économie

Dans la deuxième partie du livre Économie de l’environnement et économie écologique, Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux analysent les défis du XXIe siècle pour l’économie écologique.

Tu peux retrouver la première partie de cet article en cliquant ici.

Les défis pour l’économie écologique

La population

En 1798, dans son Essai sur le principe de population, Malthus se pose la question suivante : « Quelles sont les causes qui ont gêné jusqu’à présent le progrès de l’humanité vers le bonheur ? » Pour lui, c’est « la tendance constante de tous les êtres vivants à accroître leur espèce au-delà des ressources de nourriture dont ils peuvent disposer ». Il identifie ce qu’il appelle un « piège malthusien » : le taux de natalité s’accroît avec le niveau de vie, le taux de mortalité décroît avec le niveau de vie, et le niveau de vie décroît avec la population. La solution est alors « la contrainte morale, le vice et le malheur ».

Jusqu’à maintenant, les craintes de Malthus ont été infirmées, car la population mondiale n’a cessé d’augmenter en même temps que le niveau moyen de vie. La démographie risque de croître jusqu’à 9,5 milliards en 2050, bien que la croissance annuelle diminue (divisée par deux en 50 ans). Cependant, compte tenu des dégâts causés à l’environnement, l’arrivée de deux milliards d’humains peut inquiéter.

L’énergie en transition

Pendant longtemps, l’homme n’avait recours qu’à sa force physique pour utiliser des ressources énergétiques limitées (bois, huile, cire, animaux, moulins à eau/vent). À partir de l’invention de la machine à vapeur s’établit un changement radical, faisant basculer l’humanité dans l’ère des énergies fossiles, dont le prix augmente constamment. 

La consommation d’énergie s’est accrue de manière spectaculaire de 20 gigajoules par personne en 1820 à 80 en 2000. Les énergies se sont diversifiées ainsi que leur utilisation (transport, utilisation domestique).

La disponibilité des ressources est par ailleurs inégale selon les pays et a beaucoup changé depuis le premier choc pétrolier. Les pays de l’OCDE et la Chine sont les plus gros utilisateurs d’énergie. L’Union européenne est très dépendante des autres régions, à environ 50 % (jusqu’au XXe siècle, elle était indépendante !). On peut cependant noter que la France, avec l’utilisation du nucléaire, a un taux de dépendance amoindri, à condition de négliger le fait que le combustible est importé.

Dans The Coal Question, Jevons remarque que l’accroissement de l’efficacité technologique pour une ressource ne diminue pas la demande, mais l’accroît. Ce paradoxe de Jevons est appelé « effet rebond ».

Hotelling souligne l’importance des prix dans l’exploitation des ressources : plus le prix augmente, plus les agents sont invités à développer des ressources alternatives. Pour Brookes, qui reprend cette idée à une échelle macroéconomique, les avancées technologiques ne diminuent pas les gaz à effet de serre et sont même contre-productives.

Finalement, l’identité de Kaya permet la décomposition de la croissance des GES en la somme de quatre taux de croissance : la population, le PIB, l’intensité énergétique et l’intensité carbonique. Voilà un exemple pour l’économie mondiale entre 1970 et 2004 en pourcentage de croissance annuelle : population + 1,6/PIB par tête : 1,8/intensité énergétique : 1,2/intensité carbone : – 0,2/total : + 2.

La crise des ressources naturelles renouvelables

Selon Stavins, les ressources non renouvelables sont relativement bien protégées parce que leurs droits de propriété sont bien définis. En revanche, les ressources renouvelables subissent une exploitation, car le régime institutionnel est assez flou. D’où l’importance de la régulation des institutions.

Premièrement, la biodiversité, définie comme la diversité totale de toute forme de vie, avec trois dimensions (espèces, génétique, écosystèmes). Les ressources de ce bien commun peuvent être exploitées par des « passagers clandestins » pouvant mener à la surexploitation, voire à la disparition des ressources. La biodiversité est ainsi détruite entre 100 et 1 000 fois plus vite qu’à son rythme naturel. Cette perte accélérée, coûteuse pour le développement humain, est causée par un facteur anthropologique. 2010, décrétée année de la biodiversité, fut ironiquement celle où l’on a constaté l’échec de la stratégie du Sommet de la Terre de 1992.

Ainsi, le volume total d’eau sur terre est de 1,4 milliard de km3, mais le volume de ressource n’est que de 35 millions de km3, soit 2,5 % du volume total. L’usage de l’eau douce (majoritairement sous forme de permafrost ou de glace) croît deux fois plus vite que la population. Cet accroissement devrait d’ailleurs augmenter de 50 % jusqu’à 2025, avec une hausse de la demande pour les produits animaux. Ce qui produit une augmentation de 19 % de l’usage de l’eau pour le secteur agricole. Ainsi, 1,4 milliard d’humains vivent dans des milieux où l’utilisation de l’eau va plus vite que son taux de recharge. Ce qui conduit à l’assèchement des cours d’eau. Les Nations unies estiment qu’en 2025, 1,8 milliard de personnes vivront dans un milieu de pénurie d’eau.

Les denrées agricoles

L’agriculture est la denrée qui dépend le plus directement des ressources naturelles. Elle nourrit les hommes et leur donne les matières premières dont ils ont besoin (bois, fibre, etc.). L’augmentation rapide de la production agricole a permis de faire face à la croissance de la population avec une nutrition de meilleure qualité, la ration journalière est passée de 2 200 kcal en 1960 à environ 3 000 kcal pour 2030, alors que les modes de vie sont tels que l’apport calorique nécessaire par jour a baissé.

On peut prévoir que l’augmentation de la production va s’accompagner d’un ralentissement de la croissance démographique. Notons cependant deux effets : l’élévation du niveau de vie change la nature de la demande, notamment en qualité pour la viande, puisque la moitié de la production agricole mondiale est destinée à l’alimentation animale. De plus, le développement de la production d’agrocarburant contribue à accroître considérablement la demande pour la canne, la betterave, le maïs, le colza, etc.

La question de la soutenabilité de l’agriculture est donc grandissante. L’agriculture cause par ailleurs des externalités négatives comme la pollution ou la transformation des paysages. C’est pourquoi la politique agricole commune essaye d’inciter les pratiques plus respectueuses et produisant des externalités positives, mais ces conditions imposées n’ont pas de résultats satisfaisants et sont peu concluantes. 

L’Économie verte et l’emploi vert

L’économie verte est une économie dans laquelle les liens vitaux entre l’économie, la société et l’environnement sont pris en considération. Il s’agit donc d’une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale, tout en réduisant les risques environnementaux et la pénurie des ressources.

Il y a trois exigences concernant cette économie : l’éco-industrie, qui développe l’emploi dans des secteurs pouvant limiter l’impact des activités humaines sur l’environnement, la transition écologique, qui vise à changer les modes de production et de consommation sous la contrainte écologique, et le développement soutenable, pour transformer nos systèmes de mesure de la valeur sociale, en insistant sur le développement socioécologique (soutenabilité environnementale, égalité, santé, éducation).

Conclusion : activités économiques et soutenabilité

La soutenabilité, c’est se demander : « Consommons-nous trop ? » Au début du XIXe siècle, l’économie est dominée par l’agriculture et l’exploitation des ressources naturelles. Pour l’analyse marginaliste, la croissance paraissait alors sans borne. Les nouvelles sources d’énergie (électricité et pétrole) semblent reposer le problème de pénurie, particulièrement dans les années 1970.

Par opposition, l’insoutenabilité est la consommation courante excessive, mais par rapport à quoi ? Pour les écologistes, l’insoutenabilité est déterminée par rapport aux limites de la planète, tandis que pour les marginalistes, cela dépend des possibilités de consommation futures.

Le choix du critère de soutenabilité est alors crucial et divise :

  • D’une part, ceux qui se basent sur la finitude des ressources naturelles (« soutenabilité forte »). La norme de soutenabilité est ainsi indépendante des comportements humains.
  • D’autre part, ceux qui privilégient les activités humaines (« soutenabilité faible ») , avec la possibilité d’accumuler du bien-être dont les générations futures hériteront.

La notion de capital naturel

L’économie de cueillette pure, conditionnée par le rendement du « capital naturel » (soit la terre), était dominante jusqu’au développement de l’agriculture. La production était donc une simple combinaison des facteurs capital/travail.

Les ressources naturelles sont désormais minoritaires et réduites à la superficie émergée exploitable de la planète. D’où la nécessité d’élargir avec le développement de l’exploitation des ressources halieutiques ou des sous-sols. Le capital naturel est une composante essentielle de la richesse, notamment des pays pauvres (30 % du capital naturel dans les pays pauvres, contre 2 % dans les pays riches de l’OCDE).

La théorie de la coévolution

Cette théorie pose que les écosystèmes reflètent les caractéristiques des systèmes sociaux qui reflètent eux-mêmes les caractéristiques des systèmes naturels. Il s’agit ainsi d’une codépendance entre les hommes et l’environnement.

Par conséquent, une certaine vulnérabilité, c’est-à-dire un risque pour les hommes et/ou les écosystèmes d’être affectés négativement par les effets néfastes du changement climatique, peut intervenir. Par exemple, la destruction de 35 % des mangroves pour favoriser la pêche à la crevette a augmenté la vulnérabilité des populations côtières, puisque les mangroves devaient les protéger des tsunamis.

La notion de découplage

Le découplage signifie « briser le lien entre les maux environnementaux et les biens économiques ». Alors que plusieurs applications de ce concept ont été étudiées, la Commission européenne a établi en 2005 la nécessité d’un « double découplage ».

Elle souhaite réduire l’usage des ressources naturelles dans une croissance économique et réduire l’impact environnemental de cet usage.

La justice et les inégalités environnementales

Le concept de « justice environnementale » est né aux États-Unis dans les années 1980, dans le cadre de la lutte pour l’égalité raciale. En effet, à cette époque, plusieurs rapports analysaient l’impact environnemental des personnes afro-américaines, prétendant qu’elles étaient responsables des problèmes environnementaux. Ce racisme environnemental réfère par exemple au rapport « Déchets toxiques et Race aux États-Unis », qui soulève que les « non blancs » étaient deux fois plus représentés dans les zones présentant un danger pour la santé des résidents.

En 1995, l’Environmental Justice Strategy précise la notion de « justice environnementale ». Cette dernière insiste sur un traitement équitable dans la mise en œuvre des politiques environnementales et stipule qu’aucun groupe ne doit assumer une part disproportionnée des conséquences néfastes résultant d’activités industrielles.

Une dernière théorie présentée par Laurent et Le Cacheux est celle de la dette écologique. C’est-à-dire la dette contractée à l’égard de la biosphère avec la destruction d’espèce. L’idée principale est que les pays riches sont coupables d’avoir transféré aux pays pauvres une partie du coût écologique de leur développement.

Critique de l’ouvrage

Dans cet essai, Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux balayent une grande partie des enjeux environnementaux actuels et notamment en les analysant en lien avec les politiques publiques. Ils actualisent les grandes notions développées en matière d’économie des ressources naturelles et de l’environnement et étudient les avancées contemporaines de l’économie écologique.

Avec une approche accessible à tous, ce livre illustre les questions des externalités, biens communs, rôle de l’État, etc., vues en cours d’économie en CPGE, et permet une compréhension plus fine de leurs enjeux, sous différents angles d’approche. 

Les autres ouvrages des mêmes auteurs peuvent être éclairants sur des points plus précis. Comme l’ouvrage Sortir de la croissance, mode d’emploi, écrit par Éloi Laurent, qui envisage de changer radicalement nos sociétés afin de résoudre les vrais problèmes qui nous sont posés par l’environnement et la justice sociale.