Depuis l’Antiquité, la route de la soie a symbolisé un lien entre l’Orient et l’Occident, favorisant les échanges commerciaux et culturels. En 2013, la Chine a ravivé cet héritage en lançant l’initiative des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative ou, plus simplement, BRI). Ce projet ambitieux vise à développer un vaste réseau d’infrastructures reliant la Chine à l’Europe, à l’Afrique et à l’Asie du Sud-Est. Avec plus de 1 000 milliards de dollars investis, cette initiative est l’un des plus grands projets économiques du XXIe siècle. Mais derrière ces promesses de développement et de coopération se cache une réalité plus complexe : la BRI est-elle une chance pour les pays partenaires ou un instrument de domination chinoise ?
Un projet titanesque aux ambitions mondiales
L’initiative des nouvelles routes de la soie repose sur la construction de ports, d’autoroutes, de chemins de fer, d’oléoducs et de corridors économiques à travers plus de 60 pays.
La Chine a financé des projets pharaoniques, tels que le port de Gwadar au Pakistan, évalué à 1,6 milliard de dollars, ou encore la ligne ferroviaire reliant Budapest à Belgrade, un projet à 3,8 milliards de dollars. En Afrique, Pékin a massivement investi dans des infrastructures, notamment avec le chemin de fer Mombasa-Nairobi au Kenya, un projet de 3,6 milliards de dollars, facilitant ainsi les échanges et l’exportation de matières premières vers la Chine.
Un moteur économique indéniable
L’impact économique des nouvelles routes de la soie est considérable. Selon la Banque mondiale, les pays impliqués dans la BRI ont vu leurs échanges commerciaux augmenter de 4,1 % en moyenne. Le port du Pirée, acquis par la société chinoise Cosco en 2016, illustre bien cette dynamique. En moins de cinq ans, il est devenu l’un des principaux hubs maritimes européens, augmentant son trafic de conteneurs de plus de 300 %.
De plus, la BRI a permis à certains pays en développement d’accéder à des financements qu’ils n’auraient pas pu obtenir via les institutions occidentales, comme le FMI ou la Banque mondiale.
Un endettement inquiétant et une dépendance accrue
Cependant, derrière ces bénéfices économiques se cache un revers inquiétant : l’endettement massif des pays partenaires. Le Sri Lanka en est un exemple frappant. Incapable de rembourser un prêt chinois de 1,4 milliard de dollars pour la construction du port de Hambantota, le pays a dû céder son exploitation à une entreprise chinoise pour une durée de 99 ans en 2017. Ce cas illustre ce que de nombreux analystes qualifient de « diplomatie de la dette », où Pékin utilise des prêts à taux préférentiels pour asseoir son influence.
D’autres pays, comme le Laos qui a emprunté plus de six milliards de dollars pour financer un projet ferroviaire reliant la Chine à la capitale Vientiane, se retrouvent dans des situations financières précaires. Selon un rapport du Center for Global Development, au moins huit pays partenaires de la BRI présentent un risque élevé de surendettement vis-à-vis de la Chine.
Une stratégie d’influence géopolitique
Au-delà des aspects économiques, la BRI est un outil stratégique permettant à la Chine d’étendre son influence politique. En investissant massivement en Afrique et en Asie, Pékin se positionne comme un acteur incontournable sur la scène internationale.
En Europe, des pays, comme la Hongrie et la Grèce, après avoir bénéficié de larges investissements chinois, se montrent plus réticents à critiquer Pékin sur des sujets sensibles, comme les droits de l’homme ou la situation au Xinjiang. La Grèce a même bloqué, en 2017, une résolution de l’Union européenne condamnant la Chine pour ses violations des droits fondamentaux.
Une réaction de l’Occident face à l’influence chinoise
Face à cette montée en puissance, les États-Unis et l’Union européenne ont réagi en proposant des alternatives à la BRI. En 2021, l’UE a lancé le programme Global Gateway, doté de 300 milliards d’euros, visant à financer des infrastructures durables dans les pays en développement. De leur côté, les États-Unis ont mis en place le Partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux (PGII), avec un objectif de 600 milliards de dollars d’investissements d’ici 2027.
Ces initiatives visent à offrir aux pays émergents une alternative plus transparente et respectueuse des normes environnementales et sociales, contrairement aux projets chinois, souvent critiqués pour leur manque de transparence et leur impact écologique. Le barrage hydroélectrique de Gilgel Gibe III en Éthiopie, financé par la Chine, a par exemple été accusé d’avoir causé d’importantes sécheresses et d’avoir déplacé des milliers de personnes.
De surcroît, il est important de noter que l’élection récente de Donald Trump va sûrement accélérer les choses du côté américain. En effet, le nouveau Président de la première puissance économique mondiale a déjà réagi et s’est exprimé notamment sur le canal de Panama, qu’il a menacé de « reprendre ». Ce dernier voit l’exploitation du canal par la Chine comme un instrument du pays asiatique pour étendre son influence mondiale.
Un avenir incertain pour les nouvelles routes de la soie
Après plus d’une décennie d’investissements colossaux, la Chine commence à ralentir ses engagements financiers dans la BRI. En 2018, les nouveaux prêts accordés par Pékin dans le cadre de l’initiative atteignaient 125 milliards de dollars. En 2023, ce chiffre était tombé à 80 milliards. Cette diminution s’explique par un recentrage de la Chine sur des projets plus rentables et par une volonté de limiter l’exposition aux défauts de paiement des pays partenaires.
De plus, plusieurs nations commencent à remettre en question leur engagement dans la BRI. L’Italie, qui avait rejoint l’initiative en 2019, a annoncé en 2023 son retrait du programme, estimant que les bénéfices économiques étaient bien inférieurs aux attentes. D’autres pays européens adoptent une position plus prudente, cherchant à diversifier leurs partenaires commerciaux pour éviter une trop grande dépendance à la Chine.
Conclusion
Les nouvelles routes de la soie constituent sans aucun doute l’un des projets les plus ambitieux du XXIe siècle. Elles ont permis de moderniser des infrastructures essentielles et de renforcer les échanges commerciaux à l’échelle mondiale. Cependant, elles soulèvent également d’importantes questions économiques et géopolitiques.
Si certains pays y voient une opportunité de développement, d’autres dénoncent un piège financier et une ingérence chinoise accrue. Dans un contexte de tensions croissantes entre la Chine et l’Occident, l’avenir de la BRI dépendra de la capacité des nations à en tirer profit tout en préservant leur souveraineté économique et politique.