Cet article se concentre sur les moyens mis en œuvre par les entreprises pour contourner la concurrence et sur les effets de ces stratégies sur la concentration des marchés, notamment dans le contexte des économies numériques et de la croissance externe.
Note : J’ai créé ce cours en seconde année de prépa à partir du cours de mon professeur, de mes propres recherches et en le complétant avec de nombreux auteurs tirés du livre de référence pour L’Éco Droit, que je te recommande de feuilleter en bibliothèque.
Les stratégies anticoncurrentielles
Les firmes non preneuses de prix
Analyse par la théorie des jeux
L’équilibre de Nash illustre comment chaque entreprise maximise ses gains individuels, même si le résultat global est sous-optimal. Le dilemme des prisonniers (tel que présenté par Tucker) démontre que, si les entreprises collaboraient, elles amélioreraient leur situation mutuelle.
Cependant, l’incitation individuelle à dénoncer l’autre conduit inévitablement à un équilibre non optimal, rendant l’approche walrassienne moins pertinente en théorie des jeux.
Stratégies de contournement de la concurrence
Une entreprise peut innover pour vendre à un prix inférieur à celui de ses concurrents. Néanmoins, selon Veblen, cet avantage est souvent temporaire, car la firme innovante finit par être remplacée. Pour contrer l’ascension d’un concurrent, des stratégies de sabotage peuvent être mises en œuvre.
Palan identifie trois formes de sabotage :
- Sabotage des clients : recommandation délibérée de son propre service (cas de Google en juin 2017) ou formation de cartels sur les prix (n’hésite pas à citer, en dissertation d’économie, des cas récents d’ententes connus grâce à la veille juridique en Droit).
- Sabotage de l’État : utilisation de paradis fiscaux pour contourner la réglementation.
- Sabotage de la concurrence : rachat des entrants prometteurs sur le marché qui auraient pu menacer de faire concurrence à l’avenir (exemple : l’acquisition de WhatsApp par Meta). Grâce à l’exploitation massive des données sur les préférences, les Big Tech ont « l’œil de Dieu »).
Aghion ajoute que l’IA risque de renforcer le pouvoir des AAMAM (Amazon, Alphabet, Meta, Apple, Microsoft), constituant un danger à long terme s’il n’y a pas de réforme sur la libre concurrence.
Innovation et protection par brevets
Les brevets sont un monopole temporaire accordé aux entreprises pour rembourser leurs investissements en R&D. La propriété industrielle est une barrière à l’entrée, mais malheureusement il n’y a pas de corrélation, en France, entre le renforcement de cette protection juridique et l’accroissement de l’innovation.
Les structures de marché et leurs implications
Les marchés se structurent selon quatre grandes configurations :
- Concurrence pure et parfaite
- Monopole
- Oligopole
- Concurrence monopolistique
Les différentes structures de marché d’après Stackelberg
Offre/demande | ||||
1 demandeur | Quelques demandeurs | Beaucoup de demandeurs | ||
1 offreur | Monopsone bilatéral | Monopole contrarié | Monopole | |
Quelques offreurs | Monopsone contrarié | Oligopole bilatéral | Oligopole | |
Beaucoup d’offreurs | Monopsone | Oligopsone | Atomicité/concurrence pure et parfaite |
Apports théoriques et conclusions sur la subvention des firmes
Schumpeter défend l’idée que, même en l’absence de barrières à l’entrée, un monopole peut être aussi efficient qu’un marché en concurrence pure, l’entrepreneur jouant alors le rôle d’innovateur dont les profits temporaires récompensent la prise de risque.
Stigler observe qu’à maturité, les marchés tendent à se structurer autour de trois à quatre généralistes, complétés par quelques spécialistes (cas typique dans le streaming), ce qui conduit à des oligopoles à franges et à des surprofits dus à l’absence d’atomicité.
La question se pose alors de savoir s’il convient de subventionner les entreprises
Si Stiegler met en garde contre l’appropriation des subventions par les lobbys, ce qui nuirait au bien-être collectif, Aghion, lui, souligne que protéger excessivement les entreprises via l’intervention étatique décourage l’innovation en affaiblissant la destruction créatrice, freinant ainsi la croissance.
Krugman préconise une politique commerciale internationale pour aider les entreprises face à la concurrence globale, en contraste avec le colbertisme (politique des champions nationaux) qui, bien que présent dans certains pays, est interdit au sein de l’Union européenne.
Dynamiques de concentration des marchés
Les stratégies anticoncurrentielles et la croissance externe conduisent souvent à une concentration accrue des marchés. Cette partie analyse les paradoxes de la concurrence et les choix stratégiques menant à cette concentration.
Les paradoxes de la concurrence
Efficacité et concurrence
- Un paradoxe important réside dans le fait que la concurrence incite les entreprises à devenir les meilleures, mais une fois cette position atteinte, la concurrence disparaît. L’expression « la concurrence tue la concurrence » illustre bien ce phénomène.
- Les données montrent que la marge des entreprises cotées a augmenté d’un tiers depuis 1980 (passant d’un rapport prix/coût de 1,18 à 1,67 en 2014). Cette augmentation du pouvoir de marché se traduit par des prix plus élevés pour les consommateurs et une redistribution des revenus vers les actionnaires, augmentant ainsi les inégalités.
Les apports de la dynamique concurrentielle
- Schumpeter affirme que la dynamique concurrentielle, même en situation de monopole, reste efficace si l’entreprise se comporte comme en concurrence active.
- La course à la taille est une stratégie adoptée par les entreprises pour atteindre des économies d’échelle. Krugman insiste sur le fait que le coût moyen de production décroît avec l’augmentation du volume produit, incitant ainsi à la concentration du marché.
Offre numérique et croissance externe
Dans l’économie numérique, l’effet blockbuster renforce la position des grandes entreprises. Par exemple, Booking.com a acheté des mots-clés pour optimiser son référencement, consolidant ainsi son monopole sur certains segments.
La stratégie de steering consiste à rediriger systématiquement les partenaires vers ses propres services, ce qui contribue également à la concentration du marché.
Valeur actionnariale et investissement financier : pour atteindre un taux de rentabilité minimal de 15 % (au-dessus du taux de profit habituel), les entreprises procèdent à des rachats mutuels afin de gagner rapidement en taille et ainsi bénéficier des effets de réseaux, un processus parfois désigné par le terme « blitzscaling ».
Effets sur la croissance : l’augmentation de la concentration sur le marché s’accompagne d’une baisse de la concurrence. Par ailleurs, une forte intensité d’actifs immatériels tend à renforcer les parts de marché des grandes firmes, érigeant ainsi des barrières naturelles à l’entrée pour les nouveaux concurrents.