violence

Dans Vous n’aurez pas ma haine, Antoine Leiris propose une forme d’autobiographie en racontant les semaines déchirantes qui ont suivi le drame des attentats du Bataclan, dans lesquels le père du petit Melvil a perdu sa femme. Ayant vécu l’impensable, Antoine Leiris s’est d’abord exprimé à travers une lettre ouverte sur Facebook, scandant à pleine voix que les terroristes n’auraient jamais sa haine. Cet ouvrage offre une réflexion poignante sur la violence du deuil et sur la manière d’en parler, notamment à un enfant. Antoine Leiris prône aussi la tendresse et l’espoir pour se relever. C’est donc un bel exemple pour l’épreuve de Culture Générale 2024.

Dans cet article, nous décrirons les conséquences de la violence qui est au départ physique, mais qui se ressent psychologiquement par les victimes collatérales du crime. Nous nous questionnerons aussi sur la manière dont il est possible de répondre à la violence sans lui céder.

La violence comme agression psychologique

Définir la violence vécue par la famille Leiris

La violence qui nous intéresse ici peut être définie de deux manières intrinsèquement liées entre elles :

  • la violence exprimée par les terroristes lors du Bataclan est une violence brutalisée, atroce, qui conduit au meurtre. Elle est tangible et ressentie physiquement. La violence qui retentit dans le foyer d’Antoine Leiris est donc le « caractère de ce qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense, brutale et souvent destructrice » (Larousse) ;
  • la violence des émotions qui traversent Leiris, qu’elle provienne de sa rage intérieure, de l’incompréhension de son fils ou de la compassion accablante de ses proches. La violence est ici le « caractère extrême d’un sentiment » (Larousse).

Le style d’écriture de Leiris est celui d’une âme paralysée par la violence

La relative simplicité des termes utilisés appuie l’émotion que l’on ressent dans chaque mot formant le texte. Chaque syllabe est une décharge émotionnelle qui plonge le lecteur plus avant dans la dureté du combat humain contre l’atrocité.

Il y a très peu de dialogues, mais beaucoup de descriptions approfondissent notamment les perceptions intérieures. Ceci montre la déconnexion de la réalité que ressent Antoine après avoir été assommé par le crime. C’est comme si la moindre parole d’un autre était une tempête qu’il veut éviter.

On comprend déjà ici que le coup asséné à Antoine Leiris par la violence indirecte est brutal, il le transperce. Comment alors décrit-il son ressenti suite au 13 novembre 2015 ?

L’omniprésence de la violence suite au drame

Faire face à l’atrocité : le choc du drame

Antoine Leiris décrit la brûlure qui se creuse en lui lorsqu’il comprend qu’il est impuissant face à l’horreur. C’est tout l’environnement qui l’entoure qui agonise lorsque l’atrocité est commise. Il utilise d’ailleurs la métaphore de la ville de Paris qui « crie » désespérément le soir des attentats. 

La peine le heurte physiquement, brouille ses sens et sa pensée. La notion du temps est altérée, il n’y a plus de fil conducteur dans la vie de Leiris, car il a l’impression que les instants lui tombent dessus. En vérité, plus rien n’a d’importance à ses yeux, si ce n’est l’être perdu et ceux qui restent à préserver de la violence (ici, Melvil).

Lorsqu’un ami qui était au Bataclan lui raconte en détail le soir du meurtre, il trouve le courage de se confronter une nouvelle fois à la violence. Antoine n’a pas vécu la scène violente en première personne et pourtant, elle l’assaille d’autant plus. C’est pour cela que l’on peut parler de victimes indirectes de la violence.

« J’attends, moi aussi. Une sentence. Quelques hommes en colère ont fait leur verdict à coups d’armes automatiques. Pour nous, ce sera la perpétuité. »

Pourtant, en réalité, il explique que ce ne sont pas tant les modalités de l’horreur qui attristent, l’intensité de la violence qui a été mise dans le geste inhumain à l’encontre de sa femme, mais plutôt la brutalité de la perte de l’être aimé en elle-même.

« Les armes, les balles, la violence, tout ça n’est que le décor de la scène qui se joue réellement, l’absence. »

Ainsi, l’acte d’atrocité commis à l’encontre d’Hélène transperce son mari et le laisse anéanti. Cela montre que la violence se répercute sur les proches de ceux qui la vivent en première personne.

La violence de l’environnement social, entre compassion et ignorance

La violence n’est pas commise à un instant T pour se volatiliser ensuite, elle est une effraction qui laisse de profondes plaies béantes en l’individu qui en reçoit les bris. A fortiori, la violence se retrouve aussi dans tout ce qui l’entoure et le bouscule, dans ses rapports sociaux, dans le monde extérieur qui le renie tout en le faisant suffoquer.

La compassion est une nouvelle agression

À travers l’ouvrage d’Antoine Leiris, on comprend que vouloir entrer dans l’intimité du violenté pour l’aider, comme le font ses proches suite à la mort de sa femme, c’est parfois le violenter une seconde fois. L’individu traumatisé peut avoir le sentiment qu’autrui cherche à lui arracher sa peine. Le « comment ça va » de ses proches n’a plus la saveur de la politesse, mais bien d’une fouille archéologique dans les profondeurs du chagrin.

Après la violence suit le pansement physique et psychologique, tout ce qui est censé refermer les entailles. Or, c’est une nouvelle agression. À ce titre, l’aide que proposent les mamans de l’école, qui préparent à tour de rôle à manger pour Melvil, est violente. Antoine interprète ce geste comme la preuve de son incapacité à endosser le rôle de « mère ».

« À la crèche, chacun porte un masque. C’est le carnaval des morts. »

L’indifférence du monde autour

Antoine Leiris décrit aussi les procédures administratives qui terrassent le chagrin avant même qu’il puisse s’exprimer de façon « pure et détachée ».

In fine, le plus difficile n’est pas le comportement de ses proches, mais bien la prise de conscience que la vie continue hors de sa sphère personnelle, que l’assassinat est déjà oublié dans le monde autour. L’attentat n’est qu’un des multiples « films d’horreur » vus par les habitants de Paris. Pourtant, Antoine Leiris ne pourra jamais passer au film suivant.

L’œuvre de Leiris décrit donc une forme de violence invisible qui se trouve dans le monde entourant ceux qui ont été violentés.

L’insouciance de l’enfance contre la violence du deuil

Si Antoine Leiris ressent pleinement la violence du crime perpétré envers sa femme, son fils Melvil en pâtit aussi. Le petit garçon transpire le manque de sa maman, mais il ne le comprend pas. Il expérimente son premier chagrin sans en comprendre pleinement la nature. L’expérience du deuil est pour lui bien différente de celle des adultes. Antoine Leiris cherche à communiquer la gravité de la violence à son fils, mais il ne peut pas le faire par les mots.

« Je veux qu’il entende, l’oreille collée à ma poitrine, ma voix lui dire mon chagrin. »

Pour autant, il est vrai que l’enfant garde une grande part d’insouciance qui le préserve de la violence. C’est pour cela qu’il est immensément difficile pour son père d’expliquer à son bébé ce qu’il s’est passé sans le traumatiser. Le bébé saisit que le monde autour de lui est étouffé, mais ne peut le comprendre.

« Le sommeil d’un bébé ne s’encombre pas des horreurs du monde. »

Au fil des pages, on comprend que le combat d’Antoine Leiris pour assurer le bonheur de Melvil est éprouvant. Il est en proie à l’effondrement, car il a peur de mal faire avec son fils. Antoine a le sentiment qu’il n’a plus le droit à l’erreur avec Melvil, il doit forger une armure de tendresse incassable.

Pour avancer, il s’attache à brandir l’amour et l’insouciance, qu’aucun attentat ne pourra jamais voler. Il puise dans le courage de son fils qui rit encore aux éclats et mène toujours sa vie de bébé émerveillé par le monde pour se reconstruire.

Se relever en contrant la violence : l’épreuve d’une vie

Se reconstruire en se préservant d’une brutalité permanente

Si le combat de Leiris pour apaiser son environnement est si ardu, c’est que la violence qui a résulté de l’instant de la mort de sa femme foudroie finalement sa vie entière. La violence a créé une rupture avec leur « vie d’avant ».

« D’une rafale de mitraillette, ils ont dispersé notre puzzle. Et lorsque pièce après pièce nous le recomposerons, ce ne sera plus le même. »

Les scarifications de la violence vont marquer toute la vie de l’enfant et de son père, leur relation. La violence imprègne leur monde. Toutefois, Antoine Leiris veut continuer de construire son monde avec son fils, même si celui-ci a été souillé. Or, le moindre contact du monde extérieur devient violence pour lui. Il a le sentiment qu’il lui faut préserver l’univers de son enfant de brisures qui peuvent survenir à tout instant.

Par exemple, le simple fait de couper les ongles de son enfant est ressenti comme un violent coup de couteau par Antoine. Il s’en veut de heurter l’équilibre qu’il essaie inlassablement de reconstruire. Antoine Leiris effectue le même rituel quotidien pour continuer à avancer.

« Me raccrocher à nos habitudes, c’est laisser à la porte le terrible et le merveilleux. L’horreur de cette nuit-là et la compassion qui s’est précipitée à ses trousses. »

Devant tant d’effort, le fait d’écrire est libérateur pour Antoine Leiris, il délivre ses idées comme il pourfendrait sa rage de vivre.

Les mots : vecteur ou rempart contre la violence ?

Selon Antoine Leiris, le silence est d’une violence insoutenable. Il ne peut plus le supporter après la mort de sa femme. Ainsi, il décide de se battre avec sa plume en publiant sa lettre ouverte. Le deuil bouleverse physiquement Leiris, il le transperce et l’asphyxie, alors il écrit pour se délivrer.

Conjointement, la violence du langage est omniprésente dans l’environnement de l’homme en deuil. Elle se retrouve donc dans le silence du doute et de la gravité, mais aussi dans les mots de compassion et le récit de drames qu’Antoine écoute difficilement. Enfin, elle se ressent auprès des interlocuteurs chargés des procédures administratives, comme l’employée de la morgue qui récite mécaniquement son discours de condoléances.

Dès lors, comment échapper à l’assaut de la violence et reconstruire sa vie ?

Prôner la tendresse, contre la violence

« Répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. »

Antoine Leiris ne forge pas son existence dans une optique de vengeance. Il souhaite faire honneur à sa femme en brandissant ce qui fait honte à la violence : la tendresse. Selon lui, la rancœur envers l’assassin est une manière de reporter sur un coupable désigné sa propre souffrance, d’oublier sa peine en condamnant la violence. Haïr ceux qui ont tué, c’est les inclure dans notre propre histoire, laquelle ne nous appartient alors plus vraiment.

L’amour est brandi comme arme contre la haine. Il faut pour le père continuer de vivre et faire grandir son fils en lui offrant l’espace nécessaire à son bonheur. Le bonheur de Melvil est la chose la plus précieuse pour Antoine, ce que les assaillants n’auront jamais.

Lorsqu’Antoine Leiris repense à sa femme, même si celle-ci cristallise la violence qui est arrivée dans leur vie, il est épris d’un élan de tendresse. Hélène Leiris restera un rempart pour ses proches, contrant la violence qu’elle a elle-même vécue.

Finalement, la lettre que Leiris écrit pour son fils, à la fin du livre, est un hymne à la tendresse : il se raccroche à l’idée que son fils est un battant et portera toujours sa maman dans le cœur. Rendre visite à Hélène au cimetière, c’est un moment de délivrance qui marque le début de la victoire de l’amour pour le père et le fils.

« Il fait doux aujourd’hui, un nuage s’éloigne, le soleil se déverse sur le cimetière comme si du miel coulait du ciel. Hier encore, c’était du sang qui en tombait. […] Aujourd’hui, la procession funeste est terminée, c’est vers notre nouvelle vie que nous marchons. »

Le livre se finit par l’image du rire, meilleure arme contre le chagrin engendré par la violence. Le rire est le symbole de la vie, de l’espoir, de la joie, qui transcende toute atteinte extérieure.

« Toute sa vie ce petit garçon vous fera l’affront d’être heureux et libre. »

Conclusion

L’histoire profondément touchante de Leiris et de son fils montre leur courage, leur abnégation pour reconstruire leur vie malgré le manque d’une pièce maîtresse. Leur volonté indéfectible de clamer la vie et l’amour prouve leur victoire sur la violence.

Antoine Leiris décrit la façon dont la violence, bien qu’elle ne le touche pas directement, le brise intérieurement et l’assène de coups partout où il se trouve. Il offre une réflexion sur la douleur du deuil chez l’adulte et chez l’enfant. Enfin, il décrit sa lutte pour ne pas céder à la haine en réponse à la violence. Il prouve que la meilleure arme contre la violence est la bienveillance. À titre informatif, Antoine Leiris poursuit le récit de son combat dans son œuvre La Vie, après (2019).

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