concurrence

Ce chapitre d’économie aborde les conditions théoriques de la concurrence parfaite et les imperfections qui en résultent lorsque celles-ci ne sont pas satisfaites. Nous verrons d’abord les mécanismes de la concurrence par les prix, puis les autres conditions qui modifient la dynamique du marché. J’ai créé ce cours en seconde année de prépa à partir de celui de ma professeure et de mes propres recherches, et en le complétant avec de nombreux auteurs tirés du livre de référence pour L’Éco-Droit.

La concurrence par les prix

Les théories libérales du marché concurrentiel

Conditions d’efficacité du marché

La théorie classique part du postulat qu’un marché est parfaitement concurrentiel lorsque certaines conditions fondamentales sont réunies. Knight identifie les conditions suivantes :

  • Homogénéité : les biens sont identiques et parfaitement substituables.
  • Atomicité : le marché compte un très grand nombre d’agents preneurs de prix.
  • Mobilité parfaite : le travail et le capital se déplacent librement (notion que Walras associe au plein-emploi).
  • Libre circulation : aucune barrière n’entrave l’entrée de nouveaux concurrents.
  • Transparence : l’information est parfaite et accessible à tous.

 

L’équilibre ainsi obtenu correspond à l’optimum de Pareto : toute amélioration pour l’un des agents se fait au détriment d’un autre. Dans ce contexte, il n’est pas souhaitable que l’État intervienne, car une intervention risquerait d’écarter l’économie de ce point d’efficacité.

Marshall apporte une précision supplémentaire en évoquant le coût d’opportunité, en postulant que la satisfaction maximale se réalise lorsque l’utilité marginale d’un gain compense exactement la désutilité du sacrifice consenti.

Enfin, le concept de marché contestable, développé par Baumol, montre qu’en l’absence de barrières à l’entrée, la menace d’une concurrence potentielle contraint la firme dominante (le monopole) à proposer des prix concurrentiels. En effet, si la firme hausse trop ses prix, une concurrence de domination par les coûts apparaîtra. Il y a donc concurrence pure et parfaite, même sur un marché concentré !

La remise en cause de l’atomicité : le monopole et ses variantes

Lorsque la condition d’atomicité est remise en cause, le marché peut se retrouver en situation de monopole. Ce phénomène explique notamment la diminution de la valeur ajoutée distribuée aux salariés (les grandes firmes versant davantage aux actionnaires), mais aussi le recul de l’investissement et le ralentissement des gains de productivité.

Selon la théorie du sous-équilibre de Cournot, les monopoles ne sont pas efficaces puisque les clients, incapables de suivre l’évolution des prix, voient leur pouvoir de négociation diminuer.

Généreux distingue trois formes de monopoles :

  • Le monopole naturel : certaines conditions de production et la taille du marché empêchent, à long terme, l’entrée de concurrents rentables (exemple : les chemins de fer).
  • Le monopole d’innovation : des firmes se retrouvent temporairement seules à distribuer un produit innovant, la concurrence n’ayant pas encore les compétences pour rivaliser.
  • Le monopole légal : des obstacles réglementaires empêchent l’entrée de concurrents sur le marché.

 

Chamberlin propose, lui, le concept de concurrence monopolistique : un marché dans lequel de nombreux producteurs différencient leurs produits afin d’obtenir une position quasi monopolistique. Cette structure, entre concurrence parfaite et monopole pur, est préférable à la concurrence pure et parfaite qui, selon lui, entraînerait une uniformisation des offres au détriment du consommateur.

Les modèles de duopole

Dans certains marchés, la concurrence se réduit à l’interaction entre deux firmes. Plusieurs modèles permettent d’illustrer ces interactions.

Duopole de Cournot

Équilibre avec les prix (Walras) ET la production : deux firmes ne voulant pas harmoniser leurs prix et pensant que leur rivale cherche à maximiser son profit supposent que la production en face est constante et fixent donc leurs productions en fonction de la quantité qu’elles estiment produite par l’autre pour accroître leurs profits. Cet équilibre de Nash débouche sur un prix unique pour le produit vendu.

Duopole de Stackelberg

Ici, les deux firmes reconnaissent leur interdépendance, mais l’une dispose d’un avantage stratégique (elle joue le rôle de pilote, tandis que l’autre est suiveuse). Que ce soit avec un leader et un suiveur, ou si chacune se perçoit alternativement comme dominante, le résultat tend également vers un prix unique.

Duopole de Bertrand

Dans ce modèle, l’équilibre dépend du coût marginal : pour un produit de même qualité, les deux entreprises doivent fixer le même prix.

  • Le paradoxe de Bertrand survient lorsqu’une concentration du marché (avec peu de firmes et une capacité de production illimitée) pousse les prix vers leur coût marginal.
  • Toutefois, le paradoxe de Waterson/Cowling montre que, malgré une concentration accrue, le duopole peut présenter un équilibre plus optimal (en raison des coûts marginaux décroissants liés aux rendements croissants).

Les autres conditions influant sur la concurrence

Outre la concurrence par les prix, d’autres facteurs modifient la dynamique du marché. Nous étudions ici la différenciation des produits et les asymétries d’information.

Des biens non homogènes

Le surplus du consommateur se définit comme la différence entre le prix payé et la valeur que le consommateur attribue au bien.

Le surplus du producteur est la différence entre le prix de vente et le coût de production.

La somme des deux constitue le surplus économique, indicateur de la performance globale du marché.

Différenciation spatiale : selon Hotelling, lorsque les produits se différencient, ils tendent à se localiser dans des zones géographiques distinctes. Ce phénomène peut induire un équilibre de Nash non optimal, car la distance entre les points de vente influence le choix du consommateur. À l’inverse, pour des vendeurs de glaces sur une plage, plus la distance parcourue par les clients est importante, moins ces derniers seront enclins à acheter.

Différenciation horizontale et verticale :

  • La différenciation horizontale, également défendue par Chamberlin, se caractérise par des produits de même qualité répondant à des attentes ou à des besoins différents, ce qui permet de maintenir l’atomicité du marché.
  • La différenciation verticale, expliquée par Sutton, concerne des produits qui répondent au même besoin mais qui se distinguent par leur qualité. Ce qui conduit à des guerres sur la qualité et favorise l’apparition d’oligopoles.

Les effets accentuant le pouvoir des firmes

  • Shapiro insiste sur les effets de réseaux : l’utilité réelle d’un bien dépend du nombre d’utilisateurs, si bien que l’acteur qui parvient à en attirer le plus acquiert un avantage décisif.
  • Rochet et Tirole complètent cette analyse en introduisant l’effet de réseau biface : l’utilisation d’un bien ou d’un service incite à l’achat de biens complémentaires (comme dans le cas de Windows par Microsoft ou d’Android par Alphabet).
  • Krugman met également en avant l’existence de rendements d’échelle croissants, d’effets d’expérience et d’effets d’agglomération, qui renforcent la position dominante des grandes firmes.

Les problèmes d’information sur le marché

L’asymétrie d’information

Elle se produit lorsque l’une des parties dispose de plus de renseignements que l’autre, créant ainsi des déséquilibres dans les échanges.

  • Akerlof illustre ce phénomène dans The Market for Lemons. Les acheteurs d’un marché de voitures d’occasion veulent payer 1 000 $ pour une en bon état (peach) et 500 $ pour une en mauvais état (lemon). Si les acheteurs distinguent les peaches et les lemons, les échanges se font. Mais, dans la vraie vie, faire la différence est dur (dissimulation des éraflures et des problèmes de moteur, bidouillage du compteur). Pour prendre en compte le risque que la voiture soit de mauvaise qualité, les acheteurs plafonnent leurs prix à 750 $, mais, à ce prix, les vendeurs de bonnes autos refusent de vendre.
  • Se produit alors un phénomène de sélection adverse : les seuls vendeurs qui accepteront le prix de 750 $ seront les vendeurs de lemons. Les acheteurs le comprennent et n’accepteront de payer que 500 $. Les vendeurs de lemons reçoivent donc finalement le même prix que sur un marché transparent. Mais les peaches ne se vendent plus. L’asymétrie d’infos entre acheteurs et vendeurs a détruit le marché de peaches.
  • Par exemple, sur le marché des voitures d’occasion, la difficulté à distinguer une « peach » d’une « lemon » conduit les acheteurs à proposer un prix moyen. Ce qui incite les vendeurs de bonnes voitures à se retirer du marché. Akerlof relève également que, dans le domaine de l’emploi, les employeurs ne parviennent pas toujours à évaluer la production réelle de leurs salariés, aboutissant à une sous-rémunération.

Le signal et le risque d’antisélection

Spence montre que certains signaux, comme le remboursement ponctuel des emprunts, sont difficiles à falsifier et permettent d’identifier les candidats les plus fiables.

Dans les États interdisant l’usage des défaillances comme critère de tri, on observe un risque d’antisélection puisque les bons candidats se tournent vers des signaux, tels que le diplôme ou l’expérience, ce qui désavantage les groupes défavorisés, comme le soulignent Clifford et Shoag. Le signal de Spence incite les individus compétents à valoriser leur profil via l’obtention de diplômes, de labels ou la fourniture de garanties.

D’autres théories

  • Arrow introduit le concept d’aléa moral : lorsqu’un individu est assuré (assurance maladie ou auto), il peut adopter des comportements opportunistes (manger mal ou conduire imprudemment).
  • Stiglitz propose une solution par le biais du salaire d’efficience : les entreprises versent un salaire supérieur à celui de la concurrence afin de renforcer la valeur de l’emploi et de dissuader les comportements risqués.
  • Enfin, Tversky et Kahneman, avec leur théorie des perspectives, expliquent que, malgré l’abondance d’informations aujourd’hui, celles-ci sont souvent peu utiles et conduisent le consommateur à choisir le produit le plus visible (paradoxe : trop d’infos tue l’info). Ils ajoutent que, dans certains cas, un marché oligopolistique peut présenter un équilibre amélioré grâce à une réduction du bruit informationnel et des coûts de recherche (paradoxe : la libre concurrence n’est pas toujours la plus optimale).