptant des formes diverses.

Une violence psychologique qui se transmet et qui transforme

Les conséquences de cette violence psychologiques dépassent alors la victime. En effet, poussée à l’extrême, la violence morale est révélatrice du caractère et de la nature de l’individu violent.

Cela se voit notamment dans La Métamorphose, puisque Samsa garde son humanité et sa sensibilité durant tout le roman : malgré son apparence de bête, et la déshumanisation que sa famille perpétue à son encontre, il conserve sa dignité, et continue à les aimer et à souhaiter leur bonheur. Il souhaite, par exemple, gagner de l’argent pour pouvoir payer les études de musique de sa sœur, et fait exprès de se cacher pour que ses parents n’aient pas à souffrir de sa vue, qu’il sait répugnante.

Dès lors, la véritable métamorphose semble être celle de sa sœur et de sa famille, qui sont ceux qui perdent leur humanité, en abandonnant à la mort leur propre frère et fils.

Conclusion

Dans l’oeuvre de Kafka, la violence morale porte atteinte à la dignité humaine et à sa considération sociale, et s’appuie sur des fondements hiérarchiques, et des rapports de force inégaux. Les relation stigmatisantes peuvent ensuite avoir des conséquences marquantes et déterminantes pour leurs victimes, ce type de violence étant d’autant plus pernicieux qu’il est souvent peu visible, contrairement à la violence physique.