travail

Alors que le chômage est au plus bas depuis 2008 (7,4 % au deuxième trimestre 2022), de nombreuses interrogations subsistent. Est-il encore possible de réduire le chômage ? Quelle est l’efficacité des politiques de l’emploi en France ? L’avenir sera-t-il celui du plein-emploi ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous te proposons une analyse temporelle des théories et contre-théories du chômage, des réussites et des échecs des politiques de l’emploi, ainsi qu’une prospective sur l’avenir du plein-emploi en France. Bonne lecture !

Hier encore, des politiques conjoncturelles de l’emploi limitées

Le marché du travail, source d’oppositions

Afin d’étudier le chômage, mieux vaut s’entendre sur la définition même du marché du travail. Et cela n’est pas chose aisée : sa définition est source d’oppositions. Ainsi, le plein-emploi a longtemps été conçu comme une situation éphémère, ne répondant qu’aux variations conjoncturelles de l’économie. En ce sens, les salaires se déterminent au croisement entre l’offre et la demande de travail.

Par conséquent, aucun chômage ne devrait exister, puisque tout déséquilibre devrait conduire à une variation du salaire. Il est évident que cette conception simpliste est erronée, comme en témoignent les chiffres de l’emploi en période de crise économique.

Pour Keynes, en opposition frontale avec l’analyse néoclassique, le chômage est essentiellement involontaire. L’auteur de Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) conteste l’existence d’un marché du travail réel. Pour lui, les salariés ne peuvent arbitrer entre travail et loisir, tant il est impossible de se passer d’un revenu.

En outre, Keynes considère que la fixation du niveau de l’emploi ne découle pas de la libre confrontation entre l’offre et la demande de travail, mais du niveau de la demande globale, ce qui peut amener à la création d’équilibres de sous-emploi. Un chômage involontaire se forme quand l’équilibre sur les marchés ne permet pas d’employer toute la population active.

Les solutions conjoncturelles traditionnelles pour lutter contre le chômage

Pour lutter contre le chômage conjoncturel, deux politiques économiques peuvent être menées. D’une part, l’État peut acter une baisse des taxes et impôts payés par les ménages afin d’accroître leur pouvoir d’achat. Anticipant une hausse de la demande, les offreurs vont donc produire davantage et investir. Ces deux conséquences vont donc être à l’origine d’une hausse de l’emploi et d’une baisse du chômage conjoncturel.

De surcroît, lorsque ces mesures budgétaires sont allouées aux ménages les moins fortunés, cela se traduit par une forte hausse de la consommation. En effet, les ménages les plus pauvres ont une plus forte propension à consommer, ce qui augmentera plus fortement la demande globale.

En outre, cette même politique de relance de la demande peut s’effectuer via le canal d’investissement. À ce titre, l’État lui-même peut investir, en facilitant par exemple les transports (routes, ports, ponts…). Cet investissement nécessitera alors le soutien des entreprises, qui verront leur activité augmenter et embaucheront donc davantage.

D’autre part, l’illusion monétaire des salariés peut permettre de lutter contre ce chômage conjoncturel. En effet, les politiques inflationnistes pourraient diminuer artificiellement le coût du travail, étant donné que les entreprises fixent leur demande de travail en fonction du salaire réel et les salariés en fonction du salaire nominal. Ainsi, plus la croissance des salaires est élevée, plus le chômage est bas, et inversement.

De la même manière, dans un modèle de concurrence imparfaite, il est démontré que plus le taux de chômage est bas, plus les entreprises rencontrent des difficultés à recruter (Samuelson et Solow, Analytical Aspects of Anti-Inflation Policy, 1960).

Des solutions conjoncturelles limitées

La plupart des solutions conjoncturelles préconisées pour lutter contre le chômage se sont révélées inefficaces, notamment lors des périodes de stagflation. L’arbitrage inflation-chômage, souvent représenté par la « Courbe de Phillips » (A. Phillips, The Relation between Unemployment and the Rate of Change of Money Wage Rates in the United Kingdom, 1861-1957, 1958) prend donc, dans cette situation, tout son sens.

En outre, le retour au plein-emploi ne semble plus possible par le moyen de mesures inflationnistes. En effet, selon M. Friedman (The Role of Monetary Policy, 1968), l’illusion monétaire des agents économiques ne dure qu’un temps, puisque ces derniers anticipent l’inflation par expérience. Dès lors, s’ils sont victimes d’illusion monétaire à court terme, ils ne le sont pas à long terme.

De plus, selon Robert Lucas, les individus sont dotés d’anticipations rationnelles (Expectations and the Neutrality of Money, 1972). Pour lui, personne n’est victime d’illusion monétaire, puisque chaque agent utilise toutes les informations disponibles de manière efficiente. La courbe de Phillips est désormais verticale et l’illusion monétaire n’existe pas.

Enfin, il existe un taux de chômage naturel que les mesures conjoncturelles ne peuvent pas résoudre sans relancer l’inflation. Il s’agit du NAIRU (Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment), pouvant être déterminé par le modèle WS-PS (un modèle économique permettant d’expliquer les déséquilibres du marché du travail par des fondements microéconomiques) et s’évaluant à 8,9 % en France en 2018, selon l’OCDE.

En dessous de ce niveau, seules des mesures structurelles semblent pouvoir être efficaces. Face à ces nombreuses limites, on se rend aisément compte que les solutions conjoncturelles contre le chômage ne peuvent pas tout. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aujourd’hui, un chômage structurel justifiant une réforme institutionnelle

Le constat d’imperfections sur le marché du travail

Le marché du travail subit un certain nombre de rigidités. Et la première d’entre elles est la fixation des salaires. En effet, d’après la théorie du salaire d’efficience (Yellen, Efficiency Wage Models of Unemployment, 1984), les salaires effectifs doivent être supérieurs au salaire d’équilibre afin d’attirer et de fidéliser les meilleurs talents. Cette théorie se fonde donc sur l’idée d’une corrélation positive entre salaire et productivité.

En outre, elle s’explique par l’existence d’asymétries d’information. D’abord, l’employeur subit un aléa moral, étant donné que le travailleur pourrait adopter une attitude de « shirking » (tire-au-flanc). Dès lors, en élevant les salaires, les entreprises augmentent le coût du licenciement du point de vue du travailleur. Celui-ci ne pourra donc peut-être pas obtenir la même rémunération ailleurs. Cela permet donc à la firme d’économiser sur les coûts de surveillance en rendant la sanction – le licenciement – dissuasive.

D’autre part, l’employeur subit une antisélection. En effet, celui-ci n’est pas en totale connaissance des capacités des travailleurs. Cette antisélection le pousse alors à proposer un salaire au-dessus du salaire d’équilibre, afin d’attirer les meilleurs candidats.

De même, la théorie des contrats implicites (C. Azariadis, Implicit Contracts and Fixed Price Equilibria, 1975) nous enseigne que les salariés ont plus d’aversion pour le risque que les employeurs. Dès lors, les travailleurs préfèrent des salaires rigides et un risque de chômage, plutôt que des salaires flexibles et une garantie d’emploi. De cette situation naît alors un accord implicite visant à ce que leur rémunération ne diminue pas en période de récession et n’augmente pas en période de croissance économique. Ce qui constitue une imperfection de marché.

Rôle du salaire minimum, importance des institutions

S’il subsiste des imperfections sur le marché du travail, l’institutionnalisation d’un salaire minimum semble permettre d’éviter les trappes à chômage, notamment quand certaines branches de l’économie sont très peu élastiques au coût du travail. Ainsi, Katz et Krueger (The Effect of the Minimum Wage on the Fast-Food Industry, 1992) sont à l’origine du « Paradoxe du fast-food ». Ils démontrent que la hausse du salaire minimum, en 1992, au New Jersey, a induit une hausse de l’emploi dans le secteur, contrairement aux présupposés.

Cependant, un salaire minimum constitue également une entrave au plein-emploi pour certains, faisant disparaître les emplois les moins qualifiés (G. J. Stigler, The Economics of Minimum Wage Legislation, 1946). Ainsi, pour F. Kramarz (Les Echos, 13/06/2012), une augmentation de 1 % du Smic détruirait de 15 000 à 25 000 postes. Un bilan à nuancer, donc.

En outre, le chômage structurel semble perdurer du fait d’un mauvais dialogue entre les institutions du marché du travail. En effet, il existe une « complémentarité institutionnelle » (Freeman et Nickell, Labour Market Institutions and Economic Performance, 1988). Selon eux, une complémentarité existe entre les deux institutions dès lors que l’efficacité de l’une se trouve renforcée par la simple existence de l’autre. Or, sans une complémentarité efficace, la lutte contre le chômage structurel peut se révéler vaine.

Enfin, en vertu de la théorie du « Job Search » (G. J. Stigler, The Economics of Information, 1961), le chômage frictionnel (chômage temporaire entre deux contrats de travail) s’explique par le manque d’information. En effet, le marché n’étant pas parfaitement transparent, les individus entreprennent des calculs afin d’évaluer la durée optimale du chômage. En ce sens, ils prolongeront leur prospection jusqu’au moment où le coût marginal de l’information s’égalise avec l’espérance des gains anticipés. Pour l’auteur donc, plus le chômage est indemnisé, plus sa durée tend à augmenter.

Des mesures structurelles à l’efficacité nuancée

Si de nombreuses solutions ont pu être édifiées, on constate néanmoins un échec des mesures structurelles établies jusqu’alors. En premier lieu, on assiste à un échec des politiques de baisse du coût du travail. Ainsi, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mis en place en 2013, se fixait à 6 % pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le Smic.

Néanmoins, cette mesure semble favoriser les « trappes à bas salaires » (E. Malinvaud, Les Cotisations sociales à la charge des employeurs : analyse économique, 1998). Il s’agit de la situation où l’employeur maintient le salaire de ses employés à un bas niveau afin de profiter des avantages du CICE. Cette situation serait donc à l’origine de cette mesure luttant contre le chômage structurel.

De même, s’ils ont permis l’insertion de personnes peu qualifiées sur le marché du travail, les contrats aidés regroupés dans le contrat unique d’insertion (2010) semblent être à l’origine de nombreux inconvénients. Ainsi, ils ont conduit à un effet de substitution (le meilleur candidat n’est pas forcément choisi), à un effet d’aubaine, ainsi qu’à une certaine stigmatisation des personnes titulaires de ces contrats.

Enfin, on constate un échec des politiques sur l’offre du travail et l’incitation à la reprise d’emploi. Il semble en effet que les effets souhaités ne se soient pas réalisés, puisque ces réformes ignorent le coût en bien-être du chômage (A. E. Clark, A. J. Oswald, Well-Being in Panels, 2002). Selon les auteurs, le travail est psychologiquement bénéfique du fait des interactions sociales, ce qui pousse les individus à travailler. Par conséquent, toute tentative d’incitation à la reprise d’emploi deviendrait selon eux obsolète.

Nous l’avons donc vu, les mesures structurelles traditionnelles pour lutter contre le chômage semblent imparfaites. Dans cette perspective, comment penser l’après ? Nous te proposons de trouver cette réponse dans la deuxième partie de cet article.

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